« America is back » ou « l’Amérique est de retour ». Avec cette phrase prononcée à la fois dans l’enceinte de l’Otan, lundi 14 juin à l’adresse de ses alliés, mais aussi dans les couloirs du Conseil européen, où il s’est entretenu, le lendemain, avec son Président Charles Michel et Ursula Von Der Leyen, la cheffe de la Commission européenne, Joe Biden tournait définitivement la page des années Trump. Une sorte de « reset » (réinitialisation) des relations commerciales transatlantiques, marquée par la trêve décrétée pour 5 ans sur le dossier aéronautique, la création d’un conseil de coopération et, en parallèle, un front commun face à la Chine.
« Je suis tellement ravi que l’Amérique soit de retour », s’est enthousiasmé Charles Michel alors que Ursula Von Der Leyen renchérissait « c’est un honneur de vous recevoir, si tôt dans votre mandat (…) nous voulons vous assurer que nous sommes amis et alliés ».
Tapis rouge, drapeaux européens et américains parfaitement alignés. Pas un faux pli dans le décor du conseil européen où Joe Biden a été reçu mardi 15 juin. « J’ai une conception très différente de mon prédécesseur », a assuré le nouveau Président américain, donnant à la rencontre une tonalité résolument positive.
Lutte conjointe contre la Covid-19, pour le climat ou taux minimum de taxation des multinationales. Une multitude de sujets étaient inscrits au menu de ce sommet de réconciliation entre l’Union européenne (UE) et les États-Unis, qui a duré un peu plus de deux heures. Et qui s’est achevé par « d’excellentes nouvelles » sur le front commercial : l’annonce de la fin du conflit, vieux de 17 ans, au sujet des subventions perçues par Boeing et Airbus.
Passer d’un contentieux à une coopération sur l’aéronautique
Si la paix n’a pas encore été définitivement scellée, la guerre, elle, est à l’arrêt. Et pour un long moment. Dans le détail, Bruxelles et Washington ont en effet convenu de suspendre cinq ans les droits de douane punitifs que les deux parties s’infligeaient mutuellement dans le cadre de cet ancien contentieux.
Initialement programmée pour durer quatre mois, cette trêve devait s’achever en juillet. C’est donc à quelques semaines de cette échéance que les deux parties ont décidé de déposer les armes pour une durée minimale de cinq ans. Le temps de négocier un accord solide visant à mettre un terme définitif à ce conflit qui empoisonne depuis près de deux décennies les relations entre les deux rives de l’Atlantique.
« Cet accord ouvre un nouveau chapitre dans notre relation car nous passons d’un contentieux à une coopération sur l’aéronautique, après 17 ans de dispute. Ceci montre le nouvel esprit de coopération entre l’Union européenne et les Etats-Unis et la preuve que nous pouvons résoudre les autres problèmes pour notre intérêt mutuel », a commenté Ursula Von Der Leyen.
Pour Washington, un autre aspect du « deal » est également jugé déterminant : la création d’un front commun contre la Chine. Lors d’une rencontre qui s’est tenue parallèlement entre Valdis Dombrovskis, Vice-président en charge du Commerce et son homologue américaine, la Représentante au Commerce Katherine Tai, cette dernière évoquait les projets aéronautiques menés par Pékin. « Pendant que nous nous disputions, d’autres ont saisi l’occasion pour bâtir leur propre industrie », a-t-elle insisté.
Les deux blocs se sont donc mis d’accord pour contrer les pratiques non commerciales de la Chine dans ce secteur, qui donnent aux entreprises chinoises un avantage déloyal. « C’est un modèle sur lequel nous pouvons nous appuyer pour relever d’autres défis posés par le modèle économique de la Chine », soulignait un communiqué commun.
Prochaine étape : l’acier et l’aluminium
En ligne de mire ? Le contentieux sur l’acier et l’aluminium, notamment, hérité directement de l’ère Trump.
Si la dispute n’a toujours pas été résolue – les taxes imposées par l’ancien président étant toujours de vigueur – les discussions se poursuivent pour trouver une solution négociée. En signe d’apaisement, l’UE avait renoncé à ses contre-sanctions prévoyant relever les tarifs douaniers sur d’autres secteurs au 1er juin. Bruxelles et Washington se sont engagés à régler l’affaire d’ici la fin de l’année.
Mais c’est surtout au fond du problème que les partenaires ont prévu de s’attaquer, à savoir les surcapacités mondiale du secteur. Un dysfonctionnement que les occidentaux attribuent essentiellement à la Chine, et à l’Inde dans une moindre mesure.
Mise en place d’un Conseil du commerce et des technologies
Dernier outil dans l’agenda commun de l’UE et des États-Unis : la mise en place d’un « Conseil du commerce et des technologies » (CCT) visant à promouvoir le commerce et l’investissement, à éliminer les obstacles non tarifaires ou à coopérer en matière de technologies et de gouvernance numérique.
A l’instar des négociations menées sous l’ère Obama pour un projet ambitieux de partenariat transatlantique pour le commerce et l’investissement (feu le TTIP), l’accent est mis sur la convergence réglementaire et plus particulièrement sur la coopération en matière de normes technologiques (notamment sur l’intelligence artificielle, l’internet des objets et d’autres technologies émergentes).
Un autre groupe de travail, au sein du CTT, sera chargé « d’examiner et de renforcer nos chaînes d’approvisionnement les plus critiques », souligne le communiqué commun. Ce dernier pointe le secteur des semi-conducteurs « en vue de renforcer la sécurité de l’approvisionnement aux États-Unis et dans l’Union européenne ».
Parallèlement aux travaux menés dans le cadre du nouveau CTT, Bruxelles et Washington ont également convenu d’établir un dialogue conjoint États-Unis-UE sur la politique de concurrence technologique.
Pour soutenir la recherche collaborative et les échanges d’innovation, « nous encourageons un programme d’échange de personnel entre nos agences de financement de la recherche, et nous avons l’intention d’explorer la possibilité de développer une nouvelle initiative de recherche sur la biotechnologie et la génomique, en vue d’établir des normes communes », détaille le communiqué conjoint.
Un nouvel accord de mise en œuvre entre le Centre commun de recherche de l’UE et le National Institute of Standards and Technologies des États-Unis visera également à étendre la coopération à de nouveaux domaines.
La page de l’ère Trump est définitivement tournée.
Kattalin Landaburu, à Bruxelles