Les défis technologiques et logistiques posés par la découverte d’immenses gisements marins à très grande profondeur incitent le Brésil à s’appuyer sur les expertises de fournisseurs étrangers de biens et de services. Mais, pour travailler dans ce pays, l’investissement sur place demeure la règle.
224 milliards de dollars, tel est le montant des investissements que l’entreprise publique Petrobras a programmé dans son plan 2010-2014. Ce montant ne devrait guère varier dans la nouvelle version (2011-2015) qui doit être publiée prochainement. À cela s’ajoutent les investissements réalisés par les compagnies privées, étrangères ou brésiliennes, à une échelle il est vrai bien moindre. Le directeur financier de Petrobras, Almir Barbassa, a annoncé récemment l’objectif de la compagnie : faire passer la production, d’ici à 2020, de 2,6 à 6 millions de barils équivalents pétrole/jour (bep/j).
À l’image d’autres pays producteurs, le Brésil souhaite faire en sorte qu’un maximum d’achats soient réalisés auprès de fournisseurs présents sur place pour développer le « contenu local ». « Il existe, bien sûr, des possibilités de livraison en direct. Mais la règle générale est que les sociétés françaises qui veulent travailler doivent s’installer au Brésil », fait remarquer Philippe Mauriac, directeur de PHM Serviços de Comercio Internacional, une société de conseil spécialisée dans les domaines des hydrocarbures et de la pétrochimie.
Petrobras a commencé à passer commande de navires aux chantiers navals brésiliens en pleine renaissance. Pour la première fois, des appareils de forage en mer seront fabriqués dans le pays. Une première commande de 7 appareils a été signée en début d’année avec le chantier naval Estaleiro Atlantico Sul (EAS) basé à Pernambouc et un appel d’offres va être lancé prochainement pour 21 unités supplémentaires.
Certes, l’application de cette stratégie bute sur des obstacles. Les capacités de production sont saturées et le Brésil manque de personnel qualifié. Des retards sont constatés dans l’exécution des projets annoncés. La concurrence des pays à bas coût, notamment de la Chine, a des effets dévastateurs sur certains segments et tend à provoquer un phénomène de désindustrialisation. « Pour certains produits fabriqués en grande série comme les valves, l’industrie locale n’est pas compétitive face à la concurrence étrangère », constate Sergio Machado, directeur du département hydrocarbures de l’Abimaq, l’association professionnelle qui défend les intérêts des fabricants de machines et de biens d’équipement. L’effort des industriels brésiliens se concentre sur les biens d’équipement en petite série ou à la commande.
L’ampleur des investissements se traduit par une grande diversité des produits achetés. Petrobras a, en effet, une stratégie de développement qui couvre plusieurs domaines : l’exploration-production, bien sûr, qui est le cœur de l’activité de la compagnie, mais aussi le raffinage (4 unités nouvelles prévues), la pétrochimie, les engrais, l’électricité thermique au gaz, les biocarburants et la logistique. Surtout, le Brésil s’est lancé dans l’exploration et la production de ressources situées à une profondeur de 5 000 à 7 000 mètres sous la surface de la mer, dont une couche de sel de 3 000 mètres environ. Les réserves représenteraient un montant compris entre 30 et 40 milliards de bep dans la zone dite du pré-sal. L’extraction du pétrole est rendue difficile en raison de la profondeur, des impacts du sel sur les équipements et de la présence de CO2 dans le gaz.
À cela s’ajoute un défi logistique de grande ampleur, lié au fait que ces gisements se situent à 300 kilomètres des côtes brésiliennes. Petrobras envisage la construction d’une unité de stockage de pétrole flottante à 90 kilomètres de la côte.
La faisabilité d’un projet de création d’une unité de liquéfaction de gaz en mer est actuellement à l’étude au sein de la direction gaz et énergie. « Les spécificités du pré-sal obligent Petrobras à rechercher des solutions nouvelles », indique Philippe Mauriac. « Le pré-sal peut être l’occasion de développer un nouveau pôle de compétence technologique du Brésil », note de son côté l’économiste Antonio Barros de Castro.
Si Petrobras dispose d’un savoir-faire mondialement reconnu en matière d’off-shore, elle entend aussi s’appuyer sur les entreprises étrangères pour résoudre les nouveaux défis du pré-sal. « Il ne s’agit pas seulement de transférer de la technologie, mais de développer des projets conjoints entre entreprises brésiliennes et étrangères », affirme Raimar van den Bylaardt, gérant du département technologie à l’Institut brésilien du pétrole (IBP), l’association qui rassemble l’ensemble des compagnies pétrolières présentes au Brésil.
Daniel Solano
L’enjeu de la recherche-développement
La complexité des investissements à réaliser dans le pré-sal contraint Petrobras à augmenter ses investissements en matière de recherche-développement (R&D). Ceux-ci devraient passer de 872 millions de dollars en moyenne pendant la période 2008-2010 à 1,25 milliard de dollars en 2011. Le Cenpes, le centre de R&D de Petrobras, a inauguré en octobre 2010 une extension de sa superficie qui atteint désormais 300 000 m2.
Mieux encore, Petrobras a mis en place une véritable « stratégie de l’innovation » en s’appuyant sur des accords avec, d’une part, les universités et les centres de recherche et, d’autre part, les fournisseurs. À côté du bâtiment du Cenpes, un parc technologique a vu le jour où doivent être installés des centres de R&D de plusieurs fournisseurs : Schlumberger, Baker Hughes, FMC Technologies, General Electric et Usiminas notamment.
À la mi-novembre 2010, Schlumberger a été la première société à inaugurer son centre de R&D qui occupe une superficie de 10 000 m2 et emploie 300 personnes (chercheurs, ingénieurs et techniciens). Il est dédié à promouvoir l’intégration des géosciences et de l’ingénierie afin d’améliorer la production d’hydrocarbures à partir des réservoirs en eaux profondes et dans la zone du pré-sal.
D. S.
Producteurs privés brésiliens : des clients potentiels
La fin du monopole de Petrobras, en 1997, a permis l’entrée des opérateurs étrangers (Shell, British Gas, Repsol, etc.), mais aussi la naissance d’un secteur pétrolier privé brésilien dont le poids n’a cessé de se renforcer.
Plusieurs sociétés ont lancé des investissements ambitieux. OGX, une compagnie fondée par l’homme d’affaires Eike Batista, dispose de 29 blocs au Brésil et envisage de forer 55 puits en 2011-2013. La production devrait démarrer en octobre 2011 dans le bassin de Campos et la compagnie espère atteindre 730 000 b/j en 2015. Les chiffres sont ambitieux. Reinaldo Belotti, directeur du développement de la production d’OGX, rappelle que « la compagnie a tenu tous les engagements annoncés jusqu’ici », un fait que reconnaît Nelson Rodrigues de Matos, analyste financier chez BB Investimentos.
OGX a réalisé d’importantes découvertes gazières dans le bassin de Parnaiba (7 blocs) situé dans le nord-est du Brésil. Les réserves y sont estimées à 15 000 milliards de mètres cubes. Ce gaz sera utilisé notamment dans une centrale électrique de grosse capacité (1 800 MW) qui doit être construite par une société sœur : MPX. Eike Batista a en effet constitué des sociétés dans la logistique portuaire (LLX propriétaire du port d’Açu en construction), la construction de navires et de plateformes (OSX) et envisage de construire une usine sidérurgique avec le chinois Wisco. « Les synergies entre les différentes sociétés du groupe devraient permettre de réduire les coûts », précise Reinaldo Belotti.
Autre exemple de ce dynamisme : la compagnie HRT, fondée en 2008 par Marcio Mello, un ancien géologue de Petrobras qui avait créé en 2004 une compagnie de services pétroliers. « L’objectif a été d’utiliser cette capacité technique pour créer une entreprise pétrolière », affirme John Forman, vice-président exécutif de HRT. La société détient 21 blocs dans le bassin de Solimoes, en Amazonie, dont HRT est l’opérateur avec une participation de 55 %. Les investissements prévus s’élèvent à 1 milliard de dollars au cours des deux prochaines années. Le forage du premier puits d’exploration dans le bassin de Solimoes a eu lieu en avril 2011.
D. S.