Le milliardaire ukrainien Petro Poroshenko l’emportera, selon toute vraisemblance, lors des prochaines élections présidentielles, prévues le 25 mai. D’après plusieurs instituts de recherche sociale (Socis, Razumkov…), celui que l’on appelle « le roi du chocolat », en raison de son succès dans le monde de la confiserie, obtiendrait 24,9 % des voix, devançant largement l’ancien boxeur Vitali Klitschko, avec 8,9 %, et l’ex Premier ministre Yulia Tymoschenko, avec 8,2 %. Sergiy Tigipko, qui fut un des soutiens traditionnels de Viktor Yanoukovych, le président chassé du pouvoir lors des manifestations de la place Maïdan, obtiendrait 7,3 % des votes, rapporte dans son édition du 28 mars l’hebdomadaire anglophone (publié à Kiev) KyivPost.
« Malgré son cœur de popularité, entre 10 et 15 %, estime Jakub Parusinski, directeur général de KyivPost, Yulia Tymoschenko, l’ancienne égérie de la révolution orange ne semble pas pouvoir l’emporter ». Certes, ajoute-t-il, « elle paraît indestructible après avoir été emprisonnée sous l’ancien régime et possède une expérience et une créativité politiques sans égal ». Mais comme Vitali Klitschko a annoncé son retrait de la compétition et son ralliement à Petro Poroshenko, l’oligarque est le mieux placé pour gagner le scrutin du 25 mai. « Il est compétent, bien entouré, n’est pas associé totalement à l’ouest du pays et, comme Vitali Klitschko, a su faire preuve de savoir-faire et de présence pendant les évènements, même si c’était la foule de la place Maïdan et non pas les politiques qui imposait sa volonté pendant l’insurrection », expliquait Jakub Parusinski le 3 avril à Paris, à l’occasion d’un petit déjeuner du club de Kiev.
D’ailleurs, outre les médias sociaux qui ont été utilisés pour organiser la résistance au régime Yanoukovych, c’est la chaîne télévisée du magnat ukrainien, Channel 5, qui était suivie par nombre d’Ukrainiens pendant les troubles, alors que sa part d’audience ne dépassait pas jusqu’alors 1 %.
Les oligarques dominent l’univers des médias
En dehors du « roi du chocolat », quatre autres oligarques dominent l’univers des médias, dont deux définitivement compromis pour leur soutien au régime déchu : Serhiy Kurchenko, devenu, dit-on, « milliardaire en un jour », propriétaire de United Media Holding (Forbes Ukraine ; hebdomadaire Korrespondent, équivalent local de l’Express…) ; et Dmytro Firtash, un homme d’affaires de 48 ans, également présent dans l’énergie et la chimie, qui vient d’être arrêté à Vienne, en Autriche, à la demande des États-Unis, qui enquêtaient sur lui pour faits de corruption depuis 2006.
D’après certaines rumeurs, Vitali Klitschko et Petro Poroshenko auraient rencontré Dmytro Firtash à Vienne. Ce qui paraît difficile à croire. Les deux autres magnats des médias sont Ihor Kolomoisky et Rinat Akhmetov, respectivement les patrons de Studio 1 + 1 Groupe (quotidien Izvestia v Ukraine…) et de Media Groupe Ukraine (quotidien Segodnya…). Le premier « est le plus rusé de tous, selon Jakub Parusinski. Après les évènements du 30 novembre 2013 à Kiev, il a versé du côté des protestataires, puis s’est ravisé et a à nouveau changé pour finalement devenir le gouverneur de la région de Dnipropetrovsk », cœur industriel de l’Ukraine.
Le plus riche d’entre tous, Rinat Akhmetov, dont on dit qu’il aurait poussé Sergueï Tarouta, un autre homme d’affaires de Donetsk, à prendre les rênes du Dombass, pays des mines et de la sidérurgie à l’est du pays, serait opposé à toute partition de l’Ukraine. Le propriétaire du club de football du Shakhtar Donetsk, ancien partisan de Viktor Yanoukovych, craindrait pour ses affaires une invasion des régions orientales par la Russie. Pour autant, il semble entretenir un certain suspense, finançant sur place des milices privées et négociant, sans doute, son ralliement définitif au pouvoir actuel.
Il n’est pas facile d’y voir clair. Parmi les nombreuses rumeurs qui circulent encore : l’Union panukrainienne Liberté(en ukrainien Svoboda) serait soutenue par Moscou. Et ce parti d’extrême-droite aurait bénéficié de fonds de la part de Dmytro Firtash, Ihor Kolomoisky et Rinat Akhmetov. De même, ne dit-on pas que Rinat Akhmetov financerait anonymement la nouvelle chaîne privée Expreso TV.
Le peuple ukrainien veut « s’en sortir » par « ses propres efforts »
« A l’heure actuelle, le peuple ukrainien n’est pas très sensible ou conscient des annonces de la communauté internationale, qui a promis 27 milliards d’euros au gouvernement d’Arseni Iatseniouk. Il estime que c’est par ses propres efforts que le pays doit s’en sortir. Et c’est pourquoi il est prêt à accepter les mesures d’austérité annoncées par le Premier ministre », expose Jakub Parusinski. En effet, alors que l’on s’attend à une baisse du produit intérieur brut de 3 % cette année, le chef du gouvernement a annoncé une hausse des prix du gaz de 50 % à partir de mai pour les ménages et de 40 % à compter de juillet pour les entreprises. Une mesure devant satisfaire le Fonds monétaire international (FMI) qui va apporter à lui seul 18 milliards de dollars.
Toujours pour satisfaire le FMI, depuis février, la Banque centrale a adopté une politique de taux de change flexible de la monnaie. Le gouvernement n’a, en fait, pas d’autre option que de répondre aux attentes de la communauté internationale, le trou fiscal atteignant 26 milliards de dollars selon le Premier ministre et les emprunts réalisés par son prédécesseur, Mykola Azarov, s’élevant à 37 milliards.
En outre, l’Ukraine devra attendre l’élection de son prochain président, le 25 mai, pour signer un accord de libre échange avec l’Union européenne (UE), qui pourrait entrer en vigueur dès le 1er juin. Pour 82 % des exportations agricoles de l’Ukraine, 83 % de ses livraisons agroalimentaires et 95 % de ses biens industriels, les tarifs seraient réduits. Le gain ainsi estimé est de l’ordre de 500 millions de dollars, dont 400 millions pour les seuls produits agricoles.
D’après l’hebdomadaire Kyivpost, l’UE absorbe 38 % des exportations ukrainiennes agricoles. Les producteurs ukrainiens de poulets et de tournesol devraient figurer parmi les premiers bénéficiaires d’un meilleur accès à l’espace communautaire européen.
François Pargny