Le
ministre indien de l’Industrie et du Commerce Anand Sharma a annoncé le 25
novembre dernier la libéralisation du commerce de détail pour les grandes multinationales
étrangères. Et ce à la surprise générale, et après des années d’attente. Selon
le cabinet indien Technopak, qui fait autorité dans tout ce qui concerne les
modes de consommation en Inde, le marché du commerce a de quoi faire saliver
les géants de la distribution comme les grandes marques internationales. Il
devrait passer de 470 milliards de dollars cette année à 675 milliards en 2016 (voir l’étude en fichier attaché).
Jusqu’à
présent, les enseignes étrangères de distribution ne pouvaient s’implanter en
Inde que pour une activité de commerce de gros (cash & carry) réservée aux
professionnels. Propriétaire à 100%, comme l’autorise la loi, Carrefour a
ouvert deux magasins de ce type à New Delhi (décembre 2010) et à Jaïpur
(novembre 2011). C’est également le cas de l’américain Wal-Mart (9 magasins, en
association avec Bharti Entreprises) et de l’allemand Metro (8 magasins dans 5
villes). De son côté, le britannique Tesco s’est allié avec la filiale commerce
du groupe Tata. Il possède 6 magasins de cash & carry à son enseigne en
Inde et prodigue ses conseils à Star Bazaar, une chaîne de supermarchés
contrôlée par Tata.
Dans l’immédiat, ces premiers arrivés vont attendre que la
réglementation entre en vigueur et se précise. Un laps de temps qui profitera
peut-être à Carrefour pour trouver enfin un partenaire local alors qu’il n’a toujours rien conclu
avec l’indien Future Group. Pour l’instant, il ne semble pas que sa formule de
franchises à l’étranger sera
reproductible en Inde.
Pour
calmer les appréhensions des douze millions de petits commerces de proximité,
les kiranas, qui représentent 90% de la distribution, le gouvernement a annoncé
des règles de libéralisation assez strictes. Certes, les enseignes étrangères pourront
détenir 51% du capital dans le commerce de détail multimarques, et ceux à
marque unique pourront être contrôlés à 100%. Mais, outre qu’elles doivent
s’associer avec un partenaire indien tout juste minoritaire (49%),
l’investissement minimal est de 100 millions de dollars, dont la moitié doit être
investie dans les infrastructures logistiques (entrepôts, chaîne du froid, etc).
L’investissement est assorti de trois autres obligations : 30% de
l’approvisionnement devra se faire auprès de PME (une obligation qui reste à
être confirmée et précisée), les grandes surfaces ne pourront s’implanter que
dans des villes d’au moins un million d’habitants (une cinquantaine ont cette
dimension), et il y aura l’obligation d’employer du personnel indien (à
préciser, mais les grands de la distribution ont l’habitude de la pratiquer à
l’étranger). Le gouvernement de New Delhi y voit la possibilité d’éviter que
40% de la production agricole soit perdue, et cette nouvelle concurrence
pourrait enrayer l’inflation à deux chiffres des prix alimentaires.
A
ces règlements futurs, s’ajoutent une liste impressionnante de réalités qui ne
vont pas faciliter la vie des groupes mondiaux de la distribution qui voudront
tenter de s’implanter en Inde. Les Indiens sont habitués à manger de la
nourriture préparée du jour. Au point qu’à Mumbai (Bombay) les salariés du
quartier des affaires de Nariman Point se font livrer les repas préparés à leurs
domiciles. Il ne sera pas facile de les convertir à des aliments à conserver. Qui
plus est, alors que 80% de la population est hindoue, il y a de très nombreuses
prescriptions à respecter (végétarien, pas de préparation par des castes jugées
impures, etc).
En
outre, il existe déjà en Inde des chaînes locales de supermarchés, comme Future
Group qui affirme être le numéro un indien de la distribution. Tout en
protégeant leurs intérêts, elles pourraient être tentées de nouer des
partenariats avec les mastodontes mondiaux de la grande distribution, voire à
profiter de la nouvelle situation pour faire monter les enchères auprès des
groupes internationaux.
Plusieurs
Etats (Punjab, Uttar Pradesh) ont déjà annoncé qu’ils n’appliqueront pas cette
réglementation. De son côté, l’Etat du
Kérala, veut carrément légiférer pour interdire la grande distribution,
indienne ou étrangère, sur son territoire. Il faut aussi noter que les Etats
indiens imposent un «maximum retail price» sur les produits.
D’ores
et déjà, alors que des élections législatives sont prévues l’année prochaine,
la réaction immédiate sera politique. L’opposition au Parlement, ralliée par
certains petits partis qui soutiennent pourtant le Parti du Congrès, avec sans
doute les millions de propriétaires de kiranas ont prévu une journée d’action
aujourd’hui le 1er décembre. La mise en oeuvre de la nouvelle réglementation
pourrait s’en trouver retardée.
Jean-François
Tournoud
Pour en savoir plus :
Consulter les sites de Reliance Industries et de Carrefour India (la chaîne de cash & carry)
Lire la fiche pays Inde du Moci