Le 5 novembre, la Cour suprême américaine doit se prononcer sur la légalité des droits de douane réciproques décrétés par l’administration Trump. Le 31 octobre, le Tribunal américain du commerce international, institution fédérale basée à New York, a d’ores et déjà ordonné leur annulation sous dix jours. Pour l’économiste américain Nicholas Sargen, maître de conférences à Darden School of Business (University of Virginia) et consultant en économie chez Fort Washington Investment Advisors, au-delà des débats juridiques, c’est l’absence de clarté de la stratégie commerciale américaine qui pose le plus de problèmes. Celle-ci perdurera. Il s’en explique dans cette tribune proposée en exclusivité au Moci.
Cette année, la guerre commerciale s’est concentrée sur les droits de douane réciproques instaurés par le président Trump le 2 avril, puis modifiés le 7 août.
Les pays n’affichant pas d’excédent commercial bilatéral avec les États-Unis sont désormais soumis à un taux uniforme de 10 %. En comparaison, la plupart de ceux enregistrant un excédent ont reçu des taux réciproques de 15 à 20 %, tandis que certains, jugés moins coopératifs, se sont vu imposer des taux allant de 30 à 50 %.
Ces mesures ont été mises en place en vertu de l’International Emergency Economic Powers Act (une Loi fédérale américaine qui permet au président de réglementer le commerce en cas d’urgence nationale déclarée), qu’un tribunal fédéral a estimé être une utilisation abusive du pouvoir exécutif. La Cour suprême américaine doit entendre les arguments le 5 novembre, et une décision pourrait être rendue avant la fin de l’année.
D’autres textes législatifs utilisés par l’administration Trump
Entre-temps, le président Trump se tourne vers d’autres textes législatifs qui lui permettent d’imposer des droits de douane sur des produits, des secteurs ou des pays précis.
La loi la plus fréquemment utilisée par son administration est la section 232 de la loi sur le commerce (US Trade Act), qui autorise le secrétaire au Commerce à examiner l’impact d’une importation donnée sur la sécurité nationale. Le président s’en est déjà servi pour taxer des produits tels que l’acier, l’aluminium, le cuivre ou les pièces automobiles.
Le Président Trump a récemment annoncé de nouveaux tarifs sectoriels : 100 % sur les produits pharmaceutiques, 30 à 50 % sur les meubles, et 25 % sur les camions. Il a également indiqué que des enquêtes étaient ouvertes sur la robotique et sur les équipements médicaux destinés aux cabinets et aux hôpitaux.
Quel sera le taux de droit de douane effectif global ?
Au fur et à mesure que cette politique se déploie, une question centrale émerge : quel sera le taux effectif global des droits de douane américains, une fois les tarifs réciproques et sectoriels combinés ?
Les économistes de J.P. Morgan estiment que le taux moyen actuel s’élève à un peu moins de 16 %, contre 2,3 % à la fin de 2024. En tenant compte des nouveaux tarifs attendus cette année, ils anticipent un taux global compris entre 18 et 20 %.
Une autre interrogation concerne l’application de ces droits aux pays ayant signé un accord commercial avec les États-Unis au cours de l’été. La question se pose particulièrement pour le secteur pharmaceutique, où les produits de marque sont lourdement taxés, notamment pour les pays ne disposant pas d’usines sur le sol américain. Selon un responsable de la Maison-Blanche, l’administration respecterait les plafonds de 15 % prévus par certains accords commerciaux pour les médicaments.
Reste également à savoir si les droits de 100 % sur les médicaments de marque ne s’appliqueront qu’aux laboratoires n’ayant pas encore commencé la construction d’usines aux États-Unis ou annoncé de tels projets.
La question de l’impact des droits de douane sur les médicaments
D’après Reuters, les grands groupes pharmaceutiques mondiaux s’empressent d’accroître leur capacité de production sur le territoire américain. Les entreprises originaires de l’Union européenne, de la Corée du Sud et du Japon sont avantagées, car elles ont obtenu des accords limitant leurs tarifs à environ 15 %.
Les avis divergent toutefois sur les conséquences économiques de ces droits de douane sur les médicaments.
Des chercheurs de l’American Enterprise Institute estiment que près de 250 milliards de dollars d’échanges commerciaux sont menacés. Ils jugent que ces mesures pourraient augmenter le prix des médicaments et des assurances, accentuer le risque de pénuries, renchérir les coûts de production pour les entreprises utilisant des logiciels étrangers, et affaiblir la compétitivité des exportations américaines de médicaments finis.
D’autres spécialistes estiment au contraire que l’impact restera limité, car les médicaments génériques ainsi que les fabricants étrangers implantés aux États-Unis sont exemptés de ces taxes.
L’incertitude demeure élevée sur les taux définitifs
Les marchés financiers ont pour l’instant peu réagi à la multiplication des tarifs sectoriels, l’économie américaine ayant montré une certaine résistance. Toutefois, l’incertitude demeure élevée, car de nombreux pays poursuivent encore leurs négociations commerciales avec Washington. Dans l’attente de précisions sur les taux définitifs, les entreprises du monde entier diffèrent ou ajustent leurs décisions d’investissement.
Dans un rapport adressé à ses clients, Andy Lapierre, du cabinet Piper Sandler, estime qu’au rythme actuel, environ la moitié des importations américaines pourraient être soumises aux droits prévus par la section 232. Il ajoute que l’incertitude liée aux tarifs est appelée à durer, quel que soit le verdict de la Cour suprême sur la Loi sur les pouvoirs économiques d’urgence.
Si Trump obtient gain de cause, Andy Lapierre souligne qu’il n’est pas certain de la manière dont il traitera les secteurs actuellement sous enquête, tels que l’acier, l’automobile, les produits pharmaceutiques ou les semi-conducteurs, qui font déjà l’objet de traitements différents.
À l’inverse, si la Cour suprême juge que la loi sur les pouvoirs économiques d’urgence ne confère pas au président un pouvoir illimité, celui-ci ne pourrait plus imposer de droits universels ou réciproques. Dans ce cas, le taux effectif moyen des droits de douane serait nettement inférieur à son niveau actuel.
Cependant, les effets économiques seraient très différents si les tarifs sectoriels remplaçaient les tarifs réciproques, car les gagnants et les perdants varieraient selon le type de taxe appliquée. De ce fait, l’instabilité du commerce mondial pourrait se prolonger pendant plusieurs années.
Nicholas Sargen
Pour prolonger sur lemoci.com : Guerre commerciale : qu’attendre de la contestation des tarifs de Trump par les tribunaux

 
                