Face à une concurrence accrue, la cité-État s’emploie à renouveler son modèle de développement, orientant les investissements étrangers vers des secteurs de pointe et une intégration régionale encore plus grande. Sa vocation de plate-forme logistique, avec des services à forte valeur ajoutée, va se renforcer.
« Small is beautiful ! » Située sur le détroit de Malacca séparant la péninsule indochinoise de l’archipel indonésien, à la jonction des océans Indien et Pacifique, la cité-État de Singapour se trouve dans la zone du monde qui connaît la plus forte croissance économique. Depuis son indépendance en 1965, les Singapouriens, aujourd’hui au nombre de 4,3 millions, ont fait de cet archipel de 699 km2 un micro-État prospère et stable politiquement et socialement, qui exerce un rôle de hub commercial international en Asie du Sud-Est.
Grâce au dynamisme des secteurs financiers, du tourisme et de la construction, la croissance de son PIB a été de 7,6 %, en dépit du ralentissement des exportations domestiques. Ses échanges se font essentiellement avec l’Asie (68 % de ses exportations et 71 % de ses importations), grâce à un port efficace, au premier rang mondial pour le trafic de conteneurs depuis 2005, mais aussi à l’aéroport de Changi desservi par 80 compagnies aériennes opérant 3 900 vols hebdomadaires vers plus d’une cinquantaine de pays.
Avec les pays de l’Asean (1), Singapour a acquis un rôle de plate-forme régionale commerciale et logistique, avec pour premier fournisseur et client la Malaisie (13,1 % des échanges). L’ensemble chinois (Chine continentale, Taïwan, Macao et Hong Kong) représente désormais 23 % de ses exportations et la première source de sa demande externe, tandis que Hong Kong, son principal concurrent en matière de services commerciaux et financiers, est devenu, l’an dernier, son deuxième client, devant les États-Unis. Derrière cette success story, la formidable volonté de s’adapter à la nouvelle donne née de la mondialisation et de la montée en puissance de la Chine.
Le cap a été pris il y a huit ans. Longtemps, l’essor de ce dragon asiatique a reposé sur la stratégie d’un État « développeur » directement impliqué dans la gestion de grands groupes industriels et commerciaux, les government linked companies ou GLC.
Le holding d’État Temasek, créé en 1974, a ainsi facilité l’industrialisation du pays. Il possède encore des participations importantes dans des secteurs clés (télécoms et médias, finances, transports, logistique). PSA International (100 % public), de son côté, gère toujours les terminaux du port de Singapour tout en s’internationalisant.
À la fin de la décennie 1990, le nouveau leitmotiv du gouvernement devient la promotion d’une économie fondée sur le savoir – knowledge based economy. D’où le lancement d’une politique prudente de libéralisation et d’ouverture aux sociétés étrangères.
Une agence gouvernementale, Economic Developpement Board (EDB), est créée pour attirer les investisseurs étrangers vers les secteurs jugés prioritaires. Parallèlement, Singapour s’engage dans une stratégie de négociation d’accords de libre-échange bilatéraux pour faire face à une compétition exacerbée avec les autres centres économiques régionaux de Hong Kong et Shanghai. Onze accords ont ainsi été signés ces dernières années et une quinzaine d’autres sont en négociation (2).
Des orientations qui s’ajoutent aux atouts de la cité : cadre juridique sécurisant, quasi-absence de corruption, droits de douane faibles, peu de règles protectionnistes, fiscalité avantageuse, système financier sain, population bien formée, fonction publique de qualité, environnement politique et social stable, flexibilité du travail.
Résultat de ce changement de cap : aujourd’hui, les trois quarts des 8,6 milliards de dollars singapouriens (SGD) d’engagements d’investissements proviennent de l’étranger et 80% sont destinés au secteur industriel. La part de Singapour dans le commerce mondial atteint 2,7 %. Singapour est devenu la troisième place financière d’Asie et le sixième pays le plus compétitif au monde, selon le Global Competitiveness Report 2005-2006 du World Economic Forum.
« Singapour va réaliser une croissance de 6 à 6,5 % PIB cette année, après 7 % l’année dernière, estime Jean-Pierre Bernard, responsable régional pour l’Asie du Sud-Est de BNP Paribas. Toute la zone est comme ça : le Vietnam est à 8,5 %, l’Indonésie à 5,5 % de croissance, vous avez donc des opportunités de développement de business dans tous les domaines et tout le monde embauche. »
Cette réussite a son revers : « Singapour est victime de son succès puisque les prix de l’immobilier montent de façon assez dramatique. Et on pense qu’il n’y aura pas de nouvelles surfaces commerciales avant fin 2009, début 2010, poursuit le banquier français. On observe également un manque de main-d’oeuvre qualifiée. » Mais le dynamisme des autorités est rassurant pour l’avenir : « Le gouvernement, comme d’habitude très réactif, a mis en place des programmes immobiliers pour s’assurer que cette poussée de fièvre ne dure pas trop longtemps. Il a également décidé d’encourager l’immigration de 2 millions de personnes dans les cinq à six ans qui viennent, afin de passer de faire passer la population de 4,5 à 6,5 millions d’habitants. »
Pour l’heure, la mutation économique de Singapour se poursuit. Le textile et l’informatique bas de gamme sont partis en Malaisie, en Chine, en Indonésie. Servis par des infrastructures de communications de pointe, les nouveaux secteurs phares de la cité-État sont la pétrochimie, les biotechnologies, l’électronique high tech, mais aussi l’aéronautique et… le luxe. Singapour est devenu le troisième centre de raffinage mondial avec trois installations principales (Exxon Mobil, Shell et Singapore Refining Corporation). Le pétrole pèse 11 % de ses exportations totales.
En plein essor et fortement soutenu par le gouvernement, le secteur des biotechnologies représente aujourd’hui moins de 10 % de la production industrielle mais plus de 21 % de la valeur ajoutée du secteur. Les produits pharmaceutiques en représentent 88 % et leurs exportations ont progressé de 31 % en 2006.
L’industrie et les services aéronautiques sont devenus un autre point fort de Singapour, qui assure aujourd’hui un quart de la maintenance asiatique. Toutes les grandes multinationales de ce secteur y sont présentes, notamment les françaises Safran et Thalès, aux côtés des Pratt&Witney, Rolls Royce, General Electric, Goodrich, Honeywell, Liebherr, Matsushita… Il est vrai que la cité-État dispose, selon de nombreux hommes d’affaires, d’atouts dans ce domaine : l’excellence de l’aéroport de Changi, bien sûr, mais aussi la réussite de la compagnie nationale Singapore International Airlines et de sa branche ingienierie SIAEC, ainsi que la présence d’un puissant groupe de défense, ST Engineering, qui possède une branche aéronautique, Singapore Technologies Aerospace. On oublie en effet souvent que les forces militaires singapouriennes sont armées jusqu’aux dents depuis la partition du pays d’avec la Malaisie…
Implantée à Singapour dans les années 1990, près de l’aéroport de Changi, Safran y effectue, avec 400 personnes sur place, de la maintenance et de la réparation de trains d’atterrissage, d’équipements aéronautiques sur avions civils et de moteurs d’hélicoptère. Les hélicoptères de sa marque Turbomecca font, selon la société française, « d’excellentes percées en Asie », avec l’appui de sa filiale Turbomecca Asia Pacific, qui assure la maintenance des moteurs jusqu’en Chine.
Néanmoins, l’industrie électronique, en restructuration, demeure le principal secteur industriel, avec 37 % de la production industrielle totale et la moitié des exportations non pétrolières. La progression la plus forte concerne le segment du stockage des données. L’an dernier, les exportations de circuits intégrés ont progressé de 24 % et celle des équipements télécom de 31 %.
Enfin, le secteur des produits de luxe, déjà favorisé par le tourisme, génère aujourd’hui des activités logistiques à valeur ajoutée non négligeables. En effet, les grands groupes mondiaux, attirés par la bonne image de la cité-État en terme de qualité du travail et de respect de la propriété intellectuelle, y implantent leur plate-forme de distribution régionale. En témoigne les derniers développement de SDV.
Singapour est ainsi passé en peu d’années du low tech à la high tech et du high tech au service. Cette mutation, loin d’être terminée, s’appuie sur ce qui reste le principal instrument de la politique de développement du gouvernement : de formidables infrastructures et industries logistiques dont le port reste le meilleur exemple (voir pages suivantes).
Patrick de Sagazan
(1) Association des nations d’Asie du Sud-Est, qui comprend 10 États : Brunei, Cambodge, Timor oriental, Indonésie, Laos, Malaisie, Birmanie, Philippines, Singapour, Taïwan, Thaïlande, Vietnam.
(2) Les accords de libre-échange déjà signés par Singapour : Asean Free trade Area (AFTA) ; Asean-China (ACFTA) ; Asean-Corée (AKFTA) ; Australie ; Jordanie ; Inde ; Japon ; Corée du Sud ; Nouvelle-Zélande ; Panama ; ESFTA (Suisse, Liechtenstein, Norvège, Islande) ; Trans-Pacific SEP (Brunei, Nouvelle-Zélande, Chili, Singapour), États-Unis. En cours de négociation : Asean/Australie-Nouvelle-Zélande ; Asean/Inde ; Asean/Japon ; Canada ; Chine ; Conseil de coopération du Golfe ; Mexique ; Pakistan ; Pérou ; Ukraine.