Amorcés au début des années 2000, encadrés par une loi en 2005, les projets de partenariats public-privé (PPP) russes sont tombés en sommeil en 2008 à cause de la crise mondiale. Avec le retour de la croissance et la multiplication des projets dans les infrastructures, ils reviennent aujourd’hui sur le devant de la scène. Et avec eux les obstacles qui les freinent.
Réseau routier, ponts, hôpitaux, lignes ferroviaires, traitement et distribution de l’eau… Les infrastructures russes, désuètes, voire indigentes, ont depuis longtemps un besoin urgent d’investissements. D’autant qu’elles constituent un facteur de développement économique, en particulier dans les régions éloignées de la partie européenne du pays. En 2007, Sergueï Ivanov, le vice-Premier ministre russe, avait annoncé que le gouvernement allait consacrer d’ici à 2020 1 000 milliards de dollars à la modernisation de son réseau d’infrastructures, routes et lignes ferroviaires en tête. Dans le même temps, le gouvernement russe promettait aux entreprises étrangères une plus grande participation à ce vaste programme de modernisation.
De fait, les autorités russes ont mis en place en 2005 une législation encadrant les concessions, dont les partenariats public-privé (PPP) font partie. Mais ce mode de financement, par lequel une autorité publique fait appel à des prestataires privés pour financer et gérer un équipement assurant un service public, en contrepartie d’un paiement du partenaire public ou des usagers, a mis du temps à s’imposer en Russie. Comme le rappelait Olga Revzina, avocate du cabinet Herbert Smith de Moscou lors d’un débat sur les investissements dans les infrastructures russes, organisé début mars à Paris : « Il y a encore quelques années, personne ne savait en Russie ce qu’étaient un contrat de concession ou un PPP. Jusqu’au début des années 2000, on ne savait pas comment attirer les investisseurs étrangers. »
La « loi fédérale sur les accords de concession » de 2005, applicable à tous les secteurs d’activité, a en effet tenté d’encadrer les premières expériences de collaboration entre secteurs public et privé menées entre 2000 et 2002. Mais elle a rencontré une première limite : elle concernait les projets fédéraux, chaque région disposant de sa propre législation pour ses propres projets. Or, si, selon Olga Revzina, « les législations régionales sont souvent beaucoup plus souples que la loi fédérale », elles n’en demeurent pas moins sujettes à des soubresauts politiques. Et « les projets régionaux sont très dépendants de la décision de l’État d’accorder ou non un financement, c’est le principal problème », reconnaît Alexander Bajenov, directeur du centre des PPP au sein de la Vneshekonombank (la VEB, banque publique russe en charge du développement économique et des « affaires économiques étrangères », conseille l’État sur les investissements effectués en région dans le cadre de PPP).
Reste que, si la Russie a fait ces dernières années des efforts notables pour améliorer le cadre législatif des accords de concession, il y a loin de la coupe aux lèvres. « Les principaux problèmes des PPP en Russie sont l’inadéquation du cadre légal et le risque politique, résume Olga Revzina. La loi de 2005 sur les accords de concession est souvent inapplicable en pratique. Il faudrait une loi fédérale sur les PPP, les unifier et faire en sorte qu’ils correspondent aux meilleurs standards internationaux. »
Autre obstacle : la corruption qui règne dans l’attribution des marchés publics. « Je ne peux pas dire que ce problème n’existe pas en Russie, mais les codes de procédures publics se rapprochent de ce qui est pratiqué en Europe de l’Ouest », avance Alexander Bajenov. Il y a cependant en Russie un océan entre les textes de loi et la pratique…
Sur le plan financier, le risque est également de taille, comme le rappelle Alexander Erofeev, responsable du département financement de projets et infrastructure du cabinet Ernst & Young à Moscou : « Très peu de banques et de fonds russes investissent dans les infrastructures. La Russie ne dispose pas de dette à long terme en roubles, ce qui pose la question des sources de financement en roubles de projets en PPP, les taux de change sont instables et les risques de refinancement ne sont pas partagés par les autorités. L’attitude habituelle des officiels russes est de prendre le moins de risques possible. Dans le cadre d’un PPP, une entreprise étrangère doit donc être très claire sur ce qu’elle peut faire ou pas. »
Malgré cet environnement peu encourageant, le secteur des infrastructures en Russie suscite l’intérêt des acteurs étrangers, notamment des entreprises françaises, qui disposent de sérieux atouts en matière de PPP dans des projets d’infrastructures. Sauf si les mésaventures rencontrées par le premier projet, décroché par Vinci, refroidit les ardeurs des groupes occidentaux…
Sophie Creusillet
Quand une autoroute se heurte aux arbres de Khimki
Vinci, via sa filiale russe, la North-West Concession Company (NWCC), signe en juillet 2009 avec la VEB le contrat de concession pour la première autoroute payante de Russie, qui doit relier Moscou à Saint-Pétersbourg. Un projet considéré comme un test décisif pour les investisseurs spécialisés dans les infrastructures. Cette concession est en effet la première impliquant une entreprise étrangère. Les accords de financement pour le premier tronçon, au nord de la capitale russe, ont été signés en avril 2010.
Mais le projet se heurte très vite au Mouvement pour la défense de la forêt de Khimki, une association de citoyens russes décidée à défendre cette zone protégée jouxtant Moscou : l’ONG écrit au P-dg de Vinci, Xavier Huillard, pour le sommer d’arrêter le projet et, citant l’ONG de lutte contre la corruption Transparency International, assurer que le tracé de cette première portion d’autoroute a été dicté par « la corruption » de « bureaucrates de haut niveau du ministère des Transports, y compris le ministre ». La direction de Vinci répond : « Le tracé a été décidé et reste du ressort des autorités russes et à ce stade. » Elle envisage désormais de commencer courant 2011.
Fait rare en Russie, une manifestation se tient le 3 août 2010 devant le Centre culturel français de Moscou pour protester contre la construction de ce premier tronçon, avec des slogans comme « Napoléon a brûlé Moscou, mais il n’a pas détruit les arbres ». Deux ans plus tôt, en novembre 2008, le rédacteur en chef du journal Khimkinskaïa Pravda avait été passé à tabac pour avoir publié des révélations sur la gestion de ce projet d’autoroute par les autorités russes.
L’affaire nuit à la réputation à la France et à Vinci, et surtout à l’image déjà fragile des autorités russes et des PPP. La Berd et la Banque européenne d’investissement, qui avaient conseillé le gouvernement russe dans l’élaboration de son programme de PPP, ont annoncé, suite aux protestations de militants de défense de l’environnement, qu’elles allaient réétudier leurs modalités de financement du projet…
S. C.