Il y a bel et bien un marché pour l´automobile en Inde. Les chiffres rendus publics en novembre dernier par la Society of Indian Automobile Manufacturers (SIAM) en attestent. Lors de l´exercice fiscal en cours (mars 2010-mars 2011), la production automobile indienne devrait progresser de 18 % à 20 % dans un pays où seulement 8 habitants sur 1 000 disposeraient d´une voiture. Mais s´adapter à un marché aux attentes complexes, sans céder aux mirages de la mythique «classe moyenne indienne», relève de la gageure pour les constructeurs étrangers.
Après Peugeot qui avait jeté l´éponge en 1990, le cas de Renault qui essaie d´investir à nouveau le marché est symbolique des embûches qui attendent les constructeurs étrangers nouveaux venus en Inde. Au départ, la firme au losange pensait dupliquer son modèle Logan en Inde, celui-ci étant produit dans une usine de Mahindra & Mahindra. Or la Logan s´est avérée être trop chère pour l´Inde, notamment depuis l´augmentation de 20 % de la taxe sur le véhicules de plus de quatre mètres de long, introduite en 2009. Du coup, Renault a mis fin à son premier partenariat indien, se contentant de fournir les principaux composants à Mahindra & Mahindra.
Désormais, la nouvelle stratégie de Renault en Inde va être multiforme. Sur une plate-forme industrielle commune avec son partenaire Nissan, à Chennai (Madras), Renault envisage de lancer cinq petits modèles entre mi-2011 et mi-2013. Ils seront estampillés Renault et vendus à prix «compétitif». Les deux premiers modèles seront le 4×4 Koleos et la Fluence. L´objectif de ventes en 2013 est de 75 000 véhicules. De son côté, Nissan a démarré sur le même site la production de sa Micra avec un objectif de production de 80 000 unités la première année pour arriver à 400 000 vers 2014. En parallèle, Renault-Nissan travaille avec le spécialiste indien du deux-roues Bajaj Auto à la construction d´une voiture à bas coût qui serait lancée fin 2012. Pas sûr que les déboires de la Nano n´entraînent pas un abandon du projet. Enfin, Renault-Nissan et Daimler pourraient s´associer pour monter des Twingo dans l´usine de Chennai.
Ce qui peut rassurer les constructeurs étrangers est que même les Indiens, qui devraient pourtant bien connaître leur marché, font des erreurs. C´est le cas de Tata, plutôt un poids lourd dans les bus et les camions il est vrai, qui s´est laissé piéger avec sa Nano. Début décembre, seules 71 300 unités avaient été vendues depuis un an et demi, alors qu´un rythme annuel de 250 000 était prévu dès 2010. La Nano cumule les désavantages : un prix trop élevé (3 342 dollars, prix de base actuel) inaccessible pour les ménages modestes, car l´usine prévue au Bengale s´est finalement implantée au Gujarat devant l´opposition organisée des paysans ne voulant pas céder leurs terres. D´où délais supplémentaires et des surcoûts, également gonflés par la cherté des matières premières.
En outre, les acquéreurs potentiels, à bas revenu, ne trouvent pas de crédit, le véhicule est jugé trop citadin, son moteur aurait tendance à prendre feu et son design est trop banal alors que l´achat d´un véhicule symbolise toujours une réussite sociale en Inde, le véhicule devant refléter ce statut supérieur. Du coup, Tata prévoit de développer une nouvelle automobile qui serait entre la Nano et le coupé Indica.
Finalement, les concurrents locaux et étrangers ne sont pas encore prêt à menacer la position dominante de l´alliance Maruti Suzuki (54 % à Suzuki) qui a l´avantage de proposer toute une gamme d´automobiles, depuis la petite Maruti Alto (212 000 véhicules vendus en 2009) jusqu´à la luxueuse berline Maruti Kizashi qui sera lancée en janvier prochain. Hyundai Motor est le deuxième constructeur indien avec deux usines au Tamil Nadu et un centre de R&D à Hyderabad. A côté des automobiles ordinaires, il existe aussi un marché pour les automobiles luxueuses (mais pas fabriquées en Inde). Porsche, Lamborghini et Bugatti sont déjà présents. Chevrolet compte introduire en Inde début 2011 à la fois la Chevrolet Camaro et le coupé Corvette. Ferrari devrait également investir ce marché prometteur dans les six prochains mois.
Jean-François Tournoud