La Covid-19, le ralentissement économique et la méfiance croissante qu’elle suscite face à la montée de l’endettement des pays partenaires ont-elles eu raison de l’initiative Belt Road Initiative (BRI) de la Chine, surnommée les « nouvelles routes de la soie » ? C’est à cette question que tente de répondre Michel Beaugier, président de la commission Asie et administrateur des Conseillers du commerce extérieur (CCE). Pour lui, loin d’être à l’arrêt, ce grand projet global s’adapte au contraire à la nouvelle carte géopolitique. Explications.
De nombreuses questions sont légitimement posées sur la santé économique de la Chine depuis la fin de la pandémie, sur les conséquences de la crise de l’immobilier (avec la faillite d’Evergrande), le découragement social, le chômage croissant des jeunes, le vieillissement de la population, la victoire des mouvements indépendantistes à Taiwan, la mise au ban de la Russie, les manœuvres d’intimidation autour des iles contestées de la mer de Chine et le taux de croissance 2023 du PIB a 5.2%, pour certains décevants.
Force est d’admettre que ces sujet internes n’ont pas affecté le dynamisme et l’expansion de la Chine hors de ses frontières. La BRI a continué à se dérouler le long d’une voie tracée depuis plus de dix années et pavée de plus de 1000 milliards de dollars d’investissements. Tout au plus, s’est-elle adaptée aux contraintes économiques des pays récipiendaires (devrait-on dire partenaires ?).
Avec la GDI (Global Development Initiative), elle a également été pénétrée de nouveaux éléments liés au respect des droits de l’homme ou à la numérisation de l’économie. Elle a considérablement étendu son allonge géographique et son leadership avec une stratégie dite de « Global South » (Sud Global) qui s’est concrétisée par l’accueil de 5 nouveaux membres au sein des BRICS et l’inclusion de pays du Moyen Orient et d’Afrique.
La BRI a dû modifier la gestion de ses plans avec les économies émergentes et concéder, sous la pression entre autres du FMI, que « la Debt Trap Economy » (le piège de la dette) conduisant à l’affaiblissement de pays comme le Laos, le Sri Lanka, le Pakistan, le Népal, les îles du Pacifique, et plusieurs pays africains, n’était plus acceptable ni socialement ni économiquement. Mais le G7 et les contrepouvoirs à la BRI n’ont pas faits autant de chemin malgré les initiatives européennes (Global Gateway), américaines (Indo Pacific Economic Framework -IPEF et Partners in the Blue Pacific – PBP) et la plus récente IMEC (India-Middle East-Europe Economic Corridor).
Revenons sur plusieurs des points que je viens d’évoquer.
Les contraintes de la « Debt Trap Economy »
Les contraintes sur les budgets nationaux de pays comme le Laos, le Népal, le Pakistan, les bruits de corruption tels qu’en Malaisie ont sérieusement affecté la crédibilité de la BRI.
Dans des pays comme le Sri Lanka, le Monténégro ou le Laos, les coûts de certains projets ont été supérieurs au PIB et ont généré des dettes d’un montant équivalent. Le port d’Hambantota à Colombo fait maintenant l’objet d’une concession de 99 ans accordée à la Chine pour des emprunts qui pourraient ne jamais être remboursés.
Plusieurs projets ont dû être rééquilibrés voire reconsidérés dans leur totalité comme le China-Pakistan Economic Corridor (CPEC), des projets dans la zone économique de Boten au Laos, des voies routières et ferroviaires en Malaisie, au Vietnam ou encore en Zambie.
Un parfum de respectabilité
Avec le GDI cité plus haut, présenté en septembre 2021, et à la suite du BRI Forum d’octobre 2023, un nouveau verbatim a vu le jour.
Les projets sont maintenant développés « en coopération avec des partenaires et en harmonie avec le nouvel ordre mondial ». Le développement est maintenant « global », « responsable », « équitable », « respectueux de l’environnement ». Il est même question, pour certains projets, de neutralité carbone.
La BRI est également devenue éthique. Elle doit avant tout « bénéficier aux populations locales (people-centric), et privilégier l’inclusivité ». Il en est de même pour la Global Security Initiative (GSI), qui vise à séduire les pays du Sud dans un contexte d’escalade des tensions avec les États-Unis.
Sous ces nouvelles ombrelles, la BRI se couvre d’un parfum de respectabilité tout en essayant de s’éloigner des accusations de prédation exercée sur les budgets nationaux de nombreux pays émergents pour lesquels le coût des projets a généré des dettes d’une ampleur inégalée.
Cependant, les problèmes de sécurité que posent pour ses entreprises et ses expatriés les mouvements de résistance locaux (comme au Béloutchistan) ont poussé la Chine à mettre en place des forces de sécurité parfois propres mais le plus souvent sous traitées à des sociétés privées de sécurité employant des mercenaires chinois ou locaux.
L’expansion vers le Sud Global par les BRICS
La BRI s’est donc reroutée vers le Sud en prenant le leadership d’un « BRICS+ » augmenté de 5 nouveaux membres : l’Arabie Saoudite, l’Iran, les Émirats arabes unis (EAU), l’Égypte et l’Éthiopie ont rejoint le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud, les fondateurs à l’origine de l’acronyme [BRICS signifie Brasil, Russia, India, China, South Africa].
Nul ne doute que la Chine est à la manœuvre, car ni la Russie affaiblie, ni l’Inde toujours précautionneuse quand la Chine se fait trop vocale, ne souhaitent prendre la barre. Ce nouveau BRICS+ pèse 32 % du PIB et 45 % de la population mondiaux, à comparer au G7 qui affiche un PIB de 30 % et une population à 10 % du total mondial.
Avec le BRICS+, la Chine entrouvre la porte aux 3 géants des hydrocarbures que sont l’Arabie Saoudite, les Émirats et l’Iran, de quoi rebaptiser la BRI, « ORI » pour « Oil Road Initiative ». C’est une étape indispensable à la Chine pour ses tentatives de dédollarisation de l’économie.
Car, ne l’oublions pas, outre traiter des problèmes récurrents d’énergie, les BRICS+ souhaitent de nouveaux instruments de paiement et veulent échanger en monnaie locale. Xi Jinping, lui, rêve d’imposer sa devise, le yuan, comme monnaie internationale alors que le dollar compte pour 44 % des transactions sur les devises et maintien de ce fait sa domination sur la finance mondiale, le Yuan ne comptant que pour 5% seulement. A ce stade, la seule avancée tangible reste toutefois la création de la New Development Bank (NDB) qui souhaite se poser en alternative au FMI et à la Banque Mondiale.
Qui contre la BRI ?
Les BRICS+ se posent avant tout comme un contrepoids au G7 (États-Unis, France, Allemagne, Canada, Italie, UK et Japon).
Les projets IPEF et PBP (14 membres chacun) initiés par le gouvernement de Joe Biden sont particulièrement faibles pour ne pas dire inexistants et se concentrent sur la répartition des chaines de valeur.
Global Gateway, initiative sous l’égide de l’Union européenne (UE), propose des projets d’infrastructures portant également sur le numérique, le climat, l’énergie, la santé, l’éducation et la recherche. Avec 300 milliards d’euros d’argent public et privé sur la période 2021-2027, les montants restent toutefois sans équivalent avec ceux investis dans la BRI par la Chine. La moitié devraient être dépensée en Afrique, continent prioritaire pour l’Europe.
Le projet le plus symptomatique du désir de copier ou de contrer la BRI est celui de l’IMEC (India-Middle East-Europe Economic Corridor), lancé l’an dernier en marge du G20. Conjointement mené par l’UE, l’Inde, l’Arabie Saoudite, les EAU, les États-Unis, la France, l’Allemagne et l’Italie, il cherche à bâtir un couloir logistique entre l’inde et l’Europe. Ce corridor sécurisé passerait par l’Arabie Saoudite et la Méditerranée. Ce projet qui n’en est qu’à ses débuts semble être le plus pragmatique. De plus il offre à l’Inde un environnement de travail duquel la Chine est exclue. L’apparition de l’Arabie Saoudite de Mohamed Ben Salman (MBS) à la fois dans le BRICS+ et dans l’IMEC ne passera pas inaperçue.
Que faire pour nos entreprises françaises ?
Ni les cheminements de la BRI, ni la prise de volume des BRICS n’ont d’utilité directe pour nos PME françaises. Celles-ci devraient toutefois considérer l’utilisation judicieuse des accords de libre-échange (en anglais FTA pour Free Trade Agreements) existants afin d’éviter le paiement de droits et taxes inutiles et d’optimiser leur prix déjà plombés par des coûts de transports incontrôlables en raison des conflits ukrainiens et israéliens.
L’Europe est souveraine sur les négociations des accords de libre-échange pour le compte des pays membres. Seuls quatre accords sont signés et ratifiés à date en Asie avec le Vietnam, Singapour, la Corée du Sud et le Japon. Il existe cependant des accords de libre-échange entre tous les pays de l’Asean et la Chine.
Il est fondamental pour toutes les entreprises françaises de naviguer habilement dans le maillage des FTA et d’envisager les options de semi-production locale (remplissage, assemblage, fourniture locale de certaines matières premières…). Les droits de douanes vers les pays de destination sont accessibles sur le Market Access Data Base (MADB), un service en ligne de l’UE.
Michel Beaugier
Président de la commission Asie-Pacifique des CCE
Administrateur des CCE