La bourse de fret en ligne Upply vient de publier ses scénarios d’évolution des taux pour 2024. L’irruption de facteurs exogènes durables sur le marché risquent fortement de faire augmenter les coûts du transport maritime pour les exportateurs.
Des vents contraires soufflent fortement en ce début d’année sur le transport maritime, primordial pour soutenir la reprise du commerce international. Retour à la multiplication des surcharges pour compenser des taux de fret trop bas, violents phénomènes climatiques comme l’engorgement du canal de Panama en raison de la sécheresse, attaques de navire en mer Rouge et blocage du canal de Suez… Dans ce contexte morose, les prévisions d’Upply proposent trois scénarios d’évolution du secteur.
Premier scénario : le contournement de Suez et Panama
Un mal pour un bien ? Certes de nouvelles routes maritimes passant par le Cap Horn et le Cap de Bonne Espérance augmenteraient les délais d’acheminement et la consommation de carburant, mais elles pourraient bien constituer une aubaine pour les compagnies en proposant des flottes renforcées et des rotations plus longues. « Certains chargeurs sont demandeurs d’un tel scénario qui donne la primauté à la fiabilité sur la rapidité, observe Jérôme De Ricqlès, expert maritime chez Upply. Pour d’autres, la situation est en revanche très pénalisante. »
Cette option pourrait permettre au marché Asie-Europe de remonter durablement, autour de 3500 dollars (USD) par conteneur de 40 pieds sans corollaire inflationniste significatif sur les prix de vente au détail.
Mais pour que ce nouveau schéma fonctionne, il faudrait que les grands acteurs du secteur s’entendent. Au moins se parlent-ils, comme l’a montré la signature d’un engagement conjoint de plusieurs armateurs en faveur de la décarbonation lors de la COP 28.
Deuxième scénario : cap sur la « carrier discipline »
Pour garantir leurs services actuels dans la durée tout en conservant une marge commerciale acceptable, les compagnies devront pratiquer un taux de fret pivot situé entre 2 000 USD et 2500 USD sur les lignes Europe-Asie entre ports directs, via le canal de Suez.
Pour y parvenir, elles devront suivre une stricte discipline en matière de services en pilotant plus finement l’offre par rapport à la demande, incluant une généralisation des blank sailings (la navigation à vide) jusqu’à ce que les détenteurs de la marchandise n’aient pas d’autre choix, s’ils veulent accéder à la capacité, que de payer le minimum requis pour garantir la rentabilité de l’opération.
Là encore, pour qu’un tel scénario fonctionne le top 5 des compagnies mondiales doivent se prêter au jeu et proposer des garanties en cas de difficultés opérationnelles.
Troisième scénario : l’embrasement géopolitique
En 2024, pourrait bien s’ajouter à la guerre en Ukraine et au conflit israélo-palestinien la reprise de Taiwan par la Chine et une conséquente riposte américaine. Nul ne sait si ce choc frontal, qui bouleverserait évidemment les routes maritimes mondiales, aura bien lieu ni quand, mais les tensions géopolitiques entre Washington et Pékin redessinent déjà le commerce international.
« Les économies occidentales restent, malgré leurs velléités de « découplage” côté américain ou de « dérisquage” côté européen, extrêmement dépendantes de la Chine. Le déficit commercial de l’Union européenne avec la Chine a plus que doublé en deux ans. Aux États-Unis, le déficit commercial avec la Chine devrait être le plus faible enregistré depuis une décennie en 2023, mais les importations chinoises sont reparties à la hausse en fin d’année. » Si aucun conflit militaire n’a encore éclaté au sujet de Taiwan, la guerre économique a déjà commencé.
Après une longue période de baisse des taux de fret, quel que soit le scénario suivi par le secteur du transport maritime en 2024, il y a donc de fortes chances pour qu’ils soient amenés à augmenter durablement.
Sophie Creusillet