« La France euthanasie ses PME depuis 30 ans. Mieux vaudrait baisser leurs charges et le coût du financement que de s’en prendre au modèle allemand de compétitivité, fondé sur l’export », affirmait, le 1er juin, René Lasserre, directeur du Centre d’information et de recherche sur l’Allemagne contemporaine (Cirac), lors d’une séance de travail de la délégation du Sénat à la prospective, consacrée au « couple franco-allemand ».
L’Allemagne réalise ainsi 40 % de son produit intérieur brut (PIB) à l’export, un chiffre qui atteint même 60 % pour l’industrie manufacturière.
En France, les coûts salariaux sont plus élevés qu’en Allemagne. D’après l’étude « Enrayer la divergence de compétitivité entre la France et l’Allemagne », remise au début de l’année par le cabinet COE Rexecode au ministère français de l’Industrie, entre 2000 et 2008, les coûts salariaux complets (avec les charges) ont augmenté de 28 % dans l’Hexagone et de 16 % outre-Rhin. En outre, la composante des charges sociales sur les salaires est nettement supérieure en France (44 % du salaire brut contre 30 % outre Rhin).
Depuis dix ans, l’Allemagne mène une politique de modération salariale. « Une économie européenne ne peut pas se permettre de ne pas être compétitive dans une économie mondialisée. Et le modèle allemand est un modèle raisonné, accepté par toute la population », expose René Lasserre. « Ce n’est pas un exemple, affirme au contraire Gilbert Cette, professeur à l’Université de la Méditerranée, parce que cette politique de décrochage des coûts salariaux n’est pas le résultat de gains de productivité qui favorisent la consommation. » « Il n’y a pas de gains de productivité. Il n’y a donc pas non plus de gain de bien-être », renchérit Xavier Timbeau, directeur du département Analyse et prévision de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE).
Pour l’expert de l’OFCE, en définitive, « l’Allemagne ne réalise pas une performance économique si grande et si supérieure à celle de la France ». Certes, reconnaît-il, elle affiche une évolution supérieure de son PIB. En revanche, s’agissant de la consommation, « c’est mieux en France », affirme Xavier Timbeau, qui se déclare aussi « troublé » par le fait que « le modèle social de l’Allemagne génère autant d’inégalités ».
« Certes, il y a eu peu de gains de productivité jusqu’à présent en Allemagne », concède Denis Ferrand, le directeur général de COE Rexecode. Mais, insiste-t-il, « la politique allemande de désendettement et de restauration des profits des entreprises, menée depuis 2000, a permis déjà, dans une première étape, de mobiliser tout l’emploi disponible dans le pays et de relancer l’investissement ». Ainsi, « depuis 2007, 1,7 million d’emplois ont été créés en Allemagne », assure René Lasserre. Selon Denis Ferrand, « la deuxième étape sera de mobiliser le capital, ce qui permettra alors des gains de productivité ».
François Pargny
La France et l’Allemagne en concurrence
« La France vendra toujours plus de sacs à main et l’Allemagne plus de machines. Mais ce qui compte, c’est que, depuis les années 2000, l’Allemagne gagne des parts de marché sur les positions fortes de la France, alors que la France a arrêté de gagner sur les positions fortes de l’Allemagne », explique Lionel Fontagné, conseiller scientifique au Centre d’études prospectives et d’informations internationales (Cepii). Or, ajoute-t-il, « la probabilité que la France et l’Allemagne entrent directement en concurrence est élevée, de l’ordre de 80 % ». Selon lui, « la distribution sectorielle de la France à l’étranger est plus concentrée, avec un petit nombre de champions nationaux ». Résultat : en matière de diversification ou de « capacité à exporter plus de produits et dans plus de marchés », l’écart est de 20 % en faveur de l’Allemagne.
Enfin, « les sociétés allemandes importent des produits intermédiaires, qui sont indispensables à la compétitivité, pendant que les entreprises françaises achètent des biens de consommation », remarque Lionel Fontagné. Au demeurant, l’Allemagne étant le voisin de nations à bas salaires, ses entreprises, selon le chercheur français, « utilisent les pays de l’élargissement européen pour produire avec un avantage compétitif ».
Enfin, dernier atout des entreprises d’outre-Rhin, quand elles s’implantent à l’étranger, elles créent de plus grandes filiales et, de surcroît, dans l’industrie, alors que leurs homologues de l’Hexagone se dotent de sociétés de services de plus petite taille, dans la vente ou les « facilities » (équipements tels le traitement de l’eau…).
F. P.