Vieux mythe européen, l’harmonisation fiscale est à nouveau à l’agenda de la Commission européenne. Dès la semaine prochaine, l’équipe de Jean-Claude Juncker devrait repartir à la charge en proposant une version revue et corrigée de son projet d’assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés (ACCIS), dont la première version remonte à 2011, sous son prédécesseur. L’objectif est de réduire considérablement la charge administrative, les coûts de mise en conformité et les incertitudes juridiques auxquels les entreprises de l’Union européenne (UE) opérant dans plusieurs États membres doivent aujourd’hui faire face.
Contraintes de remplir des déclarations fiscales dans tous les pays où elles possèdent des filiales, ces sociétés ne peuvent pas non plus déduire des pertes essuyées dans un pays de leur résultat dans un autre pays. L’ACCIS permettrait donc aux entreprises de recourir à un système de guichet unique pour remplir leurs déclarations fiscales et de consolider les profits et les pertes qu’elles enregistrent dans toute l’Union. Les États membres devraient ensuite se répartir l’impôt selon une formule complexe basée sur trois facteurs : la main-d’œuvre, les actifs et les ventes.
Mais pour de nombreux pays membres, le projet présenté en 2011 constituait un premier pas dangereux vers une harmonisation des taux d’imposition à l’échelle européenne. Le deuxième volet du texte, à savoir la possibilité pour les multinationales de consolider leur résultat et donc reporter d’éventuelles pertes dans un pays sur le résultat comptable d’un autre pays, avaient également provoqué une levée de boucliers dans plusieurs capitales de l’UE.
Les principales modifications : nouveaux seuils et incitants fiscaux
C’est pour cette raison que l’actuelle commission propose de se concentrer d’abord sur l’harmonisation des règles fiscales. La consolidation du chiffre d’affaires des entreprises, inscrit dans une autre directive, interviendrait seulement deux ans plus tard.
Autre modification à la proposition initiale : rendre cette ACCIS obligatoire pour les groupes dont le chiffre d’affaires annuel atteint au moins 750 millions d’euros, soit le seuil figurant dans le plan d’action de l’OCDE contre l’optimisation fiscale. « Avec l’ACCIS, il sera plus facile, plus économique et plus pratique pour les entreprises de mener leurs activités dans l’Union », affirmait Algirdas Šemeta en 2011, alors qu’il occupait le poste de commissaire à la Fiscalité dans l’équipe de José Manuel Barroso.
Selon des estimations publiées par la Commission européenne, l’ACCIS permettrait aux entreprises de l’UE d’économiser 700 millions euros chaque année pour ce qui est des coûts de mise en conformité, et 1,3 milliard d’euros grâce à la consolidation. Les retombées en termes d’investissements et d’emplois seraient respectivement +3,1 % et de +0,4 %. Le coût de mise sur pied d’une filiale à l’étranger serait en outre réduit de 67 %.
L’exécutif européen prévoit, enfin, de mettre en place des incitants fiscaux en particulier pour promouvoir la recherche et le développement. Les startups pourront par exemple déduire la totalité de leurs coûts en la matière, jusqu’à hauteur de 20 millions d’euros.
Si, comme le pense la Commission, le contexte est aujourd’hui plus favorable qu’il ne l’était en 2011, le projet soulève déjà de nombreuses interrogations au sein des groupes d’intérêt qui suivent de près le travail législatif à Bruxelles. Les modifications apportées au texte initial, pour accommoder les États, sont déjà rejetées par les entreprises. Certaines délégations ne cachent pas non plus leurs inquiétudes quant aux conséquences budgétaires de ces différentes mesures. Dans un entretien accordé au journal belge Le Soir, Jean Baeten, en charge des dossiers fiscaux à la Fédération des entreprises du Royaume, précise que la proposition de 2011 aurait provoqué une diminution des recettes de l’impôt des sociétés de 30 %, « soit un trou budgétaire de plus de quatre milliards d’euros pour la Belgique », en faveur , selon lui, de la France et de l’Allemagne.
Kattalin Landaburu, à Bruxelles