Les mesures de confinement liées à la pandémie de Covid-19 n’ont pas découragé les industries et leurs représentants qui cherchent à freiner les nouvelles orientations en faveur de la protection de l’environnement de Bruxelles, certains d’entre eux demeurant très actifs à Bruxelles.
De l’industrie automobile aux producteurs de plastiques, en passant par les entreprises de soins de santé ou les banques, une myriade de lobbyistes ciblent les normes et règlements environnementaux dans l’espoir d’obtenir un assouplissement, ou tout au moins un report de la mise en œuvre de certaines législations.
Si pour certains la demande semble légitime – il s’agit avant tout de bénéficier d’instruments de soutien pour faire face à la crise économique, conséquence de la pandémie – pour d’autres la manœuvre se révèle bien plus triviale : éviter le durcissement de certaines règles, déjà combattues avant la propagation du nouveau coronavirus.
Le Green Deal sous pression
Pour Margarida Silva, membre de l’ONG Corporate Europe Observatory, organisation qui réclame plus de transparence dans le processus de décision européen, certains lobbies d’entreprises « ont sauté sur l’occasion et utilisent la pandémie pour recycler de vieilles demandes, souvent sans vergogne ».
Sa crainte ? Voir les tentatives de l’UE, visant à renforcer la protection de l’environnement et des consommateurs, réduites à néant une fois la pandémie passée. « Il y a quelques mois, si vous disiez : ‘En fait, la protection de l’environnement n’est pas une priorité’, tout le monde vous critiquait immédiatement », constate Margarida Silva. « Et maintenant il est normal de dire ‘avec la pandémie, on doit attendre », s’indigne-t-elle.
Alors que diverses associations de la société civile, soutenues par une majorité de députés européens, plaident pour le maintien des chantiers prioritaires de la Commission Von Der Leyen – au premier rang desquels figure le Green Deal, ou Pacte vert -, à l’inverse, d’autres groupes de pression, représentant une large palette de secteurs industriels, ont accentué la pression sur les institutions communautaires pour limiter la portée de certaines mesures déjà présentées.
L’exemple du programme « De la ferme à la fourchette »
Ainsi, le programme « De la ferme à la fourchette », qui ambitionne de transformer le système de distribution alimentaire et de verdir la Politique agricole Commune (PAC), se trouve actuellement dans le collimateur de la Copa-Cogeca.
Principal lobby de l’agro-industrie au sein de l’UE, dont est membre la FNSEA (Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles), cette organisation appelle au report de cette composante essentielle du Pacte Vert.
Dans une lettre datée du 2 avril et adressée à Norbert Lins, le Président de la Commission de l’agriculture et du développement rural au Parlement européen (PE), ses représentants justifient leur requête, invoquant les menaces que fait peser l’épidémie de Covid-19 sur le secteur agricole, ainsi que sur « l’approvisionnement, les emplois et la sécurité alimentaire de l’Union ».
Offensive des producteurs de pesticides
Mêmes manœuvres du côté des fabricants de pesticides.
Dans un document adressé à la Commission européenne à la mi-mars, Bayer fait pression pour réclamer le statu quo sur les pesticides, c’est-à-dire pour ne pas durcir les normes actuelles comme l’envisageait l’UE, au nom du développement économique et durable.
La tentative a toutefois été dénoncée par l’ONG Foodwatch, qui s’est procuré la lettre. Dénonçant le ‘business toxique’ des industriels du secteur, ses représentants pointent du doigt les géants Bayer-Monsanto, BASF et Syngenta qui tentent, selon eux, de profiter de la pandémie pour continuer à fabriquer et à exporter hors d’Europe des substances interdites car dangereuses pour la santé et l’environnement.
« Les résidus de ces pesticides bannis par l’Union européenne finissent par revenir en boomerang dans nos assiettes via nos importations. L’Europe prévoyait de réguler, mais les mastodontes de l’agrochimie profitent du chaos de la crise pour que la situation perdure », alerte l’organisation.
Stratégie de double-langage ?
D’autres géants industriels vont même jusqu’à donner l’impression d’adopter un double langage.
Répondant à l’appel de l’eurodéputé Renew et Président de l’influente Commission de l’Environnement au PE, le Français Pascal Canfin, un collectif composé d’ONG, de responsables politiques de haut niveau et de 35 chefs de grandes entreprises, ont appelé – dans une missive commune publiée mi-avril -, à créer une alliance européenne pour développer un nouveau modèle de croissance, plus vert, une fois la pandémie passée.
Parmi les signataires figurent notamment Jean-Dominique Senard, PDG du groupe Renault ou Claire Waysand, directrice générale par intérim d’Engie. Or, quelques jours plus tôt, le 10 avril précisément, ces deux mêmes entreprises exhortaient pourtant la Commission à retarder l’adoption de règles vertes, via une autre lettre, signée cette fois par Business Europe.
Dans ce courrier, l’organisation patronale européenne – dont Renault et Engie sont membres – plaidait pour retarder la mise en œuvre de certaines législations européennes. Elle préconisait aussi l’interruption temporaire de « toutes les consultations des parties prenantes, non essentielles en matière d’environnement et de climat ».
Rétorquant qu’il n’était pas question de reporter les ambitions du Green Deal, Peter Sennekamp, le directeur de la Communication de Business Europe, a tenu toutefois à préciser, dans un communiqué, que l’organisation patronale souhaitait simplement « prolonger certains délais pour les consultations en cours ». Un report qui, selon lui, ne risque pas de mettre en danger l’ensemble du calendrier fixé par l’exécutif avant la crise.
A suivre…
Kattalin Landaburu, à Bruxelles