Le métier de dépositaire pharmaceutique reste dominé en Europe par des schémas de distribution nationaux car les médicaments ne sont pas de produits comme les autres. Mais, sous l’impulsion des laboratoires et avec l’appui de géants de la distribution pharmaceutique que sont les groupes allemands Phoenix et Celesio ou le britannique Alliance Boots, le modèle est en train d’évoluer vers une distribution européenne.
Les logisticiens-généralistes qui ont spécifié une offre santé et bénéficient d’une couverture européenne (DHL, Geodis, FM Logistic ou Ceva Logistics sont parmi les plus actifs dans ce secteur) ne s’y trompent pas. Ils s’engouffrent sur ce marché en devenir. « Il est clair que la distribution pharmaceutique va s’internationaliser. Dans un premier temps, les laboratoires massifient leurs stocks nationaux comme nous le constatons en France. Mais ils réfléchissent déjà à une massification au niveau européen, comme l’on fait les secteurs de l’automobile, du high-tech ou des produits de grande consommation qui ont moins de contraintes en ce qui concerne la traçabilité ou les obligations de constituer des stocks de réserve », observe Laurent Parat, directeur général adjoint de Geodis Logistics.
Le mouvement ne fait que commencer. « Nous sommes de plus en plus consultés pour des dossiers paneuropéens », confirme Martin Gouda, vice-président Healthcare de Ceva Logistics pour le Nord de l’Europe. GlaxoSmithKline, le géant américain de la pharmacie, qui a mis en place un dispositif pour couvrir l’ensemble du territoire européen à partir de quatre entrepôts fait encore figure de précurseur. Mais sa démarche est suivie à la loupe par ses concurrents européens. « Par exemple, Novartis ou Teva nous ont consulté car ils réfléchissaient à la mise en place de centres de distribution européens pour approvisionner les grossistes des différents pays et centraliser leurs ventes directes aux officines », indique Laurent Cuiry, président de Phoenix France.
« L’avenir est à la création de hubs européens pour les médicaments lorsque les législations et le temps de réalisation le permettent, comme c’est déjà largement le cas pour les dispositifs médicaux ou les réactifs de diagnostic », considère Jean-François Fusco, directeur général pharmaceutique pour l’Europe de Aexxdis-FM Health Supply Chain. Merck possède ainsi en France un entrepôt qui dessert à la fois la France et l’Allemagne pour ses diagnostics médicaux. De même, Bayer Diagnostics distribue depuis une seule plate-forme la France, l’Italie, l‘Espagne et le Portugal.
Si la mise en place de plateformes logistiques régionales au sens européen devient un enjeu stratégique pour les laboratoires, c’est que plusieurs choses sont en train de changer.
« Grâce à la généralisation des AMM (Autorisation de mise sur le marché) européennes, la distribution des médicaments d’un pays dans un autre est grandement facilitée», observe Francisco Munoz, président d’Alloga France, la filiale dépositaire du groupe Alliance Boots.
Surtout, l’époque où le poids de la logistique pesait assez peu sur les profits de l’industrie pharmaceutique est révolue. Le temps où les laboratoires vivaient avec des marges très confortables appartient bel et bien au passé (lire « Pharmacie française, l’âge d’or est révolu », Le Moci du 26 avril 2012). « Les laboratoires réorganisent leurs activités logistiques pour faire des économies.
Or l’un des premiers coûts est celui de la possession des stocks. Les concentrer, c’est diminuer les coûts et retrouver du cash-flow », explique Jean-François Fusco. La pression est telle que de nouvelles solutions logistiques se mettent en place. Elles feront inévitablement la part belle à des schémas de plus en plus transnationaux.
Philippe Desfilhes
Les génériques et les « blockbusters » sont les premiers concernés
Les solutions massifiées au niveau européen se mettront en place parallèlement aux réseaux qui existent aujourd’hui dans la pharmacie. Celles-ci reposent sur un étroit maillage du territoire par les grossistes-répartiteurs. D’ores et déjà, l’OCP, filiale du groupe allemand Celesio, Alliance Healthcare, du britannique Alliance Boots, et la coopérative Cerp Rouen se partagent l’essentiel de la distribution des quelque 23 000 officines françaises.
Les centres européens serviront à alimenter les grossistes ou les officines en colis, voire carrément en palettes car les ventes directes aux officines sont en forte augmentation. Mais tous les médicaments ne sont pas éligibles à cette centralisation supranationale.
Les produits de biotechnologie ou les vaccins qu’il faut pouvoir livrer en quelques heures continueront à obéir à des logiques de logistique de proximité. En revanche, les génériques sur lesquels les laboratoires ont les plus faibles marges et les « blockbusters » qui bénéficient d’un effet volume seront les premiers produits concernés.
Ph.D.