Si une réforme globale du processus de décision sera sans doute nécessaire à l’avenir pour garantir la capacité de l’Union européenne (UE) à négocier des accords de libre-échange, d’autres mesures pourraient se révéler utiles, à plus court terme, pour protéger les Européens – citoyens et entreprises – des méfaits de la globalisation et redorer le blason de l’Union. En renforçant la politique européenne de défense commerciale, l’UE garantirait ainsi la protection de son économie contre la concurrence déloyale des pays tiers. Et pour la Commission européenne, la menace est bien réelle, elle irait même en s’aggravant.
Motifs de cette inquiétude ? L’interventionnisme des États et l’apport massif de subventions qui provoquent des surcapacités de production. L’exécutif à Bruxelles pointe particulièrement la Chine où la surcapacité en acier est estimée à 350 millions de tonnes, soit près du double de la production annuelle européenne. Une situation qui aurait conduit à la suppression de 40 000 emplois dans la sidérurgie européenne depuis 2008. Dans ce contexte, la politique commerciale européenne n’est plus adaptée, elle est même jugée « trop naïve » par un nombre croissant d’États membres, qui, comme la France, préconise des réformes pour mieux se prémunir contre les pratiques déloyales de certains partenaires.
Depuis 2013, les propositions de l’exécutif européen ne passent pas
« L’Europe est un marché ouvert, sans doute l’un des plus ouverts du monde. Mais il doit également se protéger, poser des nouvelles règles pour garantir la réciprocité et notre capacité à nous défendre face au dumping », a expliqué François Hollande à l’issue du sommet européen du 21 octobre. Le président français a également souligné l’importance de donner un mandat clair à la Commission pour renforcer les instruments de défense commerciale de l’UE. Une initiative longtemps réclamée par le Conseil et la Commission à Bruxelles.
« Les chefs d’État et de gouvernement sont d’accord pour arriver rapidement à un accord sur la modernisation des instruments de défense commerciale. Nous avons confié à nos ministres du commerce le soin de sortir de l’impasse », a ajouté Donald Tusk, le président du Conseil de l’UE. S’il évoque une impasse, c’est que malgré les bonnes volontés affichées, les 28 restent divisés sur la question. Depuis 2013, les propositions de l’exécutif européen pour moderniser la politique commune, visant à mieux se protéger des agressions extérieures, n’a toujours pas fait l’objet d’un consensus et ne passent pas. Lors du sommet, les dirigeants européens se sont fixé un nouvel objectif : boucler les pourparlers sur le dossier avant la fin de l’année. Un signe d’une volonté renouvelée d’aboutir ?
L’octroi en décembre prochain du statut d’économie de marché à la Chine n’est évidemment pas étranger à la définition de ces nouvelles échéances. Plutôt que de froisser Pékin, en lui refusant – comme le souhaitait notamment les États-Unis – ce nouveau statut au sein de l’OMC, la Commission préfère renforcer ses défenses. « Une façon aussi d’éviter des mesures de rétorsion de la part des Chinois ou leur retrait pur et simple du plan d’investissement européen (plan Juncker) auquel ils se sont engagés à participer à hauteur de 10 milliards d’euros », rappelle-t-on dans l’entourage de la commissaire au Commerce.
Première priorité : réviser les règles du calcul des droits antidumping
Dans ce contexte, la première priorité est de réviser les règles du calcul des droits antidumping, en particulier la règle dite du droit moindre qui limite au strict minimum le montant des taxes imposées en cas de dumping. « Pourquoi ne pas imposer des tarifs plus conséquents alors que d’autres, comme les États-Unis, le font? », a insisté Jean-Claude Juncker. La comparaison soulève en effet de légitimes interrogations. Dans le secteur de l’acier, par exemple, Washington a fixé un droit anti-dumping sur des produits laminés à froid équivalent à plus de 250 % du prix de vente l’année dernière. Au sein de l’Union, le droit était limité à seulement 21 %.
Mais si les États membres, favorables au renforcement de l’arsenal de défense européen, sont aujourd’hui majoritaires, ils sont encore bloqués par les pays nordiques, les Pays-Bas ou le Royaume-Uni, « ceux qui par principe font confiance au libre-échange », précisait François Hollande. Ce groupe reste réticent à augmenter les taxes antidumping. « Des instruments de défense efficaces doivent être proportionnés pas protectionnistes. Et ils devront être décidés dans l’intérêt des utilisateurs, des producteurs et des consommateurs », s’est justifiée Theresa May, qui assistait à son premier sommet européen. « Les positions restent les mêmes sur le papier, mais on sent un changement net dans l’atmosphère », se félicitait, néanmoins, un membre de la délégation française, optimiste quant à la possibilité, pour les ministres européens du Commerce, d’aboutir à un compromis d’ici à la fin 2016.
Kattalin Landaburu, à Bruxelles
Pour prolonger :
– Chine / Statut d’économie de marché : l’Union européenne tarde à muscler son arsenal de défense commerciale