Les Russes « ont faim » de marques étrangères. Une bonne affaire pour le haut de gamme français dans l’habillement, la maroquinerie, le parfum ou la cosmétique. Il y a aussi des marchés à exploiter dans le milieu de gamme, dans la pharmacie, l’automobile, la distribution et l’alimentaire. Reportage.
Dans sa Logan flambant neuve, Alexeï peste en tapotant son volant. Son client s’impatiente et, aujourd’hui à Moscou, le long serpentin des BMW, des Mercedes ou des 4×4 ne semble pas diminuer. C’est toujours le même échangeur qu’il aperçoit depuis une heure, les mêmes immeubles en construction. Pour un chauffeur de taxi, quelle malchance que ces flots de voitures qui s’évacuent au goutte-à-goutte !
Les belles étrangères connaissent un tel succès que la circulation est devenue impossible aux heures de pointe. « Chaque année, les marques internationales enregistrent une hausse de 60 % de leurs ventes en Russie », commente Jean-Michel Jalinier, directeur général de OAO Avtoframos, société contrôlée par Renault.
Entre le métro Maïakovski et la place Rouge, les nouveaux riches arpentent l’avenue Tverskaya, les Champs-Élysées moscovites, au volant de leur Bentley ou de leur Porsche. Moins de vingt ans après la fin du communisme, c’est toute une génération d’hommes d’affaires et de pionniers qui a émergé.
Aujourd’hui, le contexte économique est particulièrement porteur, l’argent des hydrocarbures irrigue l’activité, soutient la consommation et les indicateurs sont au beau fixe. La Russie manque de diversification, mais les cours de l’or noir sont au plus haut, ce qui est un atout. « Le pétrole et le gaz représentent 60 % à 65 % de nos exportations, les mines, 14 %, et il n’y aura pas de grand changement dans l’avenir. Les hydrocarbures représenteront toujours entre 20 % et 25 % du produit intérieur brut », prévoit Natalia Orlova, chef économiste à Alfa-Bank.
À côté des millionnaires, c’est toute une classe moyenne, avide de consommer des produits étrangers, qui profite de la manne financière. Natalia Orlova estime qu’elle représente environ 20 % des 140 millions de Russes. Chez Renault, on en donne une définition très précise. « À la base, la classe moyenne est constituée de foyers de plus de 40 ans, propriétaires de leur appartement, avec un salaire unique. Mais il faut aussi y ajouter les populations qui ont accès au crédit à la consommation, en particulier les jeunes qui vivent chez leurs parents et les jeunes cadres des sociétés occidentales qui ne sont pas propriétaires de leur appartement », précise Jean-Michel Jalinier.
Renault Crédit International (RCI) couvre ainsi les trois quarts de ses clients russes. Globalement, le crédit à la consommation ne touche que 10 % de la population. « Les Russes restent encore méfiants et nombreux sont ceux qui préfèrent encore payer cash », note Natalia Orlova. Mais au rythme de développement de ce mode (+ 30 % par an jusqu’en 2010), le nombre des acheteurs de produits étrangers va rapidement augmenter.
Dans les entreprises d’origine occidentale, les salaires sont relativement élevés. Chez OAO Avtoframos, les rémunérations des jeunes cadres sont les mêmes qu’en Espagne ou qu’en France. La Banque Société Générale Vostok (BSGV), première banque française (moins de 1 % de parts de marché, plus de 50 agences et 1 400 employés), accorde 700 à 800 dollars par mois à une secrétaire qui vient d’être embauchée et offre au minimum 2 500 à 3 000 dollars à un responsable d’agence. « Dans l’industrie financière, les salaires sont élevés, car il y a peu de personnel qualifié. Et l’arrivée des immigrants ne comble pas la baisse générale de la démographie dans le pays », constate Marc-Emmanuel Vives, Pdg de BSGV.
L’ envolée des salaires, malgré l’inflation (9 à 10 % par an), nourrit la consommation. « En moyenne, les salaires progressent de 10 % tous les ans depuis 2000 et ils ont même grimpé de 15 % pendant les sept premiers mois de cette année », affirme Jean-François Collin, chef des services économiques pour les pays de la Communauté des États indépendants (CEI). Le revenu moyen des Moscovites serait aujourd’hui de 1 200 dollars, selon le maire Iouri Loujkov, qui déclarait, le 14 septembre à un parterre de représentants de la communauté d’affaires occidentale, que son objectif est de porter le revenu moyen à 2 000 dollars en 2011. Il ne faudrait pas déduire de cette évolution favorable aux produits étrangers que la vie des Moscovites est facile.
Imaginez une jeune femme de 25 ans vivant avec ses parents dans un appartement grand comme « une cage à lapins » en périphérie de la ville ! Imaginez-la avec les coupures d’électricité et d’eau ! Imaginez-la emprunter en hiver, par une température de – 10°C, le minibus collectif, puis le métro pour rejoindre son lieu de travail au centre-ville ! Rêve et consommation se marient. Depuis la fin du communisme, la femme russe affiche sa féminité d’une façon qui pourrait surprendre, sinon choquer en Occident. À Moscou, c’est une femme moderne, à la recherche d’articles de qualité. « Nous sommes élégantes et aimons encore plus nous habiller que les Parisiennes », affirme sans ambages Tatiana Sibgatoulina, l’agent de marques de prêt-à-porter françaises (Devernois, Scherrer, Cacharel…).
Autre signe de modernité, l’émergence de la grande distribution. Très visibles dans les grandes villes, les centrales d’achat et les grandes surfaces ne représentent aujourd’hui que 7 % à 8 % de la distribution, toujours dominée par les marchés en plein air, « mais, à Moscou, c’est chez Auchan que l’on trouve la meilleure viande et le meilleur poisson ! Et ce, à des prix inférieurs de 40 % par rapport aux superettes et aux magasins du centre-ville », ajoute Pavel Chinsky, directeur général du Club France (Chambre de commerce et d’industrie française en Fédération de Russie).
Les marges sont écrasées (4 %), « mais les volumes sont suffisamment importants pour qu’en un an (2001) l’enseigne française ait égalé le chiffre d’affaires réalisé sur l’ensemble de la Pologne », complète un expert de la distribution. Alors que la restauration haut de gamme, les bars à vins et les épiceries fines se développent, le groupe Castel vient d’annoncer l’implantation de son enseigne de distribution Nicolas à Rostov-sur-le-Don. Cette ville située au sud du Caucase appartient au club des 13 métropoles de plus de 1 million d’habitants.
La France va ouvrir un consulat général, avec un représentant de la Mission économique, à Iekaterinbourg. C’est à côté de cette cité qu’une nouvelle ville va être construite. Une opportunité à saisir pour ceux, nombreux, Russes et Français, à croire au développement à venir des régions.
François Pargny, envoyé spécial en Russie