📌L’essentiel : Clecim, fabricant ligérien d’équipements destinés à l’industrie sidérurgique, affiche un chiffre d’affaires de l’ordre de 50 millions d’euros. Il vient de remporter un marché de « plusieurs dizaines de millions d’euros » avec Tata Steel UK. Il y a deux ans, c’était avec l’Américain Nucor qu’il avait validé une commande de 30 millions d’euros. Comment expliquer ces succès au nez et à la barbe de concurrents affichant des chiffres d’affaires à 9 chiffres ? L’audace, répond Thomas Comte, son CEO.
🔑 Les clés du succès :
-Se concentrer sur les projets stratégiques
-Réussir à mettre un pied dans la porte
-S’associer au bon partenaire pour proposer une offre plus intéressante
Temps de lecture : 4 mn
L’HISTOIRE
« Trouver des voies de passage alternatives »
« Il faut trouver des voies de passage alternatives à celles de la taille et cela demande souvent de l’audace », lance Thomas Comte (notre photo en couverture) lorsqu’on l’interroge sur ses recettes pour réussir à positionner Clecim dans une compétition internationale autour de la fourniture d’équipements et lignes de production pour l’industrie sidérurgique.

Une compétition non seulement internationale donc (avec des concurrents directs majoritairement européens toutefois) mais aussi largement occupée par des mastodontes industriels. Clecim et ses 50 millions d’euros (Md EUR) de chiffre d’affaires (dont 90 % à l’international) doit en effet ferrailler avec des géants dont le chiffre d’affaires se chiffre plutôt en milliards.
En cette fin avril, le CEO de l’ETI ligérienne prend un peu de temps pour nous répondre mais il est assez occupé. Il doit préparer une visite très importante de son usine : le CEO de Tata Steel UK est en effet attendu quelques jours plus tard sur site, à Montbrison (42) pour le kick off d’un projet de grande envergure, majeur pour Clecim. Il s’agit d’un contrat de « plusieurs dizaines de millions d’euros » pour la fourniture, en consortium avec ABB, d’une ligne de décapage d’une capacité de 1,8 million de tonnes par an.
Cette ligne, dont la conception/fabrication/livraison va s’étaler sur les trois prochaines années, viendra remplacer une ligne de décapage assez ancienne. Elle consommera non seulement moins d’énergie mais aussi moins d’acides.
Se concentrer sur les projets stratégiques
La commande s’inscrit dans un vaste projet du sidérurgiste indien Tata au Pays de Galles, concernant la plus grande aciérie du Royaume-Uni, à Port Talbot : un programme d’investissement de 1,25 milliard de livres (Md GBP), soit environ 1,46 Md EUR (subventionné à hauteur de 500 M EUR par le gouvernement britannique) destiné à la modernisation et à la décarbonation du site.
Cette transition passe principalement par l’arrêt des hauts fourneaux (déjà effectif depuis l’automne dernier) et leur remplacement par des fours à arc électrique moins polluant. Un programme chahuté au Royaume-Uni car il génère la suppression de 3 000 postes mais il doit permettre, selon la direction de Tata de maintenir la compétitivité du site et 5 000 emplois.
Pour Clecim, la validation finale de la commande aura nécessité près de 15 mois de négociations et d’échanges. L’ETI a réussi un coup de maître : elle avait initialement été sollicitée indirectement, via un ensemblier, pour fournir seulement deux équipements mécatroniques de cette ligne. « En échangeant avec les équipes de Tata UK, ils ont constaté qu’on était en réalité capables de fournir l’ensemble de la ligne. Elles nous ont donc finalement qualifié pour nous positionner sur un champ beaucoup plus large de la compétition », raconte Thomas Comte.
Clecim a pu alors avoir la possibilité de faire valoir son expérience : ces 40 dernières années, l’entreprise a installé plus de 250 lignes à travers le monde, elle dispose aussi de 580 brevets. « Nous leur avons fait visiter des lignes que nous avons installées notamment en Asie, ils sont aussi venus voir dans notre usine comment nous travaillons. Nous avons noué, au fil des mois, des relations assez fortes entre nos deux équipes ».
Le dirigeant explique que Clecim s’est configurée en mode projet, dès le début. « Pour nous, ce projet était stratégique de par son ampleur et de par son positionnement européen. Nous avons donc mobilisé beaucoup de personnes en interne : une équipe technique, une équipe commerciale, la direction, mais aussi notre service supply, notre fonction finance puisqu’il fallait s’assurer que nous aurions bien les garanties associées des banques et de Bpi. Cela a représenté un travail intense, pendant presque deux ans, mais nous avons choisi de mettre les moyens pour gagner ».
Depuis son arrivée à la tête de Clecim, Thomas Comte a en effet délibérément choisi de répondre à moins de projets, moins d’appels d’offres mais de mettre le paquet sur ceux estimés comme « gagnables » et stratégiques.
Mettre un pied dans la porte
Cet investissement a donc payé. Il faut dire qu’en plus de sa persévérance et de ses références (notamment chez Tata en Inde), Clecim a su la jouer malin en proposant à Tata Steel UK, un contrat de pré-engineering.

« Je ne sais pas si nos concurrents avaient aussi formulé cette proposition, mais en tout cas, Tata Steel UK a retenu notre offre de pré-engineering, se félicite Thomas Comte. C’était intéressant pour eux car, pendant la phase de qualification pour la fourniture de la ligne, le projet avançait. C’est très important car ce projet est sensible et ne peut pas se permettre de subir des retards ».
Et pour Clecim, évidemment, cela lui a permis de mettre un pied dans la porte. « Même avec ce contrat de pré engineering, ils auraient pu choisir un concurrent pour la fourniture de la ligne mais cela a permis de renforcer nos liens et globalement, je pense que cela nous a permis de marquer des points en montrant notre créativité et notre réactivité ».
S’associer au bon partenaire pour proposer une offre différenciante
Il y a deux ans, Clecim avait déjà réussi un joli coup en signant un contrat de 30 M EUR avec le sidérurgiste américain Nucor pour le design, l’ingénierie de process et les équipements mécatroniques d’une nouvelle ligne de galvanisation de 700 mètres de long. « Pour ce marché, l’intensité concurrentielle était encore plus forte que pour le contrat avec Tata Steel UK, se souvient le dirigeant. Mais là aussi, nous avons su faire la différence en nous démarquant de nos très gros concurrents ».
Comment ? En s’associant avec Primetals, filiale de Mitstubishi : cette dernière fournissait la partie four, Clecim les process et la mécatronique. Ensemble, ils ont déposé une offre globale.
Une stratégie que les autres acteurs positionnés dans la compétition n’avaient pas vu venir : Primetals, ex-actionnaire de Clecim, avait cédé quelque temps auparavant l’ETI au fonds de retournement allemand Mutares (auquel l’entreprise appartient toujours). « Personne n’a pensé que nous pourrions nous associer pour travailler ensemble alors que nous n’étions plus liés par l’actionnariat » estime Thomas Comte.
Un véritable chemin de retournement
Ces commandes XXL viennent consolider le chemin de retournement entamé par Clecim il y a trois ans, après plus d’une décennie de pertes financières.
Dans un contexte économique difficile (même si l’entreprise rejoue désormais dans la cour des industriels bénéficiaires), le contrat signé avec Tata Steel UK va permettre le recrutement d’une dizaine de personnes à court terme, ce qui devrait faire franchir à Clecim le cap des 200 salariés. Et cela devrait continuer… L’industriel se dit déjà dans les starting-blocks concernant trois nouveaux projets importants de ligne en Asie.
« Aujourd’hui, l’Europe est un territoire stratégique pour nous mais il ne représente que 25 % de notre chiffre d’affaires, conclut Thomas Comte. L’année dernière, nous avons travaillé pour ArcelorMittal en France et pour plusieurs autres sidérurgistes en Allemagne et aux Pays-Bas notamment. Mais, la zone géographique où nous sentons le plus de traction aujourd’hui, c’est l’Inde, indéniablement ».
📖✨🧠 Les leçons :
- Une petite taille présente l’avantage de permettre beaucoup d’agilité et de réactivité
- Concentrer ses efforts sur quelques appels d’offres stratégiques plutôt que de s’éparpiller permet à Clecim de s’engager de manière importante sur chacun d’entre eux
- En s’associant avec des partenaires, Clecim propose une offre différenciante de ses concurrents
Stéphanie Gallo