La concurrence sur le marché mondial des véhicules électriques s’amplifie, avec une guerre des prix qui fait rage. Dans ce contexte, l’industrie européenne, et notamment française, est sous pression alors que son marché, stimulé par les bonus écologiques, attirent les constructeurs venus de Chine, attirés par des marges plus élevés. Revue de détails.

« La Tesla Model 3 de base, à 41 990 euros, est désormais moins chère que la Megane E-Tech de Renault, à 46 500 euros, ou que la ID3 de Volkswagen, à 42 990 euros, constatait récemment notre confrère Le Figaro. Il y a encore quatre mois, ce modèle phare du géant de l’électrique coûtait 11 000 euros de plus ». L’Europe, et notamment la France, est touchée par une guerre des rabais sur les véhicules électriques qui a commencé en Chine il y a quelques mois et pourrait s’amplifier avec l’afflux des importations de l’ex. empire du Milieux, de modèles chinois, américains ou européens.
En effet, cette guerre des prix a été déclenchée à l’automne dernier par l’Américain Tesla, qui dispose d’un site en Chine, et a été suivie par la plupart des constructeurs chinois, touchant même, depuis quelques mois, le marché très porteur des véhicules SUV, dont les Chinois raffolent. Selon Reuters, les SUV représentent, tout modèles confondus, 40 % du marché chinois soit 11 millions de véhicules vendus en 2022 – presque autant que le marché européen tout type de modèles confondus-, dont 1,5 millions de SUV électriques. Mais dans ce contexte de concurrence exacerbée, le marché européen, plus premium et boosté par les bonus écologiques mis en place par certains pays comme la France, devient un débouché précieux.
« L’Europe est un marché d’exportation haut de gamme, ils y vont tous » a déclaré Jim Farley, le directeur général de Ford, de retour d’un déplacement en Chine en avril, à l’occasion du salon automobile de Shanghai, cité par Reuters. Tesla et Renault ont d’ailleurs déjà commencé à expédier en Europe des véhicules électriques depuis la Chine.
Une industrie européenne sous pression
Dans ce contexte, l’industrie automobile européenne, déjà lancée dans une course effreinée à la transition écologique avec l’échéance de la fin des moteurs thermiques à horizon 2035, est plus que jamais sous pression.
Le marché européen des véhicules électriques, en phase de décollage rapide, est porteur, bien qu’encore loin des volumes atteints par le leader chinois : les ventes de véhicules à énergie alternative ont atteint un niveau record de 4,4 millions d’unités en 2022, soit près de la moitié des immatriculations de véhicules neufs, selon une étude d’Allianz Trade. Le segment des véhicules à batteries électriques (VBE) est le plus dynamique avec des ventes qui ont bondi de + 28%, et représentent 12 % des immatriculations de véhicules neufs.
Les constructeurs venus de Chine, sous pression sur leur marché domestique, pourraient rafler une grosse partie de cette manne. Selon l’étude précitée d’Allianz Trade, la concurrence chinoise pourrait même coûter 24 milliards d’euros (Md EUR) par an au secteur automobile européen d’ici 2030.
En cause : le retard pris par l’industrie européenne dans cette filière. En effet, la Chine a démarré dans cette industrie il y a plus de 15 ans, investissant massivement pour « mettre sur pied un écosystème compétitif en la matière », et cumulant aujourd’hui « des avantages compétitifs dans tous les maillons de la chaîne de valeur ». Résultat : en 2022, elle a écoulé plus du double de VBE que les États-Unis et l’Europe réunis, sans compter qu’elle domine également la production mondiale de batteries !
De fait, les constructeurs chinois sont désormais leaders sur leur marché domestique : « en Chine, 80 % des ventes de véhicules électriques sont effectuées par des marques chinoises, précise Aurélien Duthoit, analyste sectoriel chez Allianz Trade. Entre 2020 et 2022, ces dernières ont d’ailleurs vu leur part de marché domestique augmenter d’environ +10 points. Dans le même temps, la balance commerciale automobile chinoise est passée d’un déficit de -31 Md USD à un excédent de +7 Md USD. Si on se penche sur le marché européen, en 2022, 3 des véhicules électriques qui se sont vendus le mieux ont été importés depuis la Chine ».
Certes, les VBE importés en Europe depuis la Chine, où les constructeurs étrangers disposent de sites de production, ne sont pas tous de marque chinoise. Selon une note de Thierry Mayer et Vincent Vicard, chercheurs au Cepii, sur l’impact des subventions américaines de l’IRA (Inflation Reduction Act)*, les Models 3 et Y de l’Américain Tesla, par exemple, ont représenté 32 % des importations françaises de véhicules en provenance de Chine en 2022. Mais, selon la même source, sous l’effet de l’essor des importations de véhicules électriques, la part de la Chine dans les importations françaises de véhicules est passée de 0 % à 3,7 % en 2022…
Comme le montrent les tendances récentes du commerce extérieur français de la branche automobile (ci-après), le déficit commercial se creuse, et le décollage des importations de composants et véhicules électriques nourrit cette tendance.
Echanges de la branche automobile française
(En Md EUR et évolution en %)-Import (2022) : 68,1 (+9,5 % /2021)
T1 2023 : 18,9 (+22,7 % / T1 22)-Export (2022) : 48,4 (+ 9,5 %)
T1 2023 : 13,7 (+ 25,6 % / T1 22)-Solde (2022) : – 19,6 (-1,5 Md /2021)
T1 2023 : -5,3,7 (-0,9 Md / T1 22)Source : Douane française
Cela éclaire sous un nouveau jour la réflexion en cours du gouvernement français pour introduire des conditionnalités environnementales et climatiques dans l’octroi de ses bonus écologiques, qui favoriseraient de facto le Made in Europe, sinon le Made in France. Et rend d’autant plus urgent le développement des capacités industrielles, des gigafactories –dont une quatrième projet dans le Nord de la France vient d’être annoncé par le Taiwanais Prologium-, aux lignes de production et jusqu’aux réseaux de recharges rapides.
Des risques réels pour l’industrie automobile européenne
Selon Aurélien Duthoit, « le risque pour l’industrie automobile européenne est donc double : d’une part, un recul des parts de marchés sur le marché chinois, de l’autre, un remplacement des véhicules à moteurs thermiques assemblés en Europe par des véhicules électriques importés de Chine ». Allianz Trade a ainsi calculé que les constructeurs automobiles européens pourraient perdre plus de 7 Md EUR de résultat net chaque année d’ici 2030 du fait du recul de leurs parts de marché en Chine.
« Si les constructeurs chinois parvenaient à faire croître leur part de marché domestique à 75% d’ici 2030, cela générera un recul des ventes européennes en Chine de -39 %, ce qui est conséquent, explique l’analyste. Dans le même temps, si les véhicules importés de Chine s’arrogeaient 10 % du marché européen d’ici 2030, cela générerait un manque à gagner de -24,2 Mds EUR pour l’industrie automobile européenne, sans compter les effets en cascade pour les industries sous-traitantes de l’automobile ».
Que faire pour les Européens ? « Afin d’atténuer cet impact, les autorités européennes pourraient être tentées d’intervenir en renégociant les traités commerciaux avec les États-Unis et la Chine, en développant les infrastructures de recharge pour démocratiser l’accès aux VBE, voire en encourageant les constructeurs chinois à s’implanter industriellement en Europe », avance Aurélien Duthoit. Tesla a choisi l’Allemagne pour implanter son premier site de production en Europe, inauguré en mars 2022.
Les deux chercheurs du Cepii déjà cités sont sur la même longueur d’onde que l’analyste d’Allianz Trade sur ce point. L’industrie automobile repose en effet sur des écosystèmes très régionaux du fait de coûts de transport et de droits de douane élevés : le marché européen, dont celui de l’Hexagone, est ainsi alimenté par des usines implantées dans l’Union européenne ou à proximité, dans des pays disposant d’accords commerciaux avec l’UE (Turquie, Maroc). Face à la concurrence chinoise ou à l’IRA américain, pour un pays comme la France, « l’enjeu est donc bien plus d’attirer les prochains investissements de Kia, Honda, MG ou BYD en Europe face à l’Espagne, l’Allemagne, les pays d’Europe centrale ou encore le Maroc, et de favoriser la transition des sites français des véhicules thermiques aux véhicules électriques », estiment Thierry Mayer et Vincent Vicard.
« L’automobile est une industrie de volume et pour être compétitifs dans les véhicules à batteries, il faut massifier la production en Europe », estimait récemment le directeur général de Valeo Christophe Périllat. On ne peut que le suivre sur cette voie.
CG
*Cette note est en ligne sur le site du Cepii : cliquez ICI