Avec un total de bilan de 300 millions d’euros en 2010, BOA Côte d’Ivoire occupe 6 % du marché local. Paul Derreumaux (*) nous livre son point de vue d’homme d’affaires et de banquier implanté en Côte d’Ivoire sur la situation du pays.
Le Moci. Le président sortant Laurent Gbagbo, qui ne reconnaissait pas l’élection d’Alassane Ouattara à la plus haute fonction de l’État, a été arrêté. Quelles sont les conditions pour que l’activité reprenne ?
Paul Derreumaux. L’activité devrait pouvoir reprendre rapidement car les bases de l’appareil économique et des principales infrastructures subsistent de façon solide. La Côte d’Ivoire est toujours le principal pays de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA). Grâce à la politique menée par le président Félix Houphouët-Boigny, et même si d’importants investissements d’entretien et de remise à niveau doivent certainement être faits, les équipements urbains existent, le réseau routier est assez développé, l’appareil industriel est relativement diversifié. Dans les années passées, du gaz, du pétrole, de l’or et même du diamant ont été découverts et, à certains égards, la conjoncture mondiale est favorable, les cours des matières premières – cacao, dont la Côte d’Ivoire est le premier producteur mondial, hévéa, huile de palme – étant élevés. Grâce aux interconnexions, ce pays va pouvoir à nouveau livrer de l’électricité à son voisin du nord, le Burkina Faso, qui en a fortement besoin. La bonne santé de la Côte d’Ivoire est donc essentielle pour la région.
Le Moci. Si le problème n’est pas économique, il est politique et social…
Paul Derreumaux. Oui, de manière privilégiée. Le président Ouattara aura très certainement une vision à moyen terme qui permettra de mobiliser les bailleurs de fonds et de faire démarrer un programme ambitieux et cohérent de développement économique et social. Mais avant tout, il doit s’efforcer d’apaiser les très fortes tensions actuelles pour amener les Ivoiriens à vivre et à reconstruire ensemble. Ceci veut dire, comme annoncé par les nouvelles autorités, une politique bénéficiant de façon claire à l’ensemble de la population sans exclusive. Il est aussi souhaitable que les premiers actes posés aient des impacts positifs rapides sur le niveau de vie et l’emploi. En ce sens, les travaux d’infrastructures et la relance de l’agriculture pourraient sans doute faire partie des priorités.
Le Moci. Quelle est l’image et la place de la France en Côte d’Ivoire ?
Paul Derreumaux. La position de la France en Côte d’Ivoire est actuellement à la fois très difficile et essentielle. En reconnaissant dès l’origine, comme la très grande majorité des pays, Alassane Ouattara comme président élu, la France n’a fait que prendre parti d’une façon identique à toute la communauté internationale. Cependant, l’ancien chef de l’État, qui avait rassemblé 46 % des voix, et notamment plus de 50 % des électeurs d’Abidjan, à la présidentielle, a particulièrement développé, compte tenu notamment du rôle clé que la France tenait dans le dispositif onusien, un état d’esprit antifrançais au sein d’une partie de la population, qui ne pourra s’effacer en un jour. L’étroitesse des liens historiques, culturels, économiques, sociaux entre la Côte d’Ivoire et la France rendent en outre très complexe une analyse totalement objective de la situation et exacerbent vite les sentiments.
Pourtant, l’action de la France dans la dernière phase de la crise a sans doute été capitale pour empêcher que le bilan soit plus dramatique qu’il ne l’est déjà, et me paraît être demeurée dans le mandat qui lui était confié. Pour l’avenir, la France devrait utilement continuer à avoir un rôle de premier plan, tant en raison de sa connaissance approfondie de la réalité ivoirienne que de sa capacité à mobiliser d’autres acteurs, et notamment l’Europe, pour aider financièrement le pays, ce qui est présentement très important. Il me semble toutefois fondamental que la France agisse dans ce cadre comme un partenaire se mettant à la disposition des autorités ivoiriennes, en répondant aux besoins que celles-ci exprimeront, et qu’elle apporte autant que possible son appui en association avec d’autres intervenants pour éviter les soupçons d’interventionnisme excessif.
Propos recueillis par François Pargny
(*) Fondateur du holding du Groupe Bank of Africa en 1988, le Français Paul Derreumaux en a été le P-dg jusqu’au 1er janvier 2011. Il reste administrateur du holding, dont le capital est aujourd’hui détenu à 55,8 % par la Banque marocaine du commerce extérieur (BMCE). Paul Derreumaux est aussi administrateur ou président, comme c’est le cas en Côte d’Ivoire, de plusieurs filiales géographiques.