Les Vingt-sept ministres européens en charge du Commerce extérieur se sont réunis les 13 et 14 février à Marseille pour une réunion informelle, dans le cadre de la présidence française du conseil de l’UE (PFUE). L’objectif ? Définir les orientations stratégiques de l’UE en matière de politique commerciale. Et ce ne sont pas les sujets qui manquent.
Un an après l’annonce d’une politique commerciale présentée comme « plus ouverte, moins naïve et plus durable », comme l’a rappelé le ministre français en charge du Commerce extérieur Franck Riester, lors d’une conférence de presse le 14 février, la réforme de l’OMC était sur toutes les lèvres ce week-end à Marseille. Dimanche soir, un dîner avec Ngozi Okonjo-Iweala, sa directrice générale, a été l’occasion d’évoquer l’avenir de l’Organisation, dont l’action est actuellement entravée par le blocage de son organe d’appel par les États-Unis, qui refuse de renouveler les juges.
« L’UE est le plus grand bloc commercial du monde, nos exportations représentent 38 millions d’emplois, a déclaré le vice-président de la Commission européenne Valdis Dombrovskis. Avec plus de 85% de la croissance mondiale en dehors de l’UE au cours de la prochaine décennie, nous avons besoin d’un système commercial mondial opérationnel, doté de règles solides ».
Au menu de ce diner: la réforme de l’OMC pour relever les défis posés par le développement durable et le numérique, mais aussi pour renforcer la lutte contre les pratiques déloyales. En ligne de mire, notamment : l’encadrement des subventions à la pêche, dont les négociations courent depuis… 2001. Dans l’immédiat, la question de l’accès aux vaccins contre la Covid-19 a également été au centre des discussions.
L’UE dans l’attente d’une réforme de l’OMC
Les ministres européens ont en effet souligné que la protection de la propriété intellectuelle demeurait un élément décisif créant une incitation à l’innovation et permettant les transferts de technologie. Pour autant, ils ont également insisté sur le fait que la propriété intellectuelle ne doit pas être un obstacle à la distribution équitable des vaccins.
A cet égard, ils ont rappelé leur soutien à la proposition de clarifier et faciliter les conditions dans lesquelles les pays membres de l’OMC pourront autoriser les entreprises à fabriquer et exporter vaccins et médicaments anti-Covid de manière rapide et abordable, même lorsque ces innovations sont protégées par des brevets. L’UE défend en effet le principe de licences volontaires permettant aux gouvernements d’accorder des licences à des producteurs volontaires pour fabriquer localement un vaccin sans le consentement du titulaire du brevet. Une urgence pour le continent africain dont seulement 10 % de la population sont entièrement vaccinés.
Cette question devait être abordée lors de la 12e conférence ministérielle de l’OMC, annulée en décembre en raison de la situation sanitaire. Très attendue elle devait également proposer des mises à jour des règles des accords commerciaux pour mieux prendre en compte les défis du changement climatique, de la sécurité alimentaire, du numérique et de la concurrence déloyale. Mais pour l’heure, aucune date pour cette conférence n’a pour l’instant été fixée.
Appel à l’intensification des échanges commerciaux avec l’Afrique
De passage à Paris fin janvier à l’occasion d’une conférence sur le développement durable organisée dans le cadre de la PFUE, Ngozi Okonjo-Iweala n’avait pu garantir un compromis sur les vaccins avant la tenue du prochain sommet entre l’Union européenne et l’Union africaine, les 17 et 18 février à Bruxelles. Une déclaration conjointe sur une vision commune pour 2030 devrait alors être adoptée par les participants.
Le choix de Marseille, la « porte du Sud », pour cette conférence ministérielle sur le commerce extérieur de l’UE n’est pas un hasard. Outre la problématique de la propriété intellectuelle des vaccins, les 27 ministres ont redit leur volonté d’approfondir leur partenariat avec l’Afrique et ont invité la Commission à mobiliser tous ses outils.
A savoir : un soutien technique à la zone de libre-échange continentale africaine (Zleca), l’approfondissement des accords économiques en matière de commerce et d’investissement, l’initiative « Global Gateway » (150 milliards d’euros d’investissements pour l’Afrique) ou encore des coopérations sectorielles en vue de développer des chaines de valeur euro-africaines.
Préparation du prochain CCT avec le Etats-Unis
Il sera aussi question de chaînes de valeur lors de la prochaine réunion du Conseil Commerce et Technologies (CCT) avec le États-Unis en mai. Ce forum de coopération lancé en octobre 2021 permet à l’UE et aux Etats-Unis de coordonner leurs approches commerciales, économiques et technologiques.
Les Vingt-sept ont pu échanger sur les sujets prioritaires, comme la normalisation internationale, la sécurisation des chaines d’approvisionnement des terres rares, les aimants permanents et les semi-conducteurs, la coopération en matière technologique (cloud, 5G et 6G, intelligence artificielle), les régimes de contrôle export et du filtrage des investissements, ou encore la lutte contre les pratiques distorsives et la décarbonation des échanges.
Pour relever tous ces défis, et tenir son ambition d’être « moins naïve », la politique commerciale européenne devra se doter d’un instrument anti-coercition. L’exemple récent de la Lituanie et des mesures de rétorsions imposées par Pékin, l’a souligné avec force. « Renforcer notre souveraineté, cela veut dire pourvoir demain défendre plus efficacement nos intérêts et ceux de nos entreprises devant des sanctions commerciales inacceptables, comme la Chine les impose à la Lituanie aujourd’hui » a déclaré Franck Riester.
La mise en place effective de cet instrument présenté en décembre 2021, qui suit un processus complexe, devrait néanmoins prendre plusieurs mois.
Sophie Creusillet