La Tunisie présente des besoins dans toute une série de secteurs, certains traditionnels, comme les transports, d’autres correspondant à une économie émergente, souvent liée à l’activité en Europe, à l’instar de l’aéronautique. Enfin, certains services pourraient être ouverts avec l’avènement de la démocratie.
Jacques Torregrossa, le chef de la Mission Ubifrance à Tunis, a coutume de répartir les secteurs porteurs en deux grandes parties : les domaines traditionnels ou « historiques », comme l’agroalimentaire, le textile ou les infrastructures : et les « nouvelles filières » à forte croissance, à l’instar de l’électronique, de l’automobile, de l’aéronautique, de l’environnement ou de la formation. Pour favoriser l’acquisition de biens et services par des PME indépendantes et de droit tunisien, la France a mis en place une ligne de crédit de 40 millions d’euros, dont un quart aujourd’hui a été utilisé. C’est l’agroalimentaire qui se taille la part du loin, avec 6 des 18 dossiers traités.
Dans plusieurs des secteurs que nous détaillons ci-après, les entreprises françaises auraient tout intérêt à faire jouer cette ligne de crédit. Son assiette est assez large, puisque tous les projets d’investissement entre 100 000 et 2 millions d’euros sont éligibles. Seul le tourisme en est exclu. Encore que des spécialistes des équipements de golf, par exemple, peuvent en profiter.
François Pargny
Agriculture et élevage : la carte de la différence
Certaines sociétés agroalimentaires ont trouvé le filon : les produits de contre-saison. Légumes et fruits sont appréciés sur le marché européen.
Sur le marché français, Tunex Agro fait valoir sa différence en proposant de la mâche et des fruits et légumes conditionnés en Tunisie. Pour produire dans ce pays de soleil, elle bénéficie des avantages octroyés aux entreprises totalement exportatrices (exonération d’impôt pendant dix ans…), de subventions, notamment de l’Agence de promotion des investissements agricoles (Apia) pour l’achat de matériels, et d’une main-d’œuvre relativement bon marché.
De son côté, Agroland, qui produit déjà des pêches et des nectarines en Tunisie, s’est associée fin 2010 à Vert Frais, un producteur rhodanien qui exploite la mode des jeunes pousses de salade dans l’Hexagone. Enfin, Sun Anti Pasti, une société franco-tunisienne, produit notamment des tomates séchées au soleil marinées dans l’huile, « mais c’est bien la seule à profiter des avantages de la Tunisie (eaux thermales dans le sud pour chauffer des serres à coût réduit…), alors que les Espagnols et les Italiens captent l’essentiel du marché de la tomate et de l’huile d’olive conditionnée », déplore Selim Gritli, conseiller export à la ME Ubifrance, à Tunis.
Le responsable du pôle Agriculture-agroalimentaire-condi-tionnement à la ME se console avec la progression de la France dans le secteur de la viande. Elle livre de la viande charolaise depuis 2008 à la Tunisie, qui connaît un fort déficit de production de viande rouge.
En outre, les Rencontres acheteurs que Selim Gritli a organisées les 6 et 7 avril sur le thème « Vente de bétail vivant et de viandes de boucherie », ont été un succès important : une douzaine de rendez-vous par entreprise et, surtout, des contrats pour le bétail sur pied. « En fait, nous avons été dépassés par le succès », se félicite-t-il.
F. P.
Aéronautique : une filière française porteuse
Quelque 60 entreprises, essentiellement françaises, opèrent en Tunisie dans l’aéronautique. Leurs perspectives sont toujours porteuses.
Aerolia, filiale d’EADS pour assembler des superstructures, a posé la première pierre de son usine tunisoise, dans la zone industrielle de M’Ghira, le 30 avril 2010. « Aujourd’hui, tous ses sous-traitants font construire leurs bâtiments ou disposent de locaux provisoires pour fabriquer. Ainsi, le mécanicien Mecahers devrait disposer de sa propre unité à l’automne », relate Philippe Cussonnet, le président du Groupement des industries tunisiennes aéronautiques et spatiales (Gitas), qui compte 33 membres.
La constitution d’un parc aéronautique à Tunis constitue la contrepartie industrielle à l’achat d’Airbus par Tunisair. Le 7 mai, le transporteur national a reçu son deuxième appareil d’une série de seize A 320. « L’impact médiatique de l’implantation d’EADS a été réel, mais c’est maintenant du passé », affirme Philippe Cussonnet. Ce dernier préfère évoquer la montée en puissance d’autres acteurs. Ainsi Zodiac, équipementier automobile et aéronautique, « réfléchit à l’installation d’une quatrième usine ». Le président du Gitas souligne également l’augmentation de la participation de « la supply chain tunisienne » au prochain salon aéronautique du Bourget, qui se tiendra du 20 au 26 juin. Celle-ci y disposera d’une surface de 100 m2.
« Aujourd’hui, tous les métiers de l’aéronautique sont présents en Tunisie. Ce qu’il nous faut, c’est monter en volume », assure le président du Gitas. La ME Ubifrance à Tunis a identifié plusieurs créneaux, comme la fonderie, la plasturgie, le traitement de surface, l’ingénierie, le conseil, la recherche & développement, l’informatique, la maintenance, la certification, la logistique ou encore la formation. Pour compléter la supply chain tunisienne, Romain Delaruelle, chargé de développement TPE-PME à la ME, préconise d’offrir des prestations à forte valeur ajoutée.
F. P.
Énergie : Cap sur l’efficacité et le renouvelable
En matière d’efficacité énergétique, la ME Ubifrance à Tunis conseille aux entreprises françaises de proposer des systèmes innovants dans le gaz naturel, le solaire ou la cogénération, du conseil et de l’ingénierie dans la certification ou la maintenance.
Voire de participer à des programmes spécifiques d’isolation thermique de logements (Promo-Isol) et de chauffe-eau solaires (Prosol). « Tant dans l’industrie, le transport que dans le bâtiment et le tertiaire, nous estimons que les gisements en matière d’efficacité sont considérables. Notamment, nous travaillons sur la cogénération. Après avoir installé 37 MW, nous comptons parvenir à 100 MW en 2016 », indique la directrice générale de l’Agence nationale de la maîtrise de l’énergie (ANME), Noura Laroussi Ben Lazreg.
L’Allemagne est un concurrent sérieux. L’agence de coopération allemande Giz dispose d’une antenne de six personnes au sein de l’ANME. Elle travaille aussi avec le Centre international des techniques de l’environnement de Tunis (Citet), organisme de transfert de technologies propres, d’information et d’assistance aux entreprises, sur des sujets divers : gestion environnementale, normes internationales, réseaux technologiques.
Le Citet demande de plus en plus aux entreprises étrangères de ne pas se satisfaire « d’un simple transfert passif », mais de former des « véritables partenariats ». L’objectif serait double : « Apporter la connaissance des processus » et permettre aux Tunisiens « de produire des technologies qui soient celles des Tunisiens et soient bien adaptées à l’environnement local ».
Dans la foulée du Plan solaire méditerranéen (PSM), Tunis a concocté un Plan solaire tunisien (PST) en 2009. « Quarante projets sont avancés, principalement dans le solaire, un peu dans l’éolien et l’efficacité énergétique », précise Alexandre Bisquerra, chargé de développement infrastructures-transport-industries à la ME. « Dans le solaire, la Tunisie veut avancer avec prudence », annonce Noura Laroussi Ben Lazreg. « Nous ne sommes pas pressés, ajoute-t-elle. Nous voulons que les fournisseurs éventuels, qui sont nombreux, fassent des efforts pour baisser le prix du kilowatt/heure ». Selon elle, « les technologies possibles sont également nombreuses » et « produire de l’électricité d’origine solaire revient quatre fois plus cher qu’avec l’énergie fossile ». Or, rappelle-t-elle, « la Tunisie dispose encore aujourd’hui de ressources fossiles ».
Seule réalisation à ce jour dans le cadre du PST, une installation de 5 mégawatts « financée à titre gratuit par la coopération japonaise pour tester la technologie du solaire à tours », se réjouit Noura Laroussi Ben Lazreg. Les Français doivent s’accrocher à de grands projets, dans le solaire concentré par exemple. Des fenêtres d’opportunités sont également ouvertes dans le secteur thermique et électrique pour les particuliers, les hôtels, les industries et les fermes agricoles.
Il y aura aussi des chantiers importants dans le domaine éolien. « La technologie est maîtrisée et deux fermes éoliennes, pilotées par la Société tunisienne de l’électricité et du gaz (Steg), sont déjà en exploitation au Cap Bon ou vont l’être sous peu à Bizerte », souligne la directrice générale de l’ANME. L’agence dispose aujourd’hui d’un Atlas de l’éolien, qui est une carte des sites les plus ventés. Compte tenu de la concurrence très agressive des Espagnols, la ME préconise, dans un premier temps, de se concentrer sur le petit éolien pour les industries grandes consommatrices d’énergie et l’électrification rurale.
F. P.
NTIC : offrir des services à valeur ajoutée
Certes, avec trois opérateurs de télécommunications (Tunisiana, Tunisie Telecom, Orange Tunisie) pour 11 millions d’habitants, le marché est très concurrentiel. Reste que « les opérateurs ont besoin d’applications sur le mobile ou des services 3G pour le réseau Internet », souligne Michèle Féki, conseiller export à la ME Ubifrance à Tunis. L’offre française pourrait se placer dans des services à forte croissance, comme les téléservices et les applications par Internet dans la santé, l’enseignement, le commerce, la monétique, le tourisme ou la banque.
Le marché local – gouvernement, entreprises, y compris les banques – ont aussi un besoin réel de services informatiques et de logiciels. « La Tunisie possède des sociétés de services informatiques très efficaces. Elles recherchent des partenariats pour travailler sur le marché local et en Afrique », remarque Michèle Féki.
F. P.
Immobilier : des grands projets du Golfe aux marinas
On les croyait enterrés dans les sables du désert, surtout depuis la suppression, le 30 avril, de la Commission supérieure des grands projets, mise en place sous l’ancien régime. « Pas du tout », a affirmé, le 13 mai, Abdelhamid Triki, ministre tunisien de la Planification et de la coopération internationale.
Cent millions d’euros auraient déjà été engagés par le groupe émirati Bukhatir dans la cité sportive au nord du lac, Tunis Sport City. Autre grand dossier arabe, Tunis Financial Harbour (Tfh), un port financier visant à transformer la Tunisie en place financière régionale. Il est piloté par une des grandes banques islamiques, Gulf Financial House (Gfh). Cette dernière a présenté le projet Tfh à des institutions bancaires et financières, à Washington, du 7 au 9 octobre 2010, en marge des réunions annuelles du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale. « Comme tous les grands projets, nous l’étudions. Le port financier est important en termes d’investissements et d’emplois des diplômés de l’enseignement supérieur. Nous savons aussi que nous devons créer des infrastructures. Mais, en même temps, le gouvernement est confronté à des contraintes budgétaires, la priorité étant donné au développement régional », expliquait Abdelhamid Triki, lors de l’entretien qu’il a accordé au Moci.
Des grands projets du Golfe, seule la Porte de la Méditerranée, un complexe immobilier et touristique à réaliser au sud du lac de Tunis, ne semble pas retenir son attention. Initiatrice du projet, la société immobilière et d’investissement Sama Dubaï semblait déjà s’en désintéresser fin 2008. « Elle n’a rien fait », constate, lapidaire, Abdelhamid Triki.
Hormis les grands dossiers du Golfe, « deux projets de marina doivent retenir l’attention des entreprises françaises », souligne Zohra Sadok, conseiller export à la Mission économique à Tunis. Le premier, à Gammarth, est piloté par la Société immobilière et touristique Marina Gammarth. Cette société est propriété d’Aziz Miled, l’homme d’affaires tunisien qui a offert à Noël 2010 son jet privé à l’ancienne ministre française des Affaires étrangères, Michèle Alliot-Marie, alors en vacances en Tunisie. La seconde marina, à Bizerte, comprendra un port de plaisance, en principe fin 2011. Le reste du projet – des résidences – devrait être achevé fin 2012.
F. P.
Franchise : préparer l’avenir
« La Tunisie est un des rares pays au monde où l’enseigne Mc Donald n’est pas implantée », s’amuse Bertrand Furno, le chef du Service économique régional à Tunis. Il est probable que le paysage de la franchise ne changera pas du jour au lendemain. Même si le clan Ben Ali-Trabelsi est éliminé, les restaurants de fast food ne vont pas pouvoir fleurir au pays du jasmin. « La réglementation reste floue et ce type de vente demeure essentiellement réservé aux marques locales », remarque Habib Gaïda, directeur général de la chambre tuniso-française de commerce et d’industrie (CTFCI).
« Aujourd’hui, il n’y a pas de franchisés, seulement des distributeurs multicartes et des franchiseurs tunisiens qui veulent exporter leurs marques », note Michèle Feki, conseiller export à la ME Ubifrance à Tunis. La loi de 2009, précisée par un décret d’application de 2010, ne reprend pas l’idée de dévolution de royalties.
Malgré les difficultés actuelles, la chambre de commerce et d’industrie de Tunis, organisatrice du salon Tunis Med Franchise du 7 au 9 décembre prochain, s’est associée à la CCI Marseille Provence (avec laquelle elle a signé aussi un accord dans la formation professionnelle) pour monter un pavillon France.
F. P.
Santé : équiper les cliniques et vendre en Afrique
La Tunisie
importe 90 % de ses équipements médicaux. Les exportateurs français ne
doivent pas écarter les projets d’hôpitaux publics (deux sont prévus
près de Tunis, dont un en construction par le groupe El Amen). Mais ce
sont les cliniques privées qui présentent les meilleures perspectives.
Elles sont au nombre de 80 et ce chiffre devrait encore augmenter.
Toutefois, pour une partie des cliniques spécialisées, la clientèle en
provenance de Libye est très importante. Or, elle s’est réduite comme
peau de chagrin, avec la guerre dans ce pays. Les exportateurs français
doivent donc se montrer prudents.
Le marché pharmaceutique semble
plus simple. « Des opportunités existent tant pour les entreprises qui
veulent s’implanter que pour les exportateurs d’équipement, pouvant
renouveler le parc des machines local », explique Zohra Sadok,
conseiller export à la ME Ubifrance à Tunis.
Une cinquantaine de
sociétés fabriquent sur place. Pierre Fabre a même implanté à Tunis sa
direction générale Afrique, qui gère ainsi une vingtaine de pays (Libye,
Afrique subsaharienne notamment). Ce laboratoire pourrait donner des
idées à d’autres groupes français…
F. P.
Distribution : en attendant l’ouverture des services
Bien qu’en croissance de 15 % par an, la grande distribution ne représente que 15 % de l’ensemble du commerce. Avant la révolution, trois acteurs se répartissaient le marché : les groupes Mabrouk (Monoprix, Casino…), Chaïbi (Champion ; Carrefour…) et Magasin général, détenu par Poulina et Bayahi.
« Le principe est 100 % de capitaux locaux. Une autorisation d’investissement peut, toutefois, être donnée au cas par cas. C’est ainsi que Carrefour détient 15 % dans son association avec son partenaire tunisien. En revanche, Casino n’est présent qu’avec son enseigne », expose Habib Gaïda, directeur de la Chambre tuniso-française de Commerce et d’Industrie (CTFCI).
Selon lui, Carrefour a obtenu cette autorisation parce que le distributeur français a accepté d’exporter des marchandises tunisiennes dans ses magasins à l’étranger et de participer à la mise à niveau des entreprises agroalimentaires tunisiennes. D’autres noms de la distribution moderne ou spécialisée sont cités, comme Auchan, Darty, Mr. Bricolage, Fnac, « mais rien de précis, d’autant plus que ces entreprises doivent dimensionner leurs investissements en fonction de la taille du pays », explique Michèle Féki, conseiller export à la ME Ubifrance à Tunis.
Toutefois, selon Habib Gaïda, l’Union européenne s’est engagée à octroyer le statut de pays avancé le plus rapidement possible à la Tunisie. Elle pourrait demander à ce partenaire de la rive sud de la Méditerranée d’accélérer l’ouverture des services domestiques, comme la distribution, aux Européens.
F. P.
Textile : priorité à la cotraitance et à l’intégration
« Pour les futures implantations, le volet technologique est important. Les entreprises de sous-traitance, c’est fini », affirme la dynamique directrice générale du textile et de l’habillement au ministère de l’Industrie et de la Technologie, Dalila Ben Yahia.
L’Italie et la France, les deux premiers partenaires de la Tunisie, lui fournissent traditionnellement les fils et les tissus pour des articles finis qui sont réexportés, ensuite, vers l’Europe.
La Tunisie, explique Dalila Ben Yahia, a développé « de nouveaux métiers », en plus de l’École nationale des ingénieurs de Monastir (Enim) et de l’Institut supérieur des études technologiques de Ksar Hallal, dédié aux techniciens supérieurs.
Des chefs de produit ont été formés. À la base, ce sont des techniciens supérieurs de l’Institut supérieur des métiers de Monastir (ISMM). Et la coopération tuniso-française a financé la formation de modélistes et de stylistes industriels. Pour Dalila Ben Yahia, nul doute que les entreprises tunisiennes peuvent dérouler le fil de la cotraitance, en offrant aux donneurs d’ordres toute une palette de services, « allant des achats de matières au modélisme-stylisme, en passant par la réalisation de prototypes ».
Autre axe majeur de développement, intégrer la filière, avec notamment le finissage. Le groupe Niggerler et Kupfer, déjà actif en Tunisie dans la filature et le tissage, s’est ainsi engagé dans le finissage chaîne et maille avec la société Tissage et Finissage Méditerranéen (TFM). Le textile tunisien peut profiter de l’émergence de filières technologiques, comme l’automobile et l’aéronautique. Installé depuis plus de 30 ans en Tunisie, le spécialiste français des vêtements Chomarat emploie 650 personnes sur ses quatre sites de production à Grombalia, à 30 minutes de Tunis. Il y fabrique, notamment, des revêtements textiles et des housses automobiles ainsi que des textiles techniques pour d’autres secteurs, comme l’aéronautique.
Enfin, la nouvelle priorité du développement régional peut être l’occasion pour des entreprises étrangères d’ancrer leur expansion en Tunisie. L’italien Benetton l’a compris. Déjà implanté à Sahline (gouvernorat de Monastir) et à Kasserine, il crée une nouvelle plateforme de production (4 000 m2) à Gafsa, dans la zone industrielle où est déjà établi le fabricant japonais de câblage automobile Yazaki. De même, le néerlandais Marathon, qui produit des jeans dans le gouvernorat de Monastir, s’installe à Kasserine.
F. P.
Transport : un programme d’infrastructures annoncé le 14 juin
Yassine Ibrahim, le ministre du Transport, devrait présenter, le 14 juin, un programme d’infrastructures. Jusqu’à cette date, tout sera possible, même si les Tunisiens ont déjà présenté les grandes lignes lors du G8 de Deauville, les 26 et 27 mai.
« Les travaux du Réseau ferroviaire rapide (RFR) du Grand Tunis ont repris en novembre dernier », observe Romain Delaruelle, chargé du développement des TPE-PME à la Mission économique (ME) Ubifrance, à Tunis. Mais la révolution a changé la donne. Le RFR ne correspond plus à la nouvelle priorité qui est le développement des régions de l’intérieur. Même si ce grand projet, soutenu par l’Agence française de développement (AFD) et la Banque africaine de développement (BAD), est indispensable pour désengorger une agglomération au bord de l’asphyxie.
Le 14 mai, la Société nationale des chemins de fer tunisiens (SNCFT) a indiqué, dans un communiqué, qu’elle compte investir dans la mise à niveau et la réhabilitation de la ligne ferroviaire Tunis-Kasserine et a lancé une étude sur une liaison par rail entre Kasserine et Enfidha, via Kairouan. Il est aussi question de la modernisation des axes Tunis-Sfax-Gabès et Sfax-Gafsa, la plus grande ville du bassin minier. D’après nos informations, la SNCFT voulait « juste faire le point sur ses propres réflexions », en attendant l’avis d’experts détachés par le ministère français de l’Écologie, du développement durable, des transports et du logement. Concernant les ports, Abdelhamid Triki, le ministre de la Planification et de la Coopération internationale, indiquait que le grand port en eaux profondes d’Enfidha, situé près du nouvel aéroport international, était essentiel pour désenclaver le centre du pays. Qu’en sera-t-il des autres ports tunisiens, dont le renforcement semblait avoir la préférence de Yassine Ibrahim ?
C’est du moins ce que plusieurs observateurs de la vie économique en Tunisie avaient cru comprendre, lors du passage de ce ministre à Paris, au Medef, le 27 avril. Le port de Zarzis est aussi indispensable pour l’approvisionnement des zones pétrolières, les industries lourdes, le ciment, les phosphates. Quant au grand ouvrage de Rades, « il commence à saturer, à fonctionner sept jours sur sept », remarque Michelle Quéré, conseiller export Infrastructures-transport-industries à la ME. « Les moyens de manutention au port de Rades sont obsolètes et une seule société d’acconage [chargement et déchargement de navires au moyen de barques, Ndlr], la Stam, y opère », regrette encore Patrice Pierret, directeur de la ligne Tunisie chez OTI (Organisation transports internationaux).
Le gouvernement de transition n’a pas non plus été très précis sur les projets d’autoroute. La seule indication donnée au Moci par Abdelhamid Triki est la voie devant relier Béja à la frontière algérienne.
F. P.
Formation professionnelle : pour créer des emplois à forte valeur ajoutée
La formation professionnelle est une clé pour lutter contre le chômage des jeunes, qui touche près de 30 % des 18-29 ans et 45 % des nouveaux diplômés de l’enseignement supérieur.
Les autorités tunisiennes étaient déjà conscientes, avant la révolution, de la nécessité d’investir dans ce domaine, notamment pour s’adapter aux besoins de qualification des filières technologiques : électronique, automobile, aéronautique. Le sujet prend une dimension supplémentaire aujourd’hui, avec la priorité donnée au développement des régions défavorisées.
L’Agence française de développement (AFD) investit dans la formation professionnelle et l’expertise française est très recherchée. « Dans le bâtiment, l’hôtellerie ou d’autres secteurs, les Français sont prêts à s’impliquer », se félicite Michèle Féki, conseiller export à la ME Ubifrance à Tunis. « Dommage qu’ils soient confrontés à des freins qui limitent, de fait, leur participation », poursuit-elle. Dans la pratique, pour opérer dans la formation professionnelle, un partenariat avec des organismes locaux est obligatoire. Par ailleurs, pour obtenir la majorité dans un projet, il faut, comme pour d’autres services destinés au marché domestique, une autorisation de la Commission supérieure de l’investissement. L’e-learning est aussi un secteur prometteur.
Le nouveau directeur général de l’Agence tunisienne de la formation professionnelle (ATFP), Brahim Toumi, en place depuis février, évoque les besoins de la Tunisie. Tout d’abord, de sa propre agence, qui doit être « restructurée » pour remédier à la « centralisation » trop forte des décisions et à son « manque de réactivité » aux besoins de l’environnement local. Brahim Toumi, qui a « initié le débat en interne », souhaite nouer une relation avec une région française et s’inspirer de son expérience en la matière. Autre axe d’intervention du directeur général de l’ATFP, la création de formations mixtes entre la France et la Tunisie pour aboutir à une double certification.
Comme la plupart des 136 centres de l’agence sont sous-équipés – ou possèdent du matériel obsolète – « nous avons besoin d’aide, notamment dans les régions défavorisées », souligne Brahim Toumi.
Dans toute une série de secteurs, du textile au tourisme, en passant par l’électronique, la Tunisie possède une formation de base solide. Dans des domaines d’activité traditionnels, elle cherche, notamment, à produire de la valeur ajoutée et à faciliter l’export, en formant, par exemple, des modélistes et des spécialistes de la création dans l’habillement ou des designers dans l’ameublement. L’ATFP est aussi capable de répondre à la demande individuelle d’entreprises avec une formation à la carte. C’est le cas, par exemple, dans l’aéronautique. Aerolia, producteur de sous-ensembles aéronautiques, bénéficie d’un plan de formation pour ses techniciens supérieurs.
Fin 2010, un des sous-traitants de cette filiale d’EADS, Mecahers, a signé un accord avec l’ATFP, portant sur la formation de 150 personnes d’ici à 2014. Ce spécialiste de la mécanique cherchait des chaudronniers. « Nous avons payé 600 euros par mois nets un de ses experts pour qu’il forme quatre formateurs de chez nous à la chaudronnerie aéronautique, ainsi que les premiers ouvriers qualifiés dans le domaine », rapporte Brahim Toumi. Pour répondre aux besoins du spécialiste du traitement de surface Mecaprotec, un autre sous-traitant d’Aerolia, l’ATFP prévoit aussi de créer une unité spécifique dans un de ses centres de formation.
F. P.