Avec ses 1 013 kilomètres (source : mont Gerbier-de-Jonc ; estuaire : bien au-delà de Saint-Nazaire), la Loire est, depuis toujours, le plus long fleuve de France. C’est aussi, depuis longtemps, le dernier « fleuve sauvage d’Europe ». Et depuis 2000, elle figure sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco « au titre des paysages culturels ». Pour le monde anglo-saxon, c’est la Loire Valley, sorte de quintessence de la culture et de l’histoire française ; une culture et une histoire qui ne peuvent être dissociées de ses vins. Ou plus précisément des vins qui sont élaborés sur ses coteaux et ceux de ses multiples affluents, soit un bassin de 117 000 km², un peu plus d’un cinquième du territoire français et le troisième vignoble de France.
Reste à savoir comment unifier une myriade de 69 appellations. Comment réunir une impensable mosaïque ? Nous parlons ici d’un territoire allant – “horizontalement” – de Nantes à Sancerre et qui réunit, sur différentes latitudes et en son sein généreux depuis les vins des fiefs vendéens jusqu’à ceux élaborés à proximité de Vendôme et, si l’on osait tirer sur la ficelle auvergnate, ceux de Saint-Pou-çain-sur-Sioule. L’interprofession viticole, comme toutes celles confrontées à une telle schizophrénie géographique, ampélographique et dénominative a trouvé un slogan rassembleur. « Vins de Loire ? Vins qui ont un fleuve pour terroir ». Pas mal. L’alexandrin sonne juste autant que le fleuve est long. Comment en saisir la portée, en percevoir la signification ? L’affaire est déjà bien délicate dans l’Hexagone. On s’y perd généralement dans les infinies segmentations viticoles du fleuve et de ses affluents, mais aussi dans le non-dit des appellations qui peuvent renvoyer à des cépages uniques (cabernet franc, sauvignon, chenin, gamay, melon de Bourgogne pour l’essentiel) comme à un éventail d’associations de cépages issues de la fin du Moyen Âge, quand Jeanne d’Arc quittant Chinon délivrait Orléans avant que quand le segment médian de la Loire ne devienne, sous les bénédictions royales, le
« Jardin de la France » ; une terre où les châteaux ont poussé entre les asperges et les vignes, où le safran voisine avec les truffes, Amboise avec Saumur, Vouvray avec Montlouis, Bourgueil avec Chinon, les carpes avec les lapins et les lièvres.
Tenter de faire le grand inventaire des vins de Loire, c’est, schématiquement les regrouper autour de trois grands pôles correspondant aux principales cités qui bordent le fleuve. Commençons par l’ouest pour remonter le fil des eaux. C’est Nantes tout d’abord, avec le muscadet et ses différentes déclinaisons ainsi, plus au sud que les fiefs vendéens. C’est ensuite le pôle Angers-Saumur, sans doute le plus complexe parce que le plus diversifié en appellations et offrant une palette très large, allant du simple anjou, jusqu’aux finesses schisteuse du cépage chenin dans l’appellation savennières et aux profondeurs liquoreuses de la marqueterie calcaire des berges du Layon et de l’Aubance. Viennent bientôt Tours et Amboise, réunissant Chinon et Bourgueil d’un côté, et de l’autre Vouvray et Montlouis-sur-Loire, ainsi que le Touraine et ses multiples facettes. Il faut ensuite dépasser Orléans et repiquer vers le sud pour atteindre les coteaux du Giennois et ce petit paradis à forte rentabilité réunissant le Sancerre et le Pouilly (fumé).
Cet inventaire serait incomplet sans les appellations quelque peu excentrées du fleuve. Sur la rive gauche les précieux confettis de Quincy, Reuilly, Menetou-Salon et Châteaumeillant. Sur la rive droite les blocs des coteaux du Vendômois et des coteaux du Loir.
Difficile à décrypter en France, cet écheveau viticole l’est bien plus encore à l’étranger. Les chiffres de l’association interprofessionnelle InterLoire en témoignent à l’envie : seule une fraction de la diversité viticole ligérienne est consommée dans un petit nombre de pays étrangers. Résumons ce qu’il en a été en 2010 et ce, grâce aux données gracieusement fournies par Fanny Gillet, responsable de l’observatoire économique d’InterLoire.
L’ennemi de toujours, le Royaume-Uni, demeure quoiqu’il lui en coûte le principal importateur en volume avec pour 2010 une augmentation de 21 % par rapport à 2009 ; un phénomène qui vient pour partie compenser une chute constante observée depuis près d’une décennie. Vins-phares d’Albion : le Sancerre (blanc) et les différentes déclinaisons du cépage sauvignon dans les espaces ligériens de Touraine et du Berry. Vient, en deuxième position le royaume de Belgique qui – pourquoi ?– préfère les tendres rosés d’Anjou associés aux vins de Muscadet. Les États-Unis sont — une nouveauté — sur la troisième marche du podium des importateurs (deuxième en valeur, troisième en volume) avec une prédilection pour les appellations de Sancerre (blanc)
et de Vouvray (“tranquille”).
Dans la foulée belge, l’Allemagne, bien plus intéressée par les bulles et la gentille effervescence (sous la dénomination Crémant de Loire), que par les blancs tranquilles. Puis les Pays-Bas, pour lesquels les rosés d’Anjou représentent la moitié des importations ; des Pays-Bas suivis par le Canada, un marché en progression où l’on ne cache pas un intérêt certain pour le muscadet.
En queue de peloton le Japon, la Suède, l’Irlande et notre voisine la Suisse. Au total les exportations ont ici, entre 2009 et 2010, augmenté de 15 % en volume et de 16 % en valeur. On se garde pourtant bien, entre Saumur et Tours, entre Nantes, Sancerre et Pouilly, d’évoquer une embellie. « Parlons plus simplement d’un bon symptôme, celui d’un retour de la croissance à l’exportation, résume Fanny Gillet. Nos exportations étaient passées de 540 000 hectolitres à 500 000 hectolitres en 2008 pour descendre à 370 000 hectolitres en 2009. Elles sont remontées, en 2010, à 430 000 hectolitres. Tous les espoirs sont donc à nouveau permis. »
Il reste néanmoins aujourd’hui à analyser et à comprendre, sur le fond, les véritables raisons de la surreprésentation à l’exportation des blancs (muscadet, sancerre et touraine) et – plus encore peut-être —
des rosés angevins avec sucres résiduels ; un phénomène d’autant moins compréhensible qu’existent ici d’autres rosés, de saignée ou pas, (de Chinon, de Bourgueil et de cette étonnante et microscopique appellation de “Noble-Joué”), généralement tenus (du moins sur les rives tourangelles de la Loire) pour être situés une ou deux marches au dessus dans la hiérarchie gustative et viticole. Il reste aussi à saisir les racines du « tropisme nordique » de ces exportations, tout se passant comme si les vins du « Jardin de la France » ne pouvaient, pour l’essentiel, être goûtés que dans les pays situés au Nord de ce fleuve.
Jean-Yves Nau