📌L’essentiel : Après 50 ans de leadership en France sur le marché des équipements de protection individuels (EPI) contre des substances ultra-toxiques, la PME iséroise Matisec veut pousser les portes de l’international et doubler d’ici cinq ans son chiffre d’affaires export. Comment ? Après avoir remis à plat son organisation et sa gamme de produits, elle compte s’appuyer sur ses grands clients internationaux et sur le réseau international du groupe Ocenco, son actionnaire.
🔑 Les clés du succès :
-Se confronter aux réalités des marchés étranger, même lorsqu’elles sont dures à avaler, pour mieux adapter son offre à leurs exigences ;
-Gagner du temps en s’appuyant sur les grands clients internationaux et les autres filiales du groupe ;
-Construire une organisation industrielle agile pour défendre sa compétitivité.
L’HISTOIRE
Un pari audacieux

Aujourd’hui, Matisec, basée à Vaulx-Milieu, au Sud-Est de Lyon, réalise environ 10 % de son chiffre d’affaires à l’international, soit à peine 3 millions d’euros, dont un million en Chine sur des marchés d’équipement de protection individuelle (EPI) destinés à la maintenance des centrales nucléaires. Autant dire que le levier de l’international n’est pas encore actionné. Cela ne devrait plus tarder.
Dès l’année prochaine, « voire dès cette année 2025 » souffle du bout des lèvres Franck Laurent, son directeur général, sans vouloir trop appuyer sur ce calendrier par crainte sans doute de l’affichage d’un pari audacieux, la PME devrait changer de braquet. Avec un chiffre d’affaires export qui devrait atteindre les six millions d’euros. Et le double d’ici 2030.
Bien installée mais trop à l’étroit sur le marché français
Pourquoi cette volonté d’accélération ? Parce que la PME iséroise se sent désormais un peu trop à l’étroit sur son marché historique hexagonal.

Matisec est spécialisée dans les EPI de catégorie 3, c’est-à-dire les équipements de protection individuelle liés aux dangers les plus élevés, potentiellement mortels ou irréversibles. Créée il y a 50 ans, elle intervient dans trois domaines principaux : les appareils respiratoires isolants pour protéger contre des fumées d’incendie (pour les pompiers, les services de sécurité privée etc.), les vêtements de protection contre les produits chimiques (scaphandres pour les pompiers, les industriels de la chimie, l’armée, etc.) et les vêtements de protection à usage unique pour protéger les intervenants contre la poussière radioactive lors, principalement, de la maintenance des centrales nucléaires.
Parmi ses clients : les sapeurs-pompiers de Paris, le SDIS du Rhône, la Brigade des Pompiers de l’air, la Marine Nationale, le GIGN, EDF, Orano, Engie, le CEA, etc. Une niche porteuse, mais dont elle a fait le tour en France.
« Aujourd’hui, sur ces trois grands champs d’intervention de Matisec, nous pouvons revendiquer 25 % des parts de marché français sur les appareils respiratoires, 50 % sur les vêtements de protection nucléaire et 75 % pour les protections contre le risque chimique, analyse Franck Laurent. En face de nous, il n’y a pas de concurrent français mais des très gros étrangers comme l’Américain MSA ou l’Allemand Draeger. Nous maintenons nos positions en France mais nous pourrons difficilement croître beaucoup plus. L’idée est donc d’aller chercher de la croissance ailleurs ».
Une confrontation brutale avec la réalité d’ailleurs
Matisec s’est lancée dans l’aventure de l’international il y a quatre ans, avec un premier audit des marchés cibles : l’Europe en premier lieu, la Chine, l’Afrique et l’Amérique du Sud notamment. Résultat : la concurrence s’est solidement installée. Une confrontation assez brutale avec la réalité d’ailleurs sur laquelle revient Franck Laurent, avec une transparence à souligner.

« Jusqu’ici nous étions assez tranquilles sur notre marché français avec nos 75 % de parts de marché, développe le dirigeant. Avec ces audits et nos premières tentatives commerciales à l’international, nous avons en quelque sorte découvert nos concurrents et nous avons constaté que nous n’étions pas toujours bien positionnés ».
Concrètement, la PME était hors jeu sur plusieurs segments de marché. « Nous avons compris que dans cet environnement concurrentiel auquel on se confrontait vraiment pour la première fois, nos produits n’étaient pas toujours compétitifs, poursuit le dirigeant. Ils correspondaient en effet parfaitement aux attentes de nos clients français mais pas forcément à celles des pays étrangers pour lesquels les normes et les performances attendues peuvent être différentes ».
Internationaliser la gamme de produits
S’en est donc suivi un travail sur les produits. La conception d’un certain nombre d’entre eux a été revue afin de s’adapter au maximum de normes internationales. Cette stratégie commence à payer avec la concrétisation, depuis l’année dernière, de quelques contrats d’importance.
Par exemple au Cameroun, pour la fourniture d’appareils respiratoires via un fabricant français de camions de pompier. Ou encore un contrat majeur obtenu par Matisec pour des équipements de protection destinés à l’armée suédoise. Citons aussi le déploiement de solutions de protection pour huit centrales nucléaires en Chine (marché d’un million d’euros).
En revanche, le marché américain prendra un peu plus de temps : les gammes Matisec nécessitent des adaptations plus profondes que celles déjà opérées, un chantier est d’ores et déjà engagé dans ce domaine.
S’appuyer sur les filiales sœurs et les grands clients
Matisec, qui vend ses produits en direct (sans intermédiaire distributeur) entend s’appuyer sur plusieurs vecteurs pour avancer dans cette voie de l’internationalisation.

En premier lieu sur ceux de ses grands clients à l’aura internationale (EDF, Total, Orano, etc.), qui peuvent l’emmener, en quelque sorte dans leurs valises. C’est ce qui s’est produit pour le marché chinois des centrales nucléaires : « Nous bénéficions de l’historique d’Orano en Chine, précise Franck Laurent. Après la construction, les Chinois suivent les protocoles de maintenance indiqués par Orano ».
Et puis, Matisec a initié la mise en œuvre de synergies avec les filiales du groupe américain Ocenco auquel elle appartient à 100% depuis 2018. Celui-ci compte une unité de production d’EPI aux États-Unis, ainsi que l’entreprise suédoise Interspiro (appareils respiratoires de protection et équipements de plongées) et l’Italien CTS (bouteilles d’air comprimé). L’ensemble pèse 600 personnes et 180 millions d’euros de chiffre d’affaires.
« Nous sommes les seuls dans le groupe à fabriquer des vêtements de protection chimique. Notre ambition est d’être reconnu au sein du groupe comme la référence sur ce sujet, de devenir incontournable et que l’ensemble des équipes commerciales des différentes entités proposent notre offre », précise le directeur général.
De premières briques ont été posées avec Interspiro, qui lui ont permis de pénétrer les marchés suédois et allemand. « La stratégie commence à payer mais ce n’est en réalité pas aussi facile qu’on pouvait le penser, nuance le directeur général. Chacune des filiales est indépendante, avec peu d’interactions. Il a fallu définir des règles, des cibles et bien structurer la démarche. Mais il faut que la filiale partenaire y trouve aussi son intérêt. Cela démarre doucement, on espère accélérer rapidement ».
Organisation industrielle agile
Pour soutenir cette stratégie, la PME iséroise a construit une organisation industrielle qu’elle dit « agile ». Elle s’appuie sur son usine historique de Vaulx-Milieu et sur une filiale en Tunisie (200 personnes) dédiée principalement à la confection des équipements de protection chimique.
Créée il y a une vingtaine d’années, cette dernière vient d’être renforcée avec un investissement de 4 millions d’euros pour la construction d’une nouvelle usine de 10 000 m², deux fois plus grande que la précédente. « Elle est essentielle à la compétitivité de nos produits » indique le dirigeant.
Et puis, depuis 2019, Matisec a aussi une filiale de fabrication à Porto, au Portugal (20 personnes). Celle-ci avait été initialement lancée pour servir de « back up » à la Tunisie, le cas échéant, et pour répondre aux critères d’un nombre grandissant d’appels d’offres du secteur de la Défense dans l’Union européenne exigeant deux paramètres parfois difficilement conciliables, explique Franck Laurent : un prix compétitif et une fabrication en Europe.
Le sujet est important dans un contexte de montée en puissance des dépenses de la Défense européenne, marché sur lequel Matisec est déjà très bien implanté mais que l’entreprise espère encore renforcer. Cette usine portugaise est désormais complètement intégrée à la stratégie internationale de Matisec pour l’Europe. C’est grâce à elle, par exemple, que l’entreprise a pu remporter l’année dernière, l’important contrat avec l’armée suédoise.
Se faire connaître l’écosystème de l’international
Pour mettre en musique toute cette stratégie, Matisec a créé, depuis trois ans, un service export. Il est constitué de trois personnes : un responsable, un chargé d’affaires Défense et un chargé d’affaires protection nucléaire et chimique.
Matisec a donc désormais des ambitions internationales bien affirmées. Et depuis quelque temps, elle s’est attelée à le faire savoir à l’écosystème de l’international : le Medef, Business France, la Team France Export, Bpifrance, etc. « On fait passer le message : nous souhaitons participer à des déplacements officiels à l’étranger, à des salons, etc., indique Franck Laurent. Nous n’avons pas encore de concrétisation ou de sollicitations en ce sens mais nous démarrons juste. Nous savons que l’international est une démarche de longue haleine ».
📖✨🧠 Les leçons :
- Pour reprendre cette vieille expression française, le risque de s’endormir sur ses lauriers est de na pas voir venir celui qui vous les enlèvera
- Il est crucial de savoir se remettre en cause en arrivant sur un nouveau marché, malgré son leadership sur son marché national.
- Même à l’intérieur d’un groupe, la mise en place d’une synergie commerciale nécessite une stratégie globale et des règles bien établies.
Stéphanie Gallo