📌L’essentiel : Depuis trois ans, la petite entreprise drômoise Moulins Alma Pro, fabricante de moulins à grains sur meule de pierre, s’est engagée dans une démarche structurée à l’international, accompagnée par la Team France Export dont le dirigeant est même devenu Ambassadeur. Après quelques déconvenues, les premières retombées intéressantes sont attendues principalement en Afrique.
🔑 Les clés du succès
-S’engager à l’international avec une offre claire et bien définie est le meilleur moyen d’éviter un échec cuisant d’entrée
-Ne pas baisser les bras au premier obstacle, au contraire, rectifier le tir et continuer à avancer
-Sortir de son isolement en développant son réseau entrepreneurial et en utilisant les dispositifs d’aide à l’export
L’Histoire
Un binôme fraternel pour passer de l’artisanat à l’industrie

Avant 2017, Manuel Garcia le reconnait bien volontiers, il ne connaissait rien à l’agriculture. Et pour cause, même si sa mère Marie était à la tête depuis une quinzaine d’années d’une petite entreprise de fabrication de moulins à céréales sur meule de pierre, lui avait choisi une toute autre voie : il était expert en « lean-manufacturing » (en bon français des méthodes d’optimisation de la production) pour les secteurs de la défense et de l’automobile, notamment.
Pourtant, il y a 8 ans, au départ à la retraite de Marie, il décide de s’associer à son frère, Sébastien, avec une ambition commune : faire passer un cap industriel à cette entreprise artisanale sans salarié.
Rapidement, reprise en main par ce binôme fraternel combinant l’expertise industrielle de Manuel et le savoir-faire technique de Sébastien, la petite entreprise drômoise avance pas à pas sur le chemin tracé par les deux frères.
Labo, show-room, innovations produits…
Des investissements dans un laboratoire et un spectromètre de masse sont lancés, un show-room permettant aux clients de venir tester sur place les moulins est créé et surtout, une forte dynamique d’innovation est impulsée.
Alma Pro lance, par exemple, un matériel permettant aux agriculteurs de moudre et de fabriquer leurs pâtes alimentaires à partir de leurs propres céréales pour une vente en circuit court. Des innovations sont également apportées sur la qualité de la farine produite, sur les performances énergétiques, etc.
« Nous avons un moulin qui, en utilisant uniquement l’énergie solaire, peut produire jusqu’à 250 kilos de farine par jour… », explique, avec une fierté visible et un enthousiasme plus que débordant, Manuel Garcia.
Cette nouvelle dynamique paye. Moulins Alma Pro a réalisé un chiffre d’affaires de deux millions d’euros en 2024 (contre 800 000 en 2017 à la reprise) et emploie aujourd’hui une dizaine de personnes. L’export est une aventure récente, mais de long terme.
Premiers pas à l’international sur un pavillon France au Maroc

Dans ce nouvel élan, Manuel Garcia décide de s’appuyer sur l’écosystème entrepreneurial local et se rapproche de ses acteurs, dont la CPME de la Drôme, la chambre de commerce et d’industrie (CCI), etc. Leurs experts l’incitent à protéger ses innovations, à se former à la protection industrielle avec l’INPI (Institut national de la propriété industrielle) et à monter en compétences en matière de gestion d’entreprise. Démarches que le jeune entrepreneur enclenche aussitôt.
Il ne le regrettera pas. En 2019, grâce à ce nouveau réseau, il est invité par la Région AuRA sur le pavillon France du SIAM (Salon International de l’Agriculture au Maroc), grand salon marocain de l’agro-industrie incontournable au Maghreb.
« Il s’agissait alors de notre véritable première expérience à l’export. Ma mère avait déjà vendu des moulins au Canada et au Japon mais il s’agissait de demandes entrantes, sans véritable démarche proactive », précise Manuel Garcia. « Nous sommes revenus sans commande mais nous avons perçu un gros potentiel à l’international. Nous ne nous sommes pas découragés car nous avions bien conscience que l’export se joue toujours sur un temps long ».
Surfer sur la notoriété d’un prix de l’innovation au Sirha Europain
C’est finalement trois ans plus tard, en 2022, que Moulins Alma Pro, passe vraiment à la vitesse supérieure sur la question internationale, en s’appuyant sur toutes les ressources du réseau : la CCI de la Drôme, la Team France Export, la Région et Bpifrance.
La PME obtient une première assurance prospection pour l’Allemagne et l’Espagne et part aussitôt à la conquête de ces deux pays, en s’appuyant sur une de ses innovations : un moulin spécifiquement dédié aux boulangers souhaitant produire au moins une partie de leur farine sur place, dans leur établissement. « Ce moulin a été conçu pour faire peu de bruit, peu de poussière. Il peut être installé devant les clients, dans une optique de transparence et de circuit court, explique le dirigeant. Il permet de créer une farine particulière ».
Et surtout, ce moulin a reçu le prix de l’innovation au Sirha Europain de 2022. « Ce prix nous a apporté une lumière incroyable, avec des demandes de renseignements du monde entier. Nous avons voulu profiter de cette mise en valeur pour nous déployer à l’international ».
Echec en Allemagne avec un trop-plein de nouveautés
Mais Manuel Garcia le dit sans ambages : la prospection en Allemagne s’est avérée un échec quasi-total.
« On attaquait l’international, on attaquait un nouveau marché en visant un nouveau public c’est-à-dire les boulangers et plus seulement les agriculteurs et on arrivait avec une innovation. Cela faisait beaucoup de choses nouvelles, analyse le jeune dirigeant. Résultat, nous n’avions pas une proposition très claire, il faut bien le reconnaitre. Quand on y réfléchit après coup, tranquillement, on peut admettre que ce n’était pas l’idée du siècle… ».
Et de raconter son premier salon en Allemagne, avec peu de visiteurs mais tout de même quelques contacts pris et un partenariat conclu avec un boulanger allemand, malgré la barrière de la langue. « Honnêtement, conclure des deals en Allemagne sans être germanophone, c’est très compliqué ».
En Espagne, contrer l’hostilité des meuniers, comme en France
La démarche a, en revanche, été (un peu) plus porteuse en Espagne. Avec toutefois des freins, que les frères Garcia n’avaient pas anticipé, un phénomène similaire à ce qu’ils ont connu en France.
« Nous n’avions pas imaginé cela mais les meuniers français ont grincé des dents, estimant que nous leur portions préjudice en vendant auprès de leurs clients boulangers des appareils leur permettant de se passer de leurs services, relate Manuel. En réalité, nous sommes complémentaires et il a fallu beaucoup d’explications pour faire passer le message. Le fait est que peu de meuniers acceptent de jouer le jeu, encore aujourd’hui, et de livrer les céréales aux boulangers afin qu’ils moulent eux-mêmes. Nous avons dû être persuasifs en évoquant la possibilité de mettre les agriculteurs clients en lien directement avec les boulangers prospects ou clients ».
La problématique s’est avérée exactement la même en Espagne. Jusqu’à récemment, très peu de meuniers espagnols ont accepté de fournir des grains. Et ce malgré ce que Manuel Garcia considère comme un important engouement de la clientèle espagnole, à la suite d’un passage dans une émission madrilène et la mise en avant par un influenceur.
« Sans les assurances prospection, nous n’aurions pas pu nous lancer sur ces projets. Même avec ces échecs ou semi-échecs, nous n’avons pas perdu trop d’argent », relativise toutefois le dirigeant.
Essai transformé en Côte d’Ivoire
Si Moulins Alma Pro poursuit ses efforts dans ces deux pays européens, elle nourrit des espoirs plus importants pour l’Afrique depuis fin 2022.
A l’époque, elle est emmenée par la Région AuRA sur un petit salon en Côte-d’Ivoire. « La demande est immédiate, la chambre d’agriculture nous demande des petits moulins à main, dans un objectif d’autonomie alimentaire. Mais finalement, nous sommes suivis par le CDT, le Centre de démonstration et de promotion de technologie, pour mettre au point des moulins plus complexes », explique le dirigeant. Le CDT est un organisme ivoirien dédié à la promotion de l’innovation et de l’entrepreneuriat dans l’agro-industrie.
Prometteur mais pas question d’y aller seul. Manuel Garcia précise se faire accompagner en Afrique par Business France afin de « ne pas renouveler les mêmes erreurs qu’en Allemagne où il ne connaissait pas la culture et les réseaux locaux ».
La PME drômoise est en train de terminer la conception du prototype soutenu par le CDT. « Nous avons pris un peu de retard du fait d’un marché français plus difficile cette année et qui nous occupe beaucoup, mais nous avançons » précise le dirigeant. Un volontaire international en entreprise (VIE) devrait être recruté probablement courant 2026 pour la Côte d’Ivoire.
Les marchés africains s’ouvrent
La question de l’autonomie alimentaire étant centrale sur le continent africain, d’autres pays se sont intéressés à Moulins Alma Pro. La participation à un programme accélérateur de Bpifrance et Business France a permis de multiplier les ouvertures.
La PME a ainsi été retenue dans le cadre d’un projet Fasep (dispositifs de subvention d’études et démonstrateurs géré par le Trésor) au Togo pour équiper une maison des services (avec duplication envisagée). Elle doit aussi livrer un POC (Proof of Concept) au Kenya où elle a été reçue à l’agence locale de l’ONU, grâce à des rendez-vous diligentés par Business France.
« Nous avions été retenus en 2023 par l’accélérateur BPI avec Business France, cela nous a permis de rencontrer beaucoup de monde, se réjouit Manuel Garcia. Nous avons bénéficié d’un réseau assez incroyable ».
Tout est encore en construction mais les lignes bougent plutôt vite à présent. « Pour l’instant, l’international ne représente que quelques % de notre chiffre d’affaires mais je suis persuadé que dans cinq ans, cela pèsera pour 70 %, estime le dirigeant. En Afrique, le besoin est énorme immédiatement mais il ne faut pas rater le coche par rapport, notamment, aux moulins chinois qui sont très offensifs en Afrique. Nos moulins sont dix fois plus chers, à nous de faire comprendre la différence de qualité ».
Manuel Garcia conclut son récit en glissant un conseil pour ce continent : « il faut être prudent en Afrique car souvent, nous avons un retour immédiat très enthousiaste mais en réalité, tout prend beaucoup de temps là-bas. Et puis, il faut être vigilant sur les financements, c’est pour cela que nous priorisons les commandes publiques ». Mais il n’est pas près de se dérouter de ce chemin.
📖✨🧠Les leçons :
- Lorsqu’on est novice à l’export et qu’on souhaite s’engager sur cette voie, il faut le faire savoir à l’écosystème local afin d’être invité sur des missions et se faire accompagner par des experts
- Chaque pays a ses spécificités, il est extrêmement complexe de se lancer seul sans connaissance précise de la culture et des besoins spécifiques, d’où l’importance de trouver du conseil
- L’ Afrique recèle un immense potentiel d’opportunités mais mieux vaut anticiper que les retours peuvent être très longs
Stéphanie Gallo