C’est une nouvelle attaque de Donald Trump à l’ordre établi du commerce mondial : exiger la gratuité des canaux de Suez et de Panama, deux corridors majeurs du commerce international, pour les navires américains. Avec quelle chance d’y parvenir ? Le point dans cet article proposé par notre partenaire La newsletter BLOCS.
Sur son réseau Truth Social, Donald Trump a lancé la semaine dernière une énième offensive géopolitique : exiger la gratuité de passage dans deux artères du commerce maritime mondial – le canal de Panama et celui de Suez – pour les navires militaires et commerciaux américains. Considérant que ces voies « n’existeraient pas sans les États-Unis », le président américain a ainsi chargé son chef de la diplomatie, Marco Rubio, de se saisir « immédiatement » de ce dossier.
Une réponse au blocage de la Chine sur Panama
Côté panaméen, cette revendication s’inscrit dans le contexte d’un conflit qui a commencé avant même l’investiture de M. Trump. Ce dernier, accusant la Chine de contrôler cette artère stratégique du commerce mondial par lequel transite habituellement 5 % du commerce mondial, dont 74 % de produits à destination ou en provenance des États-Unis, souhaite en reprendre le contrôle.
Il pensait y être parvenu début mars, avec un accord sur la cession par le conglomérat hongkongais CK Hutchison, de la gestion des principaux terminaux portuaires situés de part et d’autre du canal à un consortium constitué principalement par le fonds d’investissement américain BlackRock et l’armateur MSC.
Le blocage de cette transaction par la Chine début avril a bouleversé ses plans et n’est sans doute pas étranger à la déflagration de droits de douane qui a touché l’Empire du Milieu par la suite. La demande de gratuité formulée par M. Trump la semaine dernière apparaît ainsi comme une solution alternative face au blocage de cette transaction.
Flexibilité relative du président panaméen
La flexibilité dont a fait preuve jusqu’ici le président panaméen José Raúl Mulino porte à croire que la requête américaine pourrait aboutir. Depuis janvier, il a en effet accepté coup sur coup de sortir son pays du programme d’investissement chinois des « nouvelles routes de la soie », mais aussi que les États-Unis déploient des troupes autour du canal, annoncé l’expulsion progressive des opérateurs chinois sur ses ports, et même signé un accord de rétention temporaire des migrants renvoyés des États-Unis.
De surcroît, la manne financière dont dispose le Panama semble lui assurer une certaine marge. Sur les cinq dernières années, les revenus du canal ont en effet augmenté de 53 % et le bénéfice a doublé en quatre ans, pour atteindre 3,4 milliards de dollars. La gratuité accordée aux bateaux américains pourrait néanmoins affecter lourdement une économie dépendant à 60 % du canal, ce qui pourrait dissuader M. Mulino d’envisager cette option.
Début février, l’administration américaine avait déjà annoncé, à la surprise générale, la gratuité du passage pour ses bateaux. « Je démens ce communiqué du département d’État parce qu’il est basé sur quelque chose d’absolument faux », avait alors répondu José Raul Mulino lors d’une conférence de presse, qualifiant la situation d’« intolérable ».
Gratuité contre sécurité pour le canal de Suez
L’exigence de gratuité est d’emblée plus surprenante, pour ce qui concerne le canal de Suez, d’une bien moindre importance stratégique pour les navires commerciaux américains qui ne représentent qu’une infime part du trafic de cette artère commerciale, et est plongé dans une situation bien différente.
Contrôlé par l’Égypte depuis 1956, le canal concentrait environ 10 % du commerce maritime mondial, jusqu’à ce que les rebelles houthis du Yémen commencent en 2023 à attaquer les navires, disant agir en « solidarité » avec les Palestiniens de la bande de Gaza.
Depuis la mi-mars les États-Unis ont lancé l’opération « Rough Rider » visant à protéger les convois internationaux qui passent en mer Rouge et transitent par le canal de Suez, en frappant quasi quotidiennement de nombreuses positions houthies. Dans ce contexte, l’exigence de gratuité américaine apparaît comme une simple application de la doctrine transactionnelle de l’administration américaine sur le plan extérieur.
« Si les États-Unis parviennent à restaurer la liberté de navigation à grands frais, ils doivent en retirer des gains économiques supplémentaires en échange », affirmait ainsi Stephen Miller, le conseiller du président pour la Sécurité nationale, sur la fameuse conversation Signal des responsables américains révélée par The Atlantic.
Au vu de l’importance de la menace houthie pour l’Égypte, la demande américaine paraît d’emblée assez réaliste.
Un moindre mal face à la chute des revenus du canal ?
Frappé de plein fouet par la crise en mer Rouge, le pays, par ailleurs en difficultés économiques et budgétaires, a vu le trafic du canal chuter de moitié et ses revenus fondre de plus de 60 %, entre 2023 et 2024. Devoir se passer du soutien militaire américain paraîtrait donc très difficile pour le régime militaire égyptien, qui pourrait voir la gratuité accordée aux bateaux américains comme un moindre mal.
D’un autre côté, la demande américaine peut paraître humiliante, d’autant plus qu’elle intervient dans un climat de défiance croissante entre Washington et Le Caire, sur fond de désaccords à propos de Gaza et du rôle régional de l’armée égyptienne. La requête aurait d’ailleurs pour l’heure été refusée par le président égyptien, Abdel Fattah Al-Sissi, et a provoqué l’indignation dans le pays.