La « révolution des services » a été le principal thème de la 4ème édition de l’Université d’été de l’internationalisation des entreprises (UEIE 2022), organisée à Marseille les 7 et 8 juillet par la Fabrique de l’exportation, l’OSCI, Medef International, les Conseillers du commerce extérieur de la France (CCEF), Bpifrance, CCI France International, et EOC International. Une occasion pour les participants, professionnels de l’export et dirigeants d’entreprises, de découvrir de nombreux modèles de « tertiairisation » de l’export, y compris dans la production agricole ou l’industrie. Revue de détail.
Étienne Vauchez, le fondateur et président du Think Tank la Fabrique de l’exportation, a bien posé le cadre en citant une anecdote connue sur Steve Jobs. Lorsque celui-ci a repris Apple, en 1997, ce dernier était avant tout un fabriquant de PC vivotant. Ce qu’il a dit aux employés ? « Apple is about Mac OS » (du nom du système d’exploitation de la marque à la pomme, devenu IOS). Autrement dit, pas du hardware, mais du software, du logiciel et du service.
Ce « pivot mental », c’est, d’après Étienne Vauchez, « ce qu’on doit essayer de faire dans l’exportation française ». Sortir des seules statistiques douanières qui ne parlent que des biens « alors que les services représentent 30 % de l’export et 50 % de la valeur ajoutée » et, surtout, faire en sorte que les exportateurs marchent sur leurs deux jambes, biens et services, et non plus sur une seule.
L’an dernier, lors du même événement, les participants se demandaient de quoi serait fait le monde post-Covid. Alors que la période Covid a servi d’accélérateur à la digitalisation de nombre d’entreprises, cette année, au moins une réponse leur a été apportée : il passera par les services.
Les exportations de services ont progressé de 150 % en dix ans
Pour Ludovic Subran, chef économiste d’Allianz, il faut commencer par sortir d’une vision du commerce extérieur trop dominée par les échanges de biens. « On sort d’une campagne électorale où on nous a servi des caricatures de l’export » avec la dramaturgie autour du déficit commercial de la France jouée par certains candidats. « Mais personne ne leur a dit que la situation est pire pour les États-Unis et le Royaume-Uni ». Et surtout que la France tire plutôt bien son épingle du jeu dans les services.
De fait, si, en 2021, la balance commercial a affiché un déficit record de – 84,7 milliards d’euros (Md EUR), la balance des services, elle, a dégagé un excédent record de +36,2 Md EUR. L’essor des exportations de services a été bien réel en une décennie, avec une hausse de 150 % ces dix dernières années pour la France, selon Ludovic Subran, à 80 % générés par du business B to B.
La crise sanitaire a plombé le tourisme et les voyages et provoqué des goulets d’étranglement dans les transports. « Mais les services aux entreprises ont continué à progresser » a souligné l’économiste, évoquant le conseil ou les licences. Et pour lui, face aux deux « chocs de démondialisation » qu’ont provoqué la Covid et la guerre en Ukraine, cette tendance va s’accentuer. Or, « on sait que c’est très rentable de se tertiariser une fois qu’on a la base industrielle ».
Un bémol toutefois. Pour le moment, les échanges de services transfrontières semblent moins réglementés que les échanges de biens, mais les États sont en train de reprendre la main, on l’a vu, par exemple, avec la réglementation européenne sur la protection des donnée personnelles (RGPD) ou la question de la fiscalité des GAFA.
Surtout, ils n’échappent pas aux enjeux qui se jouent dans la sphère géopolitique. Pour Ludovic Subran, alors que les tensions entre les États-Unis et la Chine se sont exacerbées ces dernières années, « ce n’est qu’une question de temps », les mesures de restriction aux échanges toucheront de plus en plus les services. Et cela risque d’introduire de nouveaux freins à l’export : « le protectionnisme va devenir de plus en plus financier et tertiaire, il faut anticiper et s’organiser ».
« Dans nos métiers, comprendre la culture est un vrai enjeu »
En attendant, les services sont en plein essor. De multiples témoignages d’entreprises ont montré, tout au long de l’UEIE 2022, leur extrême variété, y compris de la part d’entreprises n’étant pas des « pure players », venues de l’agro-industrie ou de l’industrie.
Le spécialiste marseillais des services de propreté, maintenance et sécurité Onet, pour sa part, est un pure player du service aux entreprises. Au départ, cette entreprise familiale s’est exportée en accompagnant ses clients à l’international. Puis elle s’est dotée d’une stratégie de développement international propre il y a 7 ans et a construit, dans ce but, deux plateformes, l’une au Brésil et l’autre en Espagne. Elle avance aujourd’hui prudemment, sans se presser.
Son principal atout, selon la présidente du directoire Émilie de Lombares, c’est son immense bibliothèque de référentiels process et métiers. Son mode d’accès le plus évident à de nouveaux marchés ? Faire des acquisitions d’acteurs locaux. « Dans nos métiers, comprendre les cultures est un vrai enjeu » a-t-elle souligné.
30 % du chiffres d’affaires générés par les services aux tiers
Autre modèle, issu de l’agro-industrie, avec la Compagnie fruitière. « Autant j’ai du mal à vendre la valeur ajoutée sur la banane (aux alentours d’un cent / Kg), autant sur le service, c’est open bar » a confié Jérôme Fabre, président exécutif de la Compagnie fruitière (à droite sur la photo ci-après, face à Etienne Vauchez), une entreprise agroindustrielle totalement intégrée, spécialisée dans la production et la commercialisation de fruits tropicaux, notamment d’Afrique, principalement banane et ananas.
Des plantations à la logistique et au transport des fruits par ses propres navires en passant par la fourniture d’intrants et de conseils aux producteurs, cette entreprise de 700 millions d’euros (M EUR) de chiffre d’affaires fait tout elle-même. Et, aujourd’hui, elle vend à des tiers les services qu’elle a développés pour son propre compte, à travers 60 filiales.
« Aujourd’hui, 30 % du chiffre d’affaires de nos différentes structures travaillent pour des tiers » a précisé Jérôme Fabre. Et c’est très rentable : au Ghana, l’entreprise a récemment décidé d’intégrer l’activité d’agence de navire, « le payback a été obtenu en 6 mois ». Et le chiffre d’affaires de l’activité « General cargo » a doublé en 5 ans, pour atteindre 100 millions actuellement.
Prochaine étape ? Prendre des participations dans des startup développant des solutions innovantes dans des domaines qui intéresse ses secteurs d’activité via une structure dédiée il y a un an. Et, pourquoi pas, commercialiser des logiciels qu’elle a développés en interne, par exemple en matière de traçabilité.
Ce modèle intégré reposant sur une part importante de services à valeur ajoutée rappelle celui du groupe Advens-Geocoton, dont le directeur général délégué, Karim Ait Talb, est intervenu en clôture. A une différence près : si celui-ci possède des usines d’égrenage de coton et triture la graine, il ne possède aucune plantation mais travaille de façon étroite avec des milliers de petits producteurs de coton en Afrique de l’Ouest auxquels il fournit intrants, conseils et financement et permet d’accéder au marché international.
A l’écoute du client pour viser juste
L’accélération du développement des outils digitaux avec la pandémie de Covid-19 a créé de nouvelles opportunités de « tertiariser » l’export, à condition de viser juste, notamment pour créer des services qui répondent à de vrais besoins des clients.
Témoin, le parcours de Wyz Group, une société créée en 2009 pour développer une plateforme de vente en ligne de pneumatiques. Au départ lancé sur un modèle de vente en ligne B to C, qui n’a finalement pas marché, elle s’est réinventée pour développer un modèle B to B, mettant en relation les acheteurs professionnels avec les détenteurs de stocks de pneus, avec un schéma de facturation centralisée. « Nous permettons aux constructeurs automobiles de s’approvisionner à 100 % via notre plateforme » a expliqué Pierre Guirard, le fondateur de Wyz (notre photo ci-après).
Et ceux-ci apprécient cette simplification de la chaîne d’approvisionnement. De fait, cette stratégie s’est avérée gagnante, financée grâce à des levées de fonds successives auprès d’investisseurs et de Bpifrance : l’entreprise affiche aujourd’hui 113 M EUR de chiffre d’affaires, pour un effectif de 115 personnes (à 40 % des développeurs), avec une croissance de 35 % par an ; elle couvre 7 pays.
Sa recette ? « Le plus simple est d’écouter le client », a souligné Pierre Guirard, qui reconnaît volontiers que s’il a échoué dans le B to C, c’est parce qu’un acteur avait déjà pris de l’avance. Son premier client pro, le concessionnaire de Chevrolet en Europe, qui peinait jusque-là à s’approvisionner en pneus car il n’avait pas accès aux détenteurs de stocks, lui a donné la notoriété nécessaire pour donner confiance à d’autres constructeurs. Et ses solutions étaient au point. « Quand vous mettez en place un modèle, il faut qu’il fonctionne, ça se teste, ça se fait sur la durée ».
Quant à l’internationalisation, elle est incontournable : « je savais dès le départ qu’il fallait s’internationaliser » pour éviter « de se faire croquer ». Après quelques erreurs d’approche marché, par manque d’expérience, c’est chose faite. « En 2017, nous avons ramené tout le monde à Compiègne et pour la relation client, on recrute des profils parlant les langues locales ». Si le socle technologique de base des solutions reste le même (plateforme, système de facturation, etc.), « vous devez pour chaque marché adapter vos offres » précise le dirigeant.
35 % du chiffre d’affaires mais 60 % de marge
Dernier exemple parmi bien d’autres entendus lors de cette édition de l’UEIE, celui d’Alfi Technologies, une PME de 200 personnes basée dans le Maine-et-Loire et spécialisée dans la fabrication de lignes de manutention et de stockage automatisées pour le secteur des matériaux de construction. Yann Jaubert (au centre sur notre photo) l’a reprise en 2008-2009 avec « la volonté de fabriquer en France ». Et cela passait, selon lui, par « intégrer davantage de services », seul moyen de compenser des coûts de main d’œuvre 40 % plus élevés que la concurrence italienne ou espagnol.
Quels services ? Le déploiement du haut débit a permis de décupler le champ des possibles. C’est plus de formation des clients grâce à des outils de e-learning développés avec un pure player du domaine, un service de maintenance et de suivi des machines à distance plus efficace, la maîtrise du produit. Si 80 % du parc de machine est de l’ancienne génération, 20 % sont désormais connectées.
« Grâce à l’intelligence artificielle, nous sommes capables de faire de la maintenance prédictive » a souligné Yann Jaubert, y compris sur les machines plus anciennes non connectées. « Nos clients ont du mal à trouver des techniciens, ça les arrange d’externaliser une partie de la maintenance ». L’entreprise est aujourd’hui capable de créer des jumeaux numériques de ses machines, ce qui facilite les relations avec les clients et prospects. Des offres de services indispensables pour séduire et rassurer des clients en Algérie ou en Corée du Sud.
Dans cette transformation, le premier vrai challenge, selon Yann Jaubert, a été de « faire comprendre aux ingénieurs l’importance de la relation client », autrement dit changer la culture de l’entreprise, très « techno au départ ». Une transformation facilitée par le recrutement d’un profil venu de science po et du marketing pour prendre en charge le service client.
Le deuxième challenge a été de trouver des partenaires pour accompagner cette transformation, en particulier travailler avec des startup, comme celle qui lui a permis de construire ses outils d’e-learning. « Je crois à la notion d’écosystème : on grandit plus vite ensemble » a encore souligné Yann Jaubert, pour qui l’un des facteurs de succès est « la vitesse et la qualité d’exécution ».
Les résultats sont là : chez Alfi, qui est une des vitrines de l’Usine du Futur à la française, les services représentent désormais 35 % du chiffre d’affaires mais 60 % de la marge du groupe. Proportion pratiquement identique que chez un pure player du service, Builder System, société dont le dirigeant Philippe Marie (à droite sur la photo) a également partagé son expérience, qui propose un service après-vente externalisé (commercialisation-maintenance-reconditionnement-recyclage) d’outillages et pièces détachées, notamment à la grande distribution. Chez lui, les services représentent 30 % du chiffre d’affaires mais génèrent autant de marge que les 70 % restant…
Autrement dit, les services intégrés génèrent pratiquement deux fois plus de marge voire plus que les produits en dur. On en revient à Steve Jobs, et à la problématique de la compétitivité d’une exportation Made in France. Une voie grande ouverte pour transformer l’exportation française, et que les dirigeants d’entreprises avisés n’hésitent plus à emprunter.
Christine Gilguy
Une cartographie des solutions et technologies digitales françaises
Les entreprises qui ne sont pas de pure players des nouvelles technologies du digital ou du e-commerce ont parfois du mal à trouver des ressources pour mener la digitalisation de certaines de leurs activités. Bpifrance vient de sortir une étude intéressante présentant une cartographie des fournisseurs français de solutions et technologies, classés par type de solution.
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