Avec l’électrification et l’autonomisation, l’industrie automobile mondiale est à l’aube d’une redistribution des cartes sans précédent. Face à la concurrence chinoise, les acteurs européens sont engagés dans une course contre la montre technologique, mais la bataille n’est pas perdue d’avance, a estimé le directeur général de Valeo Christophe Périllat, invité à s’exprimer le 21 avril sur les transformations technologiques du secteur à l’Ifri, dans le cadre d’un partenariat entre l’institut et l’équipementier.
« Si vous avez aimé les crises de ces trois dernières années, vous allez adorer celles des dix prochaines, lance Christophe Périllat, paraphrasant « le discours de vérité » qu’il tient à ses équipes. Depuis la Ford T, l’industrie automobile s’est développée par amélioration continue, mais avec les évolutions technologiques actuelles, certains acteurs vont disparaître, d’autres apparaîtront où se renforceront. Nous allons vers une transformation totale, darwinienne du secteur. »
Le ton est donné…
En cause, l’avènement de l’électrique à la faveur d’une nécessaire décarbonation de la mobilité. « Le transport terrestre produit 18 % des émissions mondiales de dioxyde de carbone », rappelle le dirigeant. Ces nouvelles motorisations, sans émissions directes, sont largement soutenues par les autorités, en Amérique du Nord comme sur le Vieux Continent. Mi-février, le Parlement européen a ainsi voté en faveur de l’interdiction des ventes de véhicules thermiques neufs à compter de 2035.
La Chine en embuscade
D’autres technologies constituent pourtant des alternatives plausibles. « Nous avons choisi de nous concentrer sur les véhicules à batteries car c’est la solution la plus efficace au roulage, explique Christophe Périllat. Avec 15 kilowatts-heure, on parcourt 100 kilomètres en électrique, 35 en hydrogène et 10 avec des carburants dits neutres ou synthétiques. »
Reste que cette motivation environnementale n’explique pas à elle seule l’essor des motorisations électriques. « Cette technologie séduit des pays ne produisant pas de pétrole et n’ayant pas une bonne maîtrise des moteurs à combustion. Designer un moteur classique est complexe : il doit y avoir dans le monde environ 200 ingénieurs qui en sont capables. »
Parmi ces pays figure évidemment la Chine, où les voitures tout électrique représentent 20 % des ventes, contre 12 % en Europe. Selon l’Association chinoise des constructeurs automobiles, les ventes sont passées de 1,3 millions à 6,8 millions d’unités entre 2021 et 2022. Aux États-Unis, 800 000 voitures électriques se sont vendues l’an dernier.
« Les Chinois vont très vite, constate le directeur général de Valeo, présent sur ce marché depuis 30 ans. Le pays est le premier marché mondial de l’automobile avec 26 millions de voitures produites sur place par une centaine de constructeurs et à destination des consommateurs chinois. »
Nombreux, les constructeurs locaux gagnent du terrain. « Le marché est scindé en deux avec d’un côté des constructeurs européens en joint-venture qui représentent 60 % de part de marché et, de l’autre des entreprises purement chinoises dont la part est de 40 %, mais qui a grimpé à 53 % au début de cette année, détaille Christophe Périllat. En revanche, BYD fabrique 2 millions de voitures quand Volkswagen en produit 8 millions. Les entreprises chinoises n’ont pas la taille de leurs concurrents occidentaux, donc la messe n’est pas encore dite. »
Des consommateurs européens attentistes
Dans l’électrique, la Chine assure désormais 50 % de la production mondiale et commence à peine à exporter des modèles à des prix défiant toute concurrence, principalement à destination de la Russie et de l’Amérique latine et de manière épiphénomènale en Europe.
« L’automobile est une industrie de volume et pour être compétitifs dans les véhicules à batteries, il faut massifier la production en Europe », estime le dirigeant. Il y a cependant loin de la coupe aux lèvres, tant la Chine a pris de l’avance. En outre, encore faut-il que la demande soit au rendez-vous.
Selon les projections de S&P Global Mobility pour 2023, cette demande devrait augmenter de 7,4 % en Europe, à 13,9 millions d’unités, mais il n’est pas sûr que ce regain de dynamisme profite à l’électrique. Pour Colin Couchman, directeur des prévisions des ventes automobiles de ce cabinet d’analyse, « l’évolution de la transition vers l’électrification apporte une incertitude supplémentaire, concernant les prix des véhicules notamment. Sans compter la disponibilité mal assurée des modèles, l’attentisme des clients et les constructeurs chinois qui rôdent. »
Dans un contexte de forte inflation, les consommateurs européens pourraient bien ne pas résister aux prix moins élevés des modèles chinois s’ils venaient à être commercialisés dans l’Union européenne. BYD, à l’origine fabricant de batteries avant de se lancer dans la production de véhicules, vient ainsi de dévoiler sur le salon de l’automobile de Shanghai la Seagull. Cette petite citadine ne coûte qu’entre 10 000 et 12 500 euros…
C’est donc dans une course contre la montre que sont engagés les constructeurs européens, et les équipementiers avec eux, mais pour Christophe Périllat, « il faut garder le cap ».
Sophie Creusillet