Gare aux conséquences d’une nouvelle ponction budgétaire ! Alain Di Crescenzo, président de CCI France, chef d’entreprise et ancien président de la CCIR d’Occitanie, le martèle à chaque occasion : pour mettre en œuvre l’ambitieux plan de soutien « Osez l’export » lancé fin août par Olivier Becht, le ministre délégué en charge du Commerce extérieur, les Chambres de commerce et d’industrie (CCI) sont une cheville ouvrière de la Team France Export, aux côtés de Business France, assurant 80 % des opérations de préparation et de projection des PME à l’international. Dans ce contexte, la perspective d’une nouvelle baisse de leurs ressources budgétaires issues de la taxe pour frais de chambre, inscrite dans le projet de Loi de finance pour 2024 (PLF 2024), joue comme une douche froide. Dans cet entretien exclusif accordé au Moci, le président de CCI France revient sur la manière dont les CCI se mettent en ordre de marche toute en mettant en garde contre un risques d’échec en cas de nouvelle ponction budgétaire.
Le Moci. Comment le réseau des CCI, un des piliers de la Team France Export (TFE), se met-il en ordre de marche pour mettre en œuvre le plan Osez l’export du gouvernement français ?
Alain Di Crescenzo. Avec Business France, nous avions déjà avancé des pistes d’amélioration de notre fonctionnement lors du renouvellement de notre convention, l’an dernier. L’une des pistes retenues est de jouer sur un effet de levier important entre des équipes très opérationnelles et d’autres, qui viennent plus en appui et amènent des leads en interne. Les premiers, ce sont nos spécialistes de l’international, 335 ETP [Ndlr : équivalents temps plein] au total dont 130 Conseillers international (CI) sont au sein de la Team France export (TFE). Et pour l’appui, nous avons une équipe de 3 500 conseillers généralistes. Nous nous sommes désormais organisés pour que nos CI puissent agir et répondre rapidement aux besoins des entreprises qui ont la capacité de se tourner vers l’international. Le reste de nos conseillers sont, quant à eux, très vigilants pour détecter et orienter les entreprises qui ont du potentiel à l’export.
Cette répartition des tâches doit nous permettre d’accomplir nos trois missions : préparer nos entreprises à l’international, les projeter à l’international, et faire remonter des leads, c’est-à-dire des contacts qualifiés d’entreprises ayant un potentiel d’expansion à l’export. Pour faire cela, nous avons un vivier d’environ 30 000 entreprises. En 2022 notre réseau des CCI a ainsi organisé 934 événements sur tout le territoire pour qualifier ce vivier, souvent des entreprises qui ont un potentiel à l’export mais qui l’ignorent.
L’objectif, je le rappelle, est de préparer et/ou projeter 6 000 à 6 200 entreprises par an. Depuis le début de la TFE, le réseau des CCI assure 80 % des opérations de préparation et de projection. Chaque année, nous dépassons les objectifs, et nous allons encore les dépasser cette année. A fin août 2023, nous avons déjà réalisé 110 % de nos objectifs en matière de leads.
« C’est 3 600 personnes
qui assurent ce porte-à-porte »
Le Moci. Le ministre délégué au Commerce extérieur, Olivier Becht, parle de « porte-à-porte », c’est-à-dire d’aller quasiment dans chaque entreprise pour convaincre le dirigeant d’aller à l’international…
Alain Di Crescenzo. Vous l’aurez compris, c’est 3 600 personnes qui assurent ce porte-à-porte. Cela signifie que chaque fois qu’un conseiller rencontre une entreprise, il a dans son cahier des charges la mission de regarder si l’entreprise a la maturité pour l’international, et si c’est le cas, de l’amener dans notre vivier d’entreprises à préparer et à projeter.
Nous avons décidé d’intensifier nos actions de mobilisation des entreprises. Les 122 CCI du réseau se sont engagées à organiser chaque année au moins une journée ou une semaine de l’international. C’est dans notre cahier des charges. Nous avons commencé dès 2022, nous déployons ce dispositif en 2023 et nous allons l’accélérer en 2024. J’irai personnellement sur le terrain, dans toutes les régions, avec Laurent Saint-Martin, pour voir les entreprises et m’assurer que le dispositif est bien en ordre de marche.
Cette phase est importante : il s’agit de travailler « le vivier » pour remplir l’objectif fixé par le gouvernement d’atteindre 200 000 entreprises exportatrices. Et attention, il ne s’agit pas de celles qui font un coup et puis s’en vont, il s’agit de 200 000 exportatrices pérennes. Notre dispositif répond à cette attente puisque seulement 7 % des entreprises qui on bénéficier de notre dispositif de préparation / projection arrêtent ou font une pause.
« Le VTE est une mesure majeure »
Le Moci. Quelles sont les mesures du plan sur lesquelles le réseau des CCI va particulièrement s’impliquer ?
Alain Di Crescenzo. En premier lieu la mesure n°1 du plan, le VTE (volontariat territorial export), car elle est une réponse à une conviction que j’ai depuis de nombreuses années : l’international commence chez nous. Je sais de quoi je parle car j’ai, par le passé, développé une entreprise dans 22 pays. Si vous n’êtes pas prêt, c’est-à-dire si vous n’avez pas des produits aux normes, si vous n’avez pas l’esprit international, et le marketing du pays que vous voulez adresser, il vaut mieux rester chez vous. Une entreprise qui connaît un gros échec à l’international a du mal à y retourner car l’expérience n’a pas été concluante. Le VTE est une mesure majeure. On va s’investir massivement là-dessus pour faire en sorte que chaque entreprise qui est en mesure d’aller à l’international puisse bénéficier de cette offre.
Le Moci. Le VTE est en effet une des grandes nouveautés de ce plan export. Mais le V.I.E lui-même a encore du chemin à faire pour se faire mieux connaître des PME. Comment allez-vous vous y prendre ?
Alain Di Crescenzo. On peut constater en effet qu’un peu partout dans nos territoires, beaucoup d’initiatives sont captées par des entreprises qui ont les capacités de s’en saisir, soit essentiellement les grosses PME, les ETI et les grands groupes. Elles sont organisées pour ça. Or, le cœur de business des CCI, c’est la TPE-PME. Et avec le mot « Osez », et l’outil VTE, on va casser un frein qui est encore trop important dans les têtes des entrepreneurs : la taille. Je vous parlais précédemment de mon expérience de chef d’entreprise : lorsqu’on a commencé à s’internationaliser, on était trois. La petite taille n’est pas un problème à partir du moment où vous avez un produit robuste, un business plan, une ambition, des gens capables de porter le message à l’international. Et pour ce « faire savoir » à l’international, l’outil VTE sera fondamental.
Dans toutes les Régions de France, nous avons commencé à communiquer sur l’ensemble des treize mesures du plan export, y compris le VTE.
« Le VTE, l’e-export, les acheteurs étrangers, la formation, tout cela fait partie de l’international à la maison »
Le Moci. Quelles autres mesures de ce plan vous paraissent particulièrement adaptées pour les TPE-PME ?
Alain Di Crescenzo. Celle qui concerne l’e-export, autrement dit, faire de l’export depuis la maison. C’est la capacité à utiliser le e-commerce, les sites marchands, pour exporter. Mais que l’on ne s’y trompe pas : si l’entreprise n’est pas mûre, que le produit n’est pas aux normes, au bon prix, etc., ça ne marche pas. Il faut donc accompagner les candidats pour les préparer. Dans le même ordre d’idée, la mesure visant à multiplier les visites d’acheteurs étrangers nous paraît très intéressante : il faut qu’on les attire dans nos territoires et qu’on les emmène dans nos entreprises. Pour la mise en œuvre, il faudra qu’on s’articule bien avec les Régions de France.
Enfin, une autre mesure essentielle à nos yeux est la création d’une académie de l’export. L’international ne s’invente pas, il s’apprend. Les premiers formateurs après l’Education nationale ce sont les chambres de commerce. On forme déjà à l’international dans nos écoles de commerce et d’autres établissements. Nous voulons participer à cette académie de l’export avec des modules de formation dédiés à l’international, que nous allons démultiplier.
Le VTE, l’e-export, les acheteurs étrangers, la formation, tout cela fait partie de l’international à la maison, des actions qui peuvent être menée chez nous et cela me paraît relativement important.
Enfin, une autre mesure me semble particulièrement pertinente : la hausse de la subvention pour la participation à des salons étranger à 50 % des frais. A la foire d’Hanovre par exemple, j’ai eu l’occasion d’observer à plusieurs reprises que les délégations d’autres pays étaient plus fournies que les nôtres. Je pense à la délégation italienne, dont les entreprises ne payent rien lorsqu’elles participent à un stand collectif. Nous avons beaucoup milité pour cette mesure et nous avons été entendus, elle a été intégrée au plan export, il faut en remercier le ministre.
Team France export : « Il est aujourd’hui important d’y associer davantage d’autres acteurs »
Le Moci. L’objectif d’atteindre 200 000 exportateurs dans un horizon assez court, soit 50 000 de plus dans les trois ou quatre ans qui viennent, n’est-il pas tout de même trop ambitieux ?
Alain Di Crescenzo. Non, je ne crois pas que cela soit trop ambitieux. Depuis que nous accélérons, nous sommes passé de 120 000 à 145 700 entreprises exportatrices. Aujourd’hui, la Team France Export n’est plus un dispositif en création, et il marche. Son organisation est plus mûre, nous sommes mieux équipés. Il est aujourd’hui important d’y associer d’autres acteurs, dans l’esprit d’une TFE « élargie ». Ces autres acteurs, ce sont les Conseillers du commerce extérieur (CCE), les CCI françaises à l’international, toutes les organisations privées qui attirent et accompagnent les entreprises à l’international. Si nous parvenons à faire du lien, du vrai networking avec ces partenaires, l’objectif est à notre portée. L’enjeu est tellement important qu’il faut être un maximum à partager l’ambition, le dispositif et les actions. Nous avons un plan, des fondations, de la maturité, à présent, il faut monter en puissance.
Un autre levier pour atteindre l’objectif est la réindustrialisation et le plan France 2030, qui était déjà mentionné dans la convention que nous avons signée avec Business France il y a plus d’un an. Comme vous le savez, 80 % des échanges internationaux concernent des biens. Si vous n’avez pas de biens à échanger, l’export est compliqué ! C’est pour cela qu’il faut intégrer l’international dans la conception de l’accompagnement proposé aux entreprises lauréates de France 2030, s’assurer que les produits qu’elles vont développer seront internationalisables. C’est prévu dans le plan export, et cela nous permettra d’amener plus d’entreprises à l’international.
Si vous cumulez le plan export, les fondations et le niveau des équipes de la TFE, l’augmentation des produits compétitifs grâce à la réindustrialisation, je suis confiant que nous parviendrons à l’objectif des 200 000 exportateurs.
Le Moci. Il faut reconnaître que c’est la première fois qu’une stratégie de soutien à l’export se met aussi nettement en cohérence avec la stratégie industrielle, du bon sens…
Alain Di Crescenzo. C’est du bon sens mais il vaut mieux l’écrire, et c’est inscrit dans la convention que nous avons signée avec Business France depuis un an et demi. Et cela peut aller loin. Je participe en tant que président de CCI France au jury des Trophées du Made in France, organisés dans le cadre du salon MIFExpo. Il y aura trois nominés par département. A ces trois entreprises identifiées dans chaque département, nous avons décidé de proposer un accompagnement à l’international. C’est une première, à l’initiative des CCI.
« Nous ne pouvons pas avoir un euro en moins de taxe pour frais de chambre »
Le Moci. Venons-en aux choses qui fâchent. Vous êtes récemment monté au créneau pour vous inquiéter de la réduction des ressources affectées des chambres à la suite de la volonté du gouvernement de les réduire de 25 millions d’euros pour les porter à 500 millions dans le Projet de loi de finance 2024 (PLF 2024). Où en est-on aujourd’hui ?
Alain Di Crescenzo. C’est plus grave que cela. Dans les documents en annexe du PLF 2024, on nous parle de 100 millions de baisse sur quatre ans. Cela implique de nous séparer de 1 400 personnes, hors frais de restructuration, sur la partie service public à l’entreprise, qui pèse 4 100 personnes aujourd’hui. Si vous ajoutez les frais de restructuration, c’est la moitié de cet effectif qui sera touchée ! Inutile de vous dire que dans ces conditions, le service public à l’entreprise, c’est terminé ! Vous avez d’un côté des ambitions et des objectifs qui n’ont jamais été aussi importants, et de l’autre côté, on nous réduit les budgets là-dessus.
Attention, je souhaite rappeler que nous sommes républicains, que nous respectons les institutions. Mais permettez-moi de vous donner deux éléments de contexte pour que vos lecteurs comprennent bien pourquoi on ne lâchera rien là-dessus. Premièrement, en 2013, nous avions 1,315 milliard d’euros de taxe pour frais de chambre, aujourd’hui nous avons 525 millions d’euros. Jamais un établissement public n’a été soumis à une telle baisse de ses ressources. Nous avons fait face, nous avons restructuré, nous nous sommes adaptés. A tel point qu’en 2022, le réseau des CCI a accompagné près de 1,1 million de porteurs de projets d’entreprise entre la sensibilisation et l’accompagnement. Il a aussi formé 400 000 personnes. Et il gère 505 infrastructures régionales, ports, aéroports, etc.
Parallèlement, nous avons adopté une orientation client. Cela fait quatre ans que nous faisons mesurer notre NPS [Ndlr : probabilité de recommander une marque] par Opinion Way, un organisme indépendant : notre taux de satisfaction est de 8,3 / 10 et le taux de satisfaction de la relation client est de 8,9 / 10 !
Le troisième point que nous avons travaillé, c’est l’impact. Car vous pouvez faire beaucoup de choses, les faire bien, et ne pas avoir de résultat. Sur cet aspect, nous avons démontré que sur l’année 2022, pour 525 millions de taxe pour frais de chambre perçus, nous avons créé a minima 2,5 milliards d’euros de valeur. Cela signifie que chaque fois qu’on donne 1 euro à une chambre de commerce, elle créée 5 euros de valeur en moyenne.
Quelle est la situation aujourd’hui ? Nous avons fait des efforts significatifs, nous avons démontré notre utilité, nous sommes plébiscités par les entreprises et même par l’Etat puisque nous avons été en première ligne pendant le Covid, mais aussi pendant le plan de relance, pour les aides à l’énergie, etc. Et cette année on nous dit : on va baisser le budget. Etant entendu que du fait de l’inflation, si on ne fait rien, en 2026 on est mort, on n’a plus de fonds de roulement, plus de trésorerie. Nous avons enclenché une deuxième étape de transformation des CCI, mais nous ne pouvons pas avoir un euro en moins de taxe pour frais de chambre.
« On ne lâchera rien parce que nos entreprises nous demandent d’être là »
Le Moci. Avez-vous espoir de faire valoir vos arguments ?
Alain Di Crescenzo. Le nombre d’amendements déposés nous donne espoir. 357 amendements ont été déposés par six groupes parlementaires sur les huit que compte l’Assemblée nationale. Cela signifie que nous avons a 357 signataires sur 577 députés, autrement dit la majorité des députés en France s’oppose à ce que l’on continue de ponctionner les chambres de commerce et pense au contraire qu’il faut les soutenir parce qu’elles font un boulot que personne ne fait.
Pour répondre plus directement à votre question, oui je crois à la non-ponction de nos ressources liées à la taxe pour frais de chambre, et oui, on ne lâchera rien parce que nos entreprises nous demandent d’être là.
Le Moci. Dans l’hypothèse où le gouvernement ne reviendrait pas sur cette option, comment cela impacterait-il l’exécution du plan export ?
Alain Di Crescenzo. C’est très simple : on fait 80 % des opérations de préparation et de projection des entreprises à l’international au sein de la TFE, on ne tiendra pas nos objectifs et il y a de fortes chances pour que la TFE ne les atteigne pas non plus. La baisse d’effectif impactera non seulement l’export, mais aussi toutes nos actions sur la réindustrialisation, sur les compétences, la transition énergétique.
Propos recueillis
par Christine Gilguy