Petit à petit, grâce à un mixe de croissance organique et d’acquisitions, le groupe familial Mobilitas, spécialisé dans les services de relocation, de numérisation et d’archivage, se rapproche du milliard d’euros de chiffre d’affaires. Déjà présent dans 100 pays, il a annoncé début février le rachat de Santa Fe Holdings Limited, numéro 2 européen et asiatique de la relocation, basé à Londres, augmentant par la même occasion sa taille de 40 % ! Qu’est-ce qui explique cet appétit d’expansion à l’international ? Dans cet entretien exclusif accordé au Moci, Alain Taieb, fondateur et président du conseil de surveillance de Mobilitas et Samuel Mergui, qui a pris les rênes de Santa Fe dès le 5 février, expliquent les ressorts de la stratégie de croissance internationale de ce groupe qui fête cette année ses 50 ans.
Le Moci. Pourquoi cette acquisition du groupe Santa Fe alors que le groupe Mobilitas est déjà présent dans 100 pays avec une taille conséquente ?
Alain Taieb. La croissance externe a toujours fait partie de notre culture. Nous avons grandi grâce à une combinaison de croissance organique et de croissance externe et il n’y a rien de nouveau lorsque nous faisons l’acquisition de tout ou partie d’un opérateur. Le groupe Santa Fe n’est pas n’importe quel opérateur puisqu’il est numéro 2 en Europe et numéro 2 en Asie de son secteur. Nous nous connaissons depuis des décennies. Il est même plus ancien que nous puisqu’il a 70 ans d’existence, contre 50 ans cette année pour Mobilitas.
Nous sommes dans des pays similaires mais Santa Fe est aussi dans des pays où nous ne sommes pas comme l’Italie et l’Autriche, il y a donc des complémentarités géographiques. Surtout, ils ont des clientèles différentes des nôtres, avec une approche très anglo-saxonne des marchés, qui est assez efficace. Les complémentarités sont donc fortes et la croissance de nos parts de marché va être significative.
Samuel Mergui. Pour compléter, Santa Fe possède un savoir-faire élevé en matière de services de relocation (formalités d’immigration, gestion de la mobilité, recherche de logement, etc.), et nous comptons capitaliser sur ce savoir-faire pour renforcer la division relocation de l’ensemble du groupe.
A. Taieb : « Avec Santa Fe on passe à 700 millions » de chiffre d’affaires
Alain Taieb. C’est en effet une autre complémentarité : dans certains domaines, ils sont plus avancés que nous, dans d’autres, c’est le contraire. Ils ont surtout une approche marketing de la clientèle très anglo-saxonne. Ce groupe a été successivement anglo-saxon, suédois, danois, asiatique. Ils sont dans des sphères culturelles très intéressantes pour un groupe français, car ils ont leurs racines dans ces pays. Cela nous apporte une encore plus belle internationalisation, non pas en termes de sites mais en termes de mindset, de mentalité. Il est très positif d’enrichir le groupe de ces nouvelles cultures.
Le Moci. Vous êtes plutôt discrets sur les chiffres : combien pèse Mobilitas à présent ?
Alain Taieb. Notre groupe faisait 500 millions d’euros de chiffre d’affaires, avec Santa Fe on passe à 700 millions. Santa Fe représente 40 % de Mobilitas, c’est une belle acquisition qui modifie les lignes du groupe. Notre groupe, et il n’y en pas beaucoup dans notre industrie, se rapproche du milliard d’euros de chiffre d’affaires dans les années à venir, par croissance externe et organique. Et nous garderons tout le monde de Santa Fe, soit 1200 personnes, car ils ont tous des savoir-faire et des spécialités, des spécificités clients et marchés.
S. Mergui : « Disposer de différentes marques et les manager fait partie de la culture du groupe »
Le Moci. Santa Fe va-t-elle être conservée en tant que marque ?
Samuel Mergui. Exactement. Santa Fe restera indépendant, de même que sa marque. Disposer de différentes marques et les manager fait partie de la culture du groupe ; on l’a fait par le passé dans différentes géographies en Asie, en Europe ou en Afrique ou les marques cohabitent avec des managers et des équipes indépendantes. Pour ma part, je suis dédié à 100 % sur le projet Santa Fe, j’ai cessé toutes mes autres fonctions depuis le 5 février. Mon objectif est de faire grandir ce groupe, au sein du groupe Mobilitas certes, mais indépendamment de ses autres marques.
Le Moci. Y compris dans les pays où cohabiteront plusieurs marques du groupe, par exemple AGS ?
Alain Taieb. C’est un peu comme le groupe Accor qui possède souvent différentes enseignes d’hôtels dans un même pays. Ce n’est pas incompatible car on s’adresse à des parts de marché, à des spécialités, à des demandes de clients différentes. On laisse s’épanouir chaque marque, d’autant plus que certaines sont très anciennes. Stuttaford Van Lines en Afrique du Sud a plus de 150 ans ! C’est une institution dans ce pays.
Santa Fe, c’est la convergence de quatre ou cinq grandes marques américaines et européennes. L’une s’appelait Interdean en Europe, Global Silver Rock puis Interconex en Asie, et enfin Santa Fe. Tous ces grands noms de la relocation que vous ne connaissez pas ont convergé vers Santa Fe. En faisant son acquisition, nous avons acquis aussi les racines d’un ensemble très riche en termes d’image de marque, très développé en termes de marketing. Il serait idiot et criminel, voire les deux à la fois de toucher à ces joyaux. On ne change pas des équipes qui gagnent.
Est-ce que tout cela marche ensemble ? Absolument. Les synergies existent en termes d’achat, de finance, de gestion, tous ces éléments de back-office. Mais les opérations, le commercial, l’indépendance des marques et des stratégies sont pleinement assurées. C’est une volonté du groupe.
A. Taieb : « Être un groupe familial devient un élément de différenciation fondamental »
Le Moci. Combien a coûté l’acquisition de Santa Fe ?
Alain Taieb. Nous préférons ne pas communiquer sur ce point. Ce que je peux vous dire, c’est que ce groupe avait été racheté par le passé à un actionnariat familial par un investisseur financier dont la seule intention était de le revendre avec un gain important. Nous l’avons donc racheté à ce fond d’investissement et la grande différence aujourd’hui c’est que Santa Fe se retrouve dans le groupe familial qu’est Mobilitas pour 100 ans ! Après avoir changé souvent de mains ces dernières années, il va enfin bénéficier d’une stabilité fondamentale de son actionnariat. Cette stabilité est un élément qu’apprécient beaucoup nos clients aujourd’hui. Être un groupe familial devient un élément de différenciation fondamental.
Le Moci. Mobilitas a ouvert il y a quelques semaines son centième pays, avec le Laos. Le contexte international perturbé, marqué par les tensions géopolitiques, qui ont succédé à la crise Covid, ne refroidissent-elles pas votre volonté d’expansion ?
Samuel Mergui. Non, ça peut les ralentir mais ça ne change clairement pas la stratégie du groupe qui est de continuer notre plan de développement sur l’ensemble des activités et des métiers du groupe. Ce dernier est, dans son ADN profond, à l’international. C’est d’ailleurs un « mindset » que j’amène avec moi au sein de Santa Fe. Cette année, ma priorité est de stabiliser ce groupe mais notre ambition est de recommencer à ouvrir de nouvelles filiales dès 2025 et de poursuivre son développement.
Alain Taieb. Les crises que vous venez d’évoquer peuvent avoir un impact temporaire sur la performance du groupe mais, Samuel vient de le dire, cela ne remet pas en cause notre stratégie. En 2023, par exemple, après une année 2022 exceptionnelle, on a fait face à un énorme ralentissement des mouvements de cadres dans le monde. L’ensemble du secteur de la relocation en Europe, en Asie, aux Etats-Unis, a connu des baisses de 15 à 25 %. On est donc soumis aux conjonctures, qu’elles soient économiques ou géopolitiques. La crise Ukraine/ Russie ? Nous avions une filiale en Russie et une filiale en Ukraine, on a bien sûr été touché. Nous avons aussi connu de nombreuses crises en Afrique avec des marchés qui connaissaient des arrêts complets un temps, puis qui redémarraient quelques années après.
Il faut donc avoir des bouteilles d’oxygène bien pleines pour tenir assez longtemps en cas de crise. Si une entreprise est saine et stable, qu’elle a une bonne stratégie internationale et une bonne gestion, elle est capable de traverser ces crises. C’est notre cas.
« Notre déploiement international et notre diversification métier nous assurent la stabilité à long terme »
Le Moci. Le fait d’être mondial, présent dans différentes géographies, rend-il le groupe plus résilient ?
Samuel Mergui. Oui. Ce qui joue également, c’est la diversification des métiers du groupe. Quand vous avez une année 2023 marquée par une augmentation de l’inflation et des taux d’intérêt, affectant les projets d’investissement des entreprises, quand vous avez des crises géopolitiques comme celles qui ont été mentionnées, la première activité du groupe affectée est la relocation. Mais les deux autres pôles d’activité, développés dans le cadre d’une stratégie de diversification métier menée depuis une vingtaine d’années, que ce soit l’archivage physique et numérique, ou l’archivage patrimonial porté par Memorist, sont plus perméables à ce genre d’événements, et donc plus résilients.
Le Moci. Quelle est la part de chacun des trois pôles métiers aujourd’hui ?
Alain Taieb. La répartition des effectifs est plus parlante que le chiffre d’affaires : la relocation/déménagement représente 4000 personnes, l’archivage physique et numérique 1500, et la partie héritage 300. La mobilité représente encore environ 75 % de notre chiffre d’affaires.
Le Moci. Qu’est-ce qui explique le succès de cette diversification métier ?
Alain Taieb. L’archivage physique et numérique, que nous avons commencé à développer il y a une quinzaine d’années, s’adresse à une clientèle d’entreprises désireuse d’externaliser cette activité, comme les banques, assurances, etc. L’activité d’archivage patrimoniale, que nous appelons « héritage », que porte Memorist, a été lancée plus récemment, il y a huit ans.
L’un de nos cœurs de métier, c’est la logistique, l’organisation et la gestion du transport et d’entrepôts. L’archivage, c’est aussi de la logistique d’une certaine manière, ce n’est pas un métier radicalement nouveau. Comme nous étions sérieux et international dans la délivrance du service, cela a marché auprès de nos clients qui avaient besoin d’emmener avec eux leurs partenaires. Cette activité n’a pas du tout été touchée par la Covid.
Quant à la partie Memorist, c’est un marché complètement différent mais là encore, nous l’avons développé très vite avec un prisme international. Nos clients ce sont des musées, des fondations, des archives nationales, des ONG. On numérise des documents qui ont 200 ans, des livres qui en ont 400, des films tournés il y a plus d’un siècle, des toiles anciennes, des objets en 3D… Pour vous donner quelques exemples, on a numérisé toutes les archives de la SDN, l’ancêtre de l’ONU. On a aussi numérisé la flèche de Notre Dame en 3 D, heureusement avant l’incendie, ce qui a permis de fournir des plans pour la reconstruction…
Vous l’avez compris, on n’a aucun complexe à aller à l’international. La diversité de notre groupe tant en géographies qu’en métiers, nous permet de traverser bien des tempêtes. Je retrouve ma casquette de Conseiller du commerce extérieur de la France car c’est quelque chose que nous disons souvent au sein de cette institution : diversification et développement international constituent la meilleure assurance tous risques contre les aléas extérieurs à la vie de l’entreprise.
Propos recueillis par
Christine Gilguy