Le gouvernement de Mark Rutte, qui assure la présidence tournante de l’Union européenne (UE), est dans une mauvaise posture. Même si la participation ne s’élève qu’à 32,2 % – soit à peine deux points de plus que le seuil minimum fixé à 30 % – 61,1 % des votants ont rejeté l’accord d’association UE / Ukraine à l’issue d’un référendum organisé le 6 avril dernier. Impossible donc, pour le Premier ministre, d’ignorer le résultat des urnes. « C’est un fait politique important, ce qui signifie que le processus de ratification ne peut pas se poursuivre comme prévu », a souligné Bert Koenders, le ministre des Affaires étrangères néerlandais, dès l’annonce des résultats.
Les Pays-Bas sont le dernier pays à ne pas avoir ratifié l’accord d’association qui comprend un important volet commercial et un autre chapitre politique. Les autres États membres, le Parlement européen ont quant à eux déjà validé l’accord mis en œuvre depuis le 1er janvier dernier, à titre provisoire. A Bruxelles, le porte-parole de la Commission a précisé qu’il attendait une réponse de La Haye. « Le gouvernement doit analyser les résultats de ce référendum et décider de la marche à suivre ». Il ajoute néanmoins que l’application provisoire de l’accord, décidé suite à une décision unanime du Conseil, donc des 28 États membres, ne pourra pas être remis en cause. « La Commission est pleinement engagée dans le développement de ses relations avec l’Ukraine ».
Interrogés sur le sujet lors d’une conférence de presse commune qui se tenait à l’issue du 18e conseil des ministres franco-allemand, Angela Merkel et François Hollande ont tenu des propos similaires. « Nous continuerons à soutenir l’Ukraine et à appliquer, pour ce qui nous concerne, l’accord d’association », a commenté François Hollande. Le référendum aux Pays-Bas n’aura-t-il donc aucune conséquence sur le pacte politico-commercial scellé entre Bruxelles et Kiev? « Concrètement non mais il peut être fragilisé d’un point de vue politique et juridique », analyse un expert à la Commission qui rappelle que certains accords sont entrés en vigueur provisoirement, parfois une décennie, avant leur ratification finale.
Une aubaine pour les Europhobes de tout poil
Mais pour garantir la légalité du texte, plusieurs options peuvent être envisagées. Les 28 et l’Ukraine pourraient ainsi à nouveau s’asseoir autour d’une table pour renégocier l’accord. Cette éventualité est purement théorique et n’a, à ce stade, aucune chance d’être retenue. Autre possibilité : réduire l’accord aux parties de compétences communautaires, notamment le libre-échange, qui ne requièrent pas le feu vert des parlements nationaux pour entrer en vigueur. Une autre option, la plus probable, permettrait aux Pays-Bas de se désengager de certaines parties du traité, ou d’adopter un protocole additionnel qui répondrait aux préoccupations du camp du non.
Si la survie même de l’accord d’association ne semble pas menacé, il fragilise encore l’UE déjà confrontée à de multiples crises. Car le pacte conclu entre Kiev et Bruxelles n’était évidemment pas l’enjeu de ce référendum. Il s’agit avant tout « d’une motion de défiance du peuple contre les élites de Bruxelles et de La Haye », comme l’a résumé Geert Wilders, leader du PVV, un parti populiste qui caracole en tête des sondages aux Pays-Bas, allié du Front national au sein du Parlement européen.
Il constitue aussi une aubaine pour les partisans du « Brexit » à deux mois du référendum programmé au Royaume-Uni. Déjà fragilisé par le scandale des Panama Papers, David Cameron n’est pas en position de force dans cette campagne. « Je ne pense pas que cela ait un impact sur nous parce que nous traitons une question beaucoup plus large », a néanmoins commenté le Premier ministre britannique après l’annonce des résultats. Outre les Europhobes de tout poil, l’issue du scrutin représente aussi une aubaine pour Moscou qui a tout à gagner d’une Europe divisée. Arme de propagande du Kremlin, le site Internet Sputnik titrait : « Porochenko seul responsable. L’Ukraine affaiblie n’a pas réussi à gagner la sympathie des Européens ordinaires ».
Kattalin Landaburu, à Bruxelles