La loi de Finances 2019 de la Tunisie pourrait avoir des répercussions notables pour les entreprises françaises établies dans le pays. Le gouvernement de Youssef Chahed, qui était en visite officielle avec plusieurs de ses ministres du 13 au 15 février à Paris, a, en effet, décidé d’aligner le régime onshore sur le régime offshore qui s’applique aux entreprises étrangères résidentes exportatrices.
De façon concrète, alors que les entreprises offshore sont soumises à un impôt préférentiel de 10 %, le taux de l’impôt sur les sociétés onshore est abaissé à 13,5 % (au lieu de 25 %) dans certains secteurs à forte valeur ajoutée, avec un niveau d’emploi et un taux d’exportation élevés.
Aujourd’hui, à Paris, chacun s’interroge sur les éventuelles répercussions de cette mise à niveau sur les flux d’investissements français.
1 300 entreprises françaises implantées
Lors du forum d’affaires franco-tunisien, que Business France a organisé le 14 février au Sénat, Agnès Pannier-Runacher, la secrétaire d’État auprès du ministre français de l’Économie et des finances, a plutôt insisté sur l’importance pour la Tunisie d’avoir « une bonne gouvernance fiscale ». Une déclaration tout à fait conforme à la position de la Commission européenne, qui avait dans le viseur le régime offshore au profit des entreprises résidentes exportatrices.
La secrétaire d’État a, toutefois, rappelé que la France dispose de 1 300 entreprises sur place, représentant 140 000 emplois. Or, la réforme fiscale risque de la toucher plus particulièrement, dans la mesure où 80 % des entreprises étrangères étant des sociétés offshore, on y retrouve nombre de noms français dans toute une série de domaines : textile (Proxy-Decathlon, Damartex …), électronique (Zodiac Nautic, Sagemcom…), numérique (Vocalcom, Altran, Téléperformance…), aéronautique (Stelia, Figeac Aéronautique…), automobile (Plastivaloire, Lacroix Electronics, Valeo, Faurecia…).
Au passage, il faudra être très attentif aux conséquences de cette réforme sur l’ensemble des investissements directs étrangers (IDE). Au Sénat, Stéphane Colliac, Senior Economist chez Euler Hermes, a expliqué que, « même si l’économie repart, sa croissance est insuffisante (il faudrait 5 % et non pas la moitié) pour faire baisser le chômage, les déficits commerciaux et budgétaires demeurent aussi trop élevés, alors qu’il n’y pas assez d’IDE ». Selon lui, « la forte présence de la France ne sera pas suffisante. Il faut d’autres pays ».
Le dossier empoisonné de la finance et du terrorisme
La réforme de la fiscalité des entreprises était considérée par l’Union européenne (UE) comme la première étape avant la conclusion d’un dossier très sensible. En l’occurrence, l’UE, s’étant alignée sur les conclusions du Groupe d’action financière (Gafi), institution internationale spécialisée dans la lutte contre le terrorisme et le blanchiment des capitaux, a placé la Tunisie dans une liste noire de pays non coopératifs.
Bruxelles exige de Tunis le règlement de ce dossier, alors que les deux capitales sont engagées dans la négociation d’un Accord de libre-échange complet et approfondi (Aleca) qui pourrait être très favorable à son partenaire, affirme-t-on côté européen. Sur ce dossier, le Premier ministre tunisien comme les membres de son gouvernement sont restés muets lors du forum d’affaires franco-tunisien (400 acteurs économiques). Preuve d’une certaine fébrilité et d’une prudence extrême. Il est vrai que, la veille, l’UE avait indiqué maintenir la Tunisie et 22 autres pays sur la liste noire des pays non coopératifs.
A Paris, Alexandre Ratle, le président du Comité Tunisie des conseillers du commerce extérieur de la France (CCEF), a néanmoins déclaré que « la Tunisie devrait sortir en mars de la liste noire ». Il a estimé aussi qu’il existait « d’autres possibilités de faire de l’industrie » et qu’il fallait se montrer « imaginatif et audacieux ». Quelques jours après à Tunis, le 16 février, le ministre des Finances Ridha Chalgoum promettait, pour sa part, l’application de mesures pour sortir de la liste noire d’ici juin.
Aleca : les principes de progressivité et asymétrie
S’agissant de l’Aleca, dont le troisième round de négociations s’est tenu en décembre dernier (voir fichier joint en pdf), interrogée par Le Moci, la Commission européenne affirme vouloir jouer la transparence et être consciente qu’il faut du temps à la partie tunisienne.
Côté patronat tunisien (Utica), on est très favorable à l’Aleca. L’accord d’association UE-Tunisie de 1995 sur les produits manufacturés avait permis aux sociétés tunisiennes de se mettre à niveau. Mais l’Aleca est beaucoup plus ambitieux, puisqu’il doit couvrir aussi l’agriculture et les services, l’investissement, la concurrence, la propriété intellectuelle, les normes ou la facilitation des échanges. C’est pourquoi les principes de progressivité et d’asymétrie sont retenus, car il ne s’agit pas d’imposer à l’économie tunisienne la même ouverture qu’à celle de son partenaire. Aucune date butoir n’est fixée pour conclure l’Aleca.
Pour la Tunisie, l’Europe est un partenaire essentiel. Youssef Chahed a rappelé que « l’UE absorbe 82 % des exportations tunisiennes et que la Tunisie importe à hauteur de 54 % de ce partenaire ». Pour les Européens, la Tunisie, au voisinage de la Libye, doit être soutenue. Au demeurant, c’est un partenaire commercial important, notamment pour l’Italie, la France et l’Allemagne, respectivement, premier, deuxième et quatrième (derrière la Chine) pays fournisseurs de la Tunisie. En matière d’IDE, les investisseurs européens dépassaient la barre des 4 milliards d’euros en 2016.
A ce stade, les négociations bilatérales dans le cadre de l’Aleca avancent lentement, sans qu’il y ait vraiment de point d’achoppement. Il semble, néanmoins, par exemple dans l’agriculture et la pêche, « qu’une différence de vues subsiste encore sur les modalités exactes de l’asymétrie en faveur de la Tunisie ». Le quatrième round de négociations est prévu au printemps.
François Pargny
*Lire aussi dans la LC du 21 février : Tunisie / Export : la France dispute à l’Italie la place de numéro 1
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