Paradis des marques de luxe et hub du commerce mondial aux confins du Moyen-Orient, de l’Afrique, de l’Asie et de l’Europe, l’Émirat a construit son succès non sur la rente pétrolière, à l’instar de son puissant voisin Abu Dhabi, mais grâce aux zones franches et à sa capacité à attirer investisseurs et talents étrangers. Via des politiques volontaristes, il souhaite aujourd’hui développer sa production industrielle et mettre l’accent sur l’innovation. Autant d’opportunités pour les entreprises tricolores.
C’est la ruée. « Les Émirats arabes unis sont en plein boum et nous assistons à un afflux d’entreprises françaises à Dubaï depuis le début de la guerre en Ukraine », constate Axel Barroux directeur régional de Business France au Moyen-Orient. Dans les bureaux de l’agence, en surplomb de la marina de Dubaï et de l’île artificielle Palm Jumeirah, le rythme de travail est soutenu. Force est de constater qu’alors que le monde se débat entre les conséquences de la crise sanitaire et celles de la guerre en Ukraine, l’émirat de 3,5 millions d’habitants affiche un dynamisme économique qui frise l’insolence.
Le PIB des Émirats arabes unis a en effet bondi de 7,6 % en 2022, selon la Banque centrale et devrait croître de 4,1 % cette année. Tout ne va pas non plus pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles sous le soleil du golfe Persique. Dubaï n’échappe pas à la flambée d’inflation qui s’est emparée du monde depuis un an. Selon Emirates NBD (l’un des plus grandes banques du Moyen-Orient), elle a atteint 4,7 % en 2022 et devrait encore augmenter de 3,5 % cette année.
Fait rarissime dans cette région du monde où les mouvements sociaux sont inexistants, la hausse du coût de la vie a conduit les livreurs travaillant pour des applications mobiles à organiser des grèves au printemps dernier. Dans le business, elle a particulièrement touché l’immobilier, pilier de l’économie dubaïote avec le tourisme et le pétrole.
Alimentée par le déferlement de riches investisseurs étrangers, en particulier russes, l’inflation touche aussi bien la location que l’achat. Les loyers se sont envolés de 22 % en 2022 et les prix de vente de 44 %, d’après le spécialiste britannique de l’immobilier Knight Frank. Les transactions se sont élevées à plus de 132 milliards d’euros (Md EUR) en 2022, en hausse de plus de 76 % sur un an, selon les autorités.
600 filiales françaises implantées dans les Emirats
Dans ce contexte, fidèle à sa réputation, Dubaï, où le revenu moyen mensuel dépasse 5 000 euros, est le paradis des marques d’ultra-luxe et ni la pandémie de Covid-19, ni les soubresauts géopolitiques du monde n’y changent rien. Selon le cabinet indien Mordor Intelligence, tous produits confondus (vêtements, chaussures, sacs, bijoux, montres et autres accessoires), le marché du luxe devrait croître de plus de 7 % par an dans les Émirats entre 2021 et 2026.
Les grandes entreprises tricolores du secteur sont évidemment présentes, mais également celles de l’hôtellerie, qui prospèrent sur le développement du tourisme. Avec plus de 50 établissements (dont 8 ouverts en 2021), Accor est le premier exploitant hôtelier de la ville où il compte également 120 restaurants et bars. Il doit ouvrir en 2024, avec le Koweitien Raj Sahni Group, un troisième Fairmont de 226 mètres de haut, 180 chambres et 120 appartements.
Mais le luxe et ses paillettes sont loin de résumer l’importante présence française. « Quelque 600 filiales françaises sont implantées dans les Émirats qui représentent notre quatrième excédent commercial, détaille Axel Barroux. Nous sommes le troisième investisseur direct étranger derrière le Royaume-Uni et l’Inde et la communauté française compte environ 40 000 personnes. » Agroalimentaire, banques et assurances, grande distribution, aéronautique et spatial, énergie et développement durable, transports urbains… Les grands noms du CAC 40 sont présents de longue date ans un large éventail de secteurs.
Une politique volontariste de grands programmes sectoriels
Pour développer une stratégie dans ce gigantesque hub commercial et financier, ces entreprises peuvent s’appuyer sur la multitude de programmes mis en place par les autorités pour diversifier l’économie et réduire sa dépendance à la rente pétrolière.
Dans un pays où la plupart des biens de consommation et d’équipement sont importés, une nouvelle stratégie industrielle baptisée « Opération 300 milliards », vise à tripler la contribution de l’industrie au PIB émirati et à renforcer l’export grâce à des partenariats avec les pays en développement, tels que l’Inde et la Turquie, via le « 10×10 program » (augmentation de 10 % des exportations vers 10 marchés stratégiques).
Dans les infrastructures, le programme « UAE Railway Program » prévoit de consacrer plus de 12,5 Md EUR à la création d’une connexion ferrée entre les sept Émirats qui constituent les EAU. Les infrastructures portuaires vont également bénéficier de programmes d’extension et de développement, tels que la « Dubai Maritime Vision 2030 » ou encore le plan stratégique « Fujairah 2040 », pour lequel le gouvernement a annoncé investir 380 M EUR, en vue d’étendre et d’améliorer les terminaux du port de la ville.
Cap sur l’innovation
Dans l’agroalimentaire, les autorités émiraties ont mis en place une « National Food Security Strategy 2051 » qui ambitionne de réduire la dépendance aux importations et ont créé en avril la Food Tech Valley, une zone franche dédiée aux technologies agricoles qui doivent permettre, à terme, de tripler la production alimentaire.
A Dubaï, où la pollution atmosphérique voile régulièrement le ciel, le site de l’Exposition universelle, qui s’est achevée en mars 2022, va être converti à 80 % en une smart city de 90 000 personnes mettant à l’honneur l’innovation dans la protection de l’environnement.
Objectif de ce dernier projet : attirer les savoir-faire étrangers, en particulier européens, dans le domaine de la ville durable, qui devrait participer à l’économie émiratie à hauteur de 30 Md EUR d’ici à 2031, selon une étude du cabinet Ernst & Young.
La recherche, le développement et l’innovation sont d’ailleurs les principaux axes de « l’économie du futur » que Dubaï souhaite implémenter sur son territoire d’un peu moins de 4000 km². Au Dubai Future District, la charge de décliner cette politique dans différents secteurs clefs comme les IT, l’éducation ou la santé.
Tous ces projets pourront s’appuyer sur ce qui a en partie fait la fortune de l’Émirat : les zones franches. Il en compte 45 dans des secteurs aussi variés que la logistique, le design, les médias, la santé ou encore les énergies propres.
Politiques volontaristes, faible fiscalité, financements généreux… Dubaï a su attirer les plus grandes entreprises de la planète, mais y a-t-il de la place sur ce marché hors norme pour les produits des PME et ETI tricolores ?
Des segments porteurs pour les PME et ETI…
Dans les biens de consommation, leur présence est bien visible. Le beurre de la coopérative Isigny Sainte-Mère est sur les tables des meilleurs restaurants de la ville. Alors que la consommation d’alcool est interdite aux musulmans, voire interdite tout court dans certains émirats, les exportations françaises de vins et spiritueux ont enregistré aux Émirats arabes unis en 2022 leur plus forte augmentation (+ 80 %, à 173 M EUR) grâce à l’hôtellerie-restauration et au duty free. Dans des filières moins attendues, comme le secteur équin, les Français font également florès.
La cosmétique tricolore marche également très fort : Business France a accompagné 110 entreprises sur le Pavillon France du dernier salon Beauty World, un incontournable pour toutes les entreprises mondiales du secteur. Puressentiel s’est fait une place de choix dans les rayons des pharmacies des Émirats grâce à ses produits anti-moustiques.
Mais la demande émiratie ne se limite pas aux produits de luxe et aux secteurs phares de la French Touch. Dubaï et l’ensemble des Émirats sont à la recherche de biens d’équipement. Et les PME et ETI françaises placent leurs pions.
L’ETI Bertin Technologies, spécialiste de l’instrumentation scientifique pour les applications critiques a ainsi signé début mars un partenariat avec le groupe industriel de l’émirat voisin d’Abu Dhabi, Al Masaood, dans le domaine nucléaire. Il permettra l’approvisionnement d’équipements pour la mesure et le contrôle de la radioprotection dans les centrales nucléaires. La centrale de Barakah, la première du monde arabe et à laquelle Dubaï est raccordée, est entrée en service en 2020.
… à condition d’avoir les reins solides
Créée en 2017 à La Rochelle, Solid Robotics a conçu et breveté la technologie Hose-Pull qui contribue à la flexibilité et à la facilité de déplacement des tuyaux d’eau en augmentant leur dynamique de mouvement. Cet équipement utilisé dans la lutte contre les incendies, en particulier dans les endroits dangereux, va être distribué aux EAU, mais aussi en Arabie saoudite, au Koweït, au Bahreïn, à Oman, au Qatar, en Égypte et en Irak grâce à la signature en début d’année d’un accord de coopération et de distribution avec le groupe Al Qudra, d’Abu Dhabi.
Il y adonc de la place pour les PME et les ETI sur ce marché. Mais à condition d’y être très bien préparé. « Dubaï est un marché ultra-concurrentiel et il faut des fondamentaux solides pour y réussir, ainsi que de solides références à l’international et une capacité à délivrer rapidement une fois un contrat signé, explique Flavie Paquay, directrice pays EAU au sein du bureau dubaïote de Business France. Il faut également disposer d’une stratégie à moyen terme et de beaucoup de patience. La culture de travail est très anglo-saxonne et les échanges se font en anglais, mais nous sommes en Orient et le relationnel est capital. Il est donc nécessaire de passer du temps avec vos partenaires. »
Moyennant quoi, un produit différenciant a toutes ses chances. « Les 10,5 millions d’habitants des Émirats sont curieux et voyagent beaucoup, ajoute Axel Barroux. Les distributeurs sont constamment à la recherche de nouveautés. Il est donc important de soigner sa communication et d’être visible, en particulier sur les réseaux sociaux. » C’est ainsi que des produits aussi spécifiques que le lait d’amande bio de La Mandorle et sa déclinaison en poudre pour les nourrissons (ligne Bébé M) a trouvé sa clientèle aux Émirats, où 11 % de la population locale est intolérante au lactose, selon une étude américaine.
Une fiscalité de moins en moins douce
Les natifs des EAU ne représentent que 12 % de la population totale (10 % à Dubaï). Pendant la pandémie de Covid-19, les Émirats ont perdu 2,3 % de leur population composée, donc, à très grande majorité d’étrangers. Dans ce pays dont le succès repose sur les talents étrangers, les autorités ont répliqué en 2021 avec une série de mesures visant à les attirer : green visa et exemption du sponsorship de l’employeur pour les personnes « hautement qualifiées », talent pass pour les travailleurs indépendants leur permettant d’obtenir un visa de résidence de trois ans ainsi qu’un espace de bureau au sein de la zone franche de l’aéroport (DAFZA). Et depuis le 1er juin 2021, les entreprises étrangères peuvent détenir 100 % de sociétés locales dans plus de 1 000 secteurs d’activité.
Un forum d’affaires Ambition Middle East en juin à Paris
Les marchés moyen-orientaux sont à l’honneur en France ce premier semestre 2023. Après le Sommet économique franco-arabe organisé le 15 mars dernier par la Chambre de commerce franco-arabe (CCFA), la Team France Export organise les 13 et 14 juin prochains un forum dédié au Moyen-Orient. Baptisé Ambition Middle East, il réunira décideurs, dirigeants et experts de la région autour de conférences thématiques (environnement, secteurs porteurs…) et de rendez-vous BtoB avec des donneurs d’ordres. Si le programme n’a pas encore été fixé, les entreprises intéressées peuvent dès à présent prendre contact avec Business France en cliquant ici.
Tout serait donc business as usual sous le soleil de Dubaï ? Pas tout à fait. Ces dernières années, les autorités émiraties ont impulsé d’importants changements dans le domaine de la fiscalité. Pour combler le vide laissé par la baisse du cours des hydrocarbures depuis 2014, le gouvernement a introduit de nouveaux impôts à partir de 2016 : taxes aéroportuaires, municipales et hôtelières ainsi que des droits d’accises sur le tabac, les boissons énergétiques (100 %) et les boissons gazeuses (50 %).
En 2018, s’est ajoutée la TVA de 5 % (contre 15 % chez le voisin et grand concurrent saoudien). Et 2023 sera l’année d’une petite révolution dans ce pays qui a fondé son attractivité sur une fiscalité douce (voire inexistante) : à compter de juillet prochain sera mis en place un impôt sur les sociétés, de 9 % sur les bénéfices nets supérieurs à 90 375 euros.
Du côté des droits de douane, avec un taux ad valorem de 3,7 % en moyenne, les barrières sont extrêmement réduites. Le taux standard appliqué depuis 2003 dans le cadre de l’Union douanière du Conseil de coopération du Golfe est fixé à 5 %. Plus de 420 catégories de produits sont exemptés de droits de douane, notamment les volailles et le bétail vivant, certaines denrées alimentaires, métaux précieux bruts, bateaux et avions.
Ainsi, la volonté du gouvernement émirati de favoriser la production locale ne s’est pas accompagnée d’une augmentation des barrières tarifaires. « Ce n’est absolument pas dans l’état d’esprit des Émirats, sourit Flavie Paquay. Ce pays a bâti son succès sur l’ouverture au monde et sa capacité à attirer les talents du monde entier ! »
Sophie Creusillet