C’est le grand retour du risque client dans le monde, à commencer par l’Europe. Entre la hausse des coûts et le ralentissement de la demande, les tensions de trésorerie s’accroissent pour de nombreuses entreprises. Et c’est à une vague de faillites que s’attend l’assureur-crédit Allianz dans sa dernière étude sur l’évolution des défaillances d’entreprises dans le monde. Revue de détail.
On s’y attendait un peu depuis que les clignotants économiques passaient les uns après les autres du vert à l’orange ou au rouge à la suite du déclenchement de la guerre en Ukraine. Cette fois-ci on y est. Après deux années atypiques de reflux des défaillances d’entreprises grâce aux soutiens des États durant la crise sanitaire, le risque client fait son grand retour dans les radars des credit managers internationaux. La dernière étude publiée par Allianz Trade sur l’évolution des défaillances d’entreprises dans le monde* le confirme.
D’après cette source, les défaillances d’entreprises devraient rebondir à l’échelle mondiale de 10 % dès 2022 et accélérer à + 19 % en 2023. Deux rebonds significatifs, « qui devraient ramener les défaillances aux dessus de leurs niveaux prépandémie dès l’année prochaine », avec un niveau moyen supérieur de +2 % à celui de 2019.
Trois facteurs principaux pèsent, selon Allianz, de plus en plus sur la trésorerie des entreprises : la flambée de la facture énergétique, la hausse des taux d’intérêt et celle des salaires. Résultats, les risques d’impayés, voire de faillites, augmentent.
Toutefois, cette hausse des faillites aurait pu être plus forte encore sans les soutiens budgétaires de certains États pour limiter la hausse des prix, notamment en Europe. Allianz estime ainsi que ces mesures étatiques permettront de réduire la hausse du nombre de défaillances d’au moins -10 points en 2022 et 2023 dans toutes les grandes économies européennes.
Le rebond des faillites déjà en cours en Europe
C’est d’ailleurs la conjoncture en Europe, plus critique qu’aux États-Unis ou dans certains grands pays émergents, qui influe le plus sur la tendance mondiale, l’évolution des défaillances étant hétérogène selon les géographies.
Elles se matérialise d’ores et déjà dans les pays européens, avec en première ligne les poids-lourds tels que le Royaume-Uni, la France, la Belgique, l’Espagne ou encore les Pays-Bas et la Suisse alors que pour d’autres grandes économies (États-Unis, Chine), elle devrait se réaliser l’an prochain.
« Le rebond des défaillances d’entreprises est déjà une réalité pour de nombreux pays, en particulier les principaux marchés européens comme le Royaume-Uni, la France, l’Espagne, les Pays-Bas, la Belgique et la Suisse, résume Maxime Lemerle, responsable des études défaillances chez Allianz Trade. Ces marchés expliquent d’ailleurs deux-tiers de la hausse des défaillances d’entreprises attendue à l’échelle mondiale cette année. La moitié des pays que nous avons analysés ont d’ores et déjà enregistré une croissance des défaillances d’entreprises à deux chiffres lors du premier semestre 2022. A l’inverse, les États-Unis, la Chine, l’Allemagne, l’Italie et le Brésil continuent de témoigner de faibles niveaux de défaillances, mais la tendance devrait s’inverser l’année prochaine dans ces pays ».
Dans le détail, les défaillances progressent fortement en France (+ 46 % en 2022 ; + 29 % en 2023), au Royaume-Uni (+ 51% ; + 10%), en Allemagne (+ 5 % ; + 17 %) et en Italie en 2023 (-6% ; + 36 %). « La région devrait, dans son ensemble, dépasser ses niveaux de défaillances d’entreprises prépandémie dès la fin de l’année 2022 (+ 5 %) » observe Allianz.
En Asie, une hausse des défaillances de + 15 % est prévue en 2023 pour la Chine, « principalement du fait du faible rythme de croissance économique et de l’impact limité de l’assouplissement monétaire et budgétaire ». Aux États-Unis, la hausse pourrait être de + 38 % en 2023, à la suite de la forte progression des taux d’intérêts et des restrictions d’accès au crédit.
Le décalage entre l’Europe et le reste du monde est très net sur le graphique ci-après.
La vague plus forte chez les petites entreprises
Les entreprises sont affectées différemment selon leur taille et les secteurs où elles opèrent, d’après les observations d’Allianz.
Ainsi, en Europe, l’accélération des défaillances est observée dans 60 % des secteurs sous revue, avec un retour au niveau des faillites de 2019 dans l’hôtellerie-restauration, l’industrie manufacturière et les services B2C. Mais la construction et les transports commencent également à souffrir.
Par ailleurs, ce sont surtout les petites entreprises qui sont touchées par ce rebond des défaillances au niveau mondial. Les grandes défaillances (soit des entreprises dont le chiffre d’affaires annuel est supérieur à 50 millions d’euros) restent plus rares, « seulement 182 cas en cumulé sur les 9 premiers mois de l’année, comparé à 187 cas en 2021 et 332 cas en 2020 », précise Ano Kuhanathan, responsable de la recherche sectorielle chez Allianz Trade, cité par le communiqué.
Une facture énergétique insupportable
Des trois facteurs cités plus haut qui étouffent la trésorerie des entreprises, la flambée des prix de l’énergie est le plus important en Europe. Elle est même insupportable à terme pour des milliers d’entreprises.
Allianz Trade donne un intéressant exemple comparatif entre la France et l’Allemagne : « Si les entreprises étaient en mesure de répercuter ne serait-ce qu’un quart de la hausse du prix de l’énergie sur leurs prix de ventes, elles pourraient supporter une hausse du coût de l’énergie de +50 % en Allemagne et de +40 % en France. Si l’on regarde plus précisément le cas de la France, en excluant les microentreprises, Allianz Trade estime que la hausse du prix de l’énergie pourrait coûter -9 Md EUR à plus de 7000 entreprises appartenant aux 4 secteurs les plus exposés à la situation actuelle, à savoir le papier, la métallurgie, les machines et équipements et l’industrie minière. En comparaison, en Allemagne, ce montant atteint -7 Md EUR, et concerne 4000 entreprises, appartenant principalement aux secteurs du papier et de la métallurgie ».
Autrement dit, en Europe, les entreprises opérant dans les secteurs particulièrement énergivores sont actuellement très exposées à des défaillances. Et les mesures prises par les États pour limiter la casse seront cruciales pour éviter l’aggravation de la situation.
C.G
*L’intégralité de l’étude est disponible (en anglais) en ligne : cliquez ICI.