En Amérique latine, le Paraguay voudrait devenir une porte d’entrée sur le Mercosur, ce grand marché de 280 millions d’habitants formé avec le Brésil, l’Argentine et l’Uruguay, qui a signé un accord commercial avec l’Union européenne, le 28 juin 2019.
« Nous avons les coûts de production les plus bas de la région et nos impôts sur les sociétés comme la TVA ne sont que de 10 % », a ainsi livré d’emblée Didier Olmedo, vice-ministre des Relations économiques et de l’intégration du ministère des Affaires étrangères du Paraguay (à gauche sur notre photo, avec S. Witkowski, président du conseil de gestion de l’Iheal), lors d’une table ronde de l’association France-Amériques, intitulée « le Paraguay et son ouverture économique », le 24 février à Paris.
B. Graff (CNR) : le Paraguay fait de « son enclavement une opportunité »
Ce petit pays de sept millions d’habitants « a su faire son enclavement une opportunité en développant ses voies fluviales », a ajouté Benjamin Graff, Business Development Manager de la division Ingénierie et projets de la Compagnie Nationale du Rhône (CNR). De fait, le petit État dispose de deux grands fleuves, le Paraná et le Paraguay, l’un reliant le pays au Brésil, l’autre à l’Argentine et au Brésil.
« Le Paraguay est la troisième puissance mondiale fluviale. C’est un enjeu majeur pour la région en termes de transport. Une barge équivaut à 22 semi-remorques sur le Rhône et je suis sûr que c’est encore plus au Paraguay », a pointé ainsi Benjamin Graff.
Outre le soja, dont le Paraguay est le quatrième exportateur mondial, les bateaux transportent le minerai bolivien et brésilien sur le Paraguay et le Paraná.
L’an dernier, le Paraguay a exporté pour 7,1 milliards d’euros de marchandises, dont 62 % dans l’agroalimentaire (soja, viande…) et 24 % les hydrocarbures. « Nous sommes au milieu d’un bassin agricole et avons besoin de développer les services et la logistique. Comme nous manquons d’expérience, notre porte est ouverte aux Français », a assuré Didier Olmedo.
De grands projets dans le fluvial
En novembre 2017, CNR a signé un protocole d’étude pour permettre la navigation sur le fleuve Paraná (près de 4 000 kilomètres), entravée par le barrage et la centrale hydroélectrique d’Itaipu à la frontière du Brésil et du Paraguay. Le contrat a été conclu avec la société gestionnaire du barrage, Itaipu Binacional.
« C’était un projet emblématique, d’un montant de 1,2 à 1,4 milliard de dollars, offrant des opportunités à d’autres entreprises françaises. Concrètement, pour franchir une chute de 120 mètres, nous avons installé quatre écluses de 30 mètres chacune et, dès le début, il y a eu une grande transparence sur les sujets techniques de navigation et d’hydroélectricité », s’est félicité Benjamin Graff.
En outre, selon lui, « les projets a fait l’objet de discussions constructives, il y a eu aussi la même transparence sur le suivi des procédures de marché », la qualité des interlocuteurs et de leurs connaissances.
Le dirigeant français a estimé, par ailleurs, que si la Banque interaméricaine de développement (Bid) a accepté de prêter 125 millions dollars pour la réhabilitation et l’amélioration de l’efficacité énergétique du barrage et de la centrale d’Acaray sur le Paraná, c’était « une preuve de confiance ».
Enfin, il a noté que le réseau de voies navigables Paraná-Paraguay doit faire l’objet d’un dragage pour une plus grande fluidité des barges et d’un balisage pour une plus grande sécurité. Ce projet, selon lui, « fait aujourd’hui l’objet de discussions avec l’Autorité en charge des voies navigables, notamment dans le cadre d’un partenariat privé-public (PPP) ».
« Le Paraguay est souvent présenté comme un Émirat de l’hydroélectricité et il est clair qu’il y a de grands enjeux d’infrastructures », soutenait Stéphane Witkowski, président du conseil de gestion de l’Institut des hautes études de l’Amérique latine (Iheal). Outre l’axe fluvial Paraná-Paraguay, trois autres corridors sont jugés stratégiques par Asunción : Capricorne (Chili-Argentine-Brésil), corridor interocéanique central (Bolivie, Brésil, Chili, Pérou) et réseau Mercosur-Chili (Chili, Argentine, Uruguay, Brésil).
Les projets du train biocéanique et des Rutas 2 et 7
De nombreux projets d’intégration physique pourraient être réalisés, de la transmission d’énergie aux interconnexions ferroviaires.
Par exemple, le projet de train biocéanique permettrait des connexions avec les ports sur le Pacifique et l’Atlantique. Il comprendrait notamment une ligne ferroviaire de 1500 km ouvrant la Bolivie et le Paraguay à la mer. Les Nations-Unies, notamment, se sont félicitées que le Paraguay veuille réactiver ce projet en misant sur des investissements privés.
Ce projet est d’autant plus important pour ce pays que le réseau ferroviaire y est quasi inexistant. Le train biocéanique aurait une autre vertu : améliorer l’inter modalité régionale.
Cette ouverture vers le secteur privé va de pair avec un intérêt accru pour les investissements directs étrangers (IDE). Outre une fiscalité attrayante, Coface s’est réjouit qu’Asunción ait adopté une approche prudente à l’égard de ses finances publiques depuis des années. L’assureur-crédit français, qui vient de revoir à la hausse l’évaluation du Paraguay (reclassement de C à B), estime que les zones franches d’exportation, appelées maquilas, devraient favoriser l’économie cette année. Après + 0,2 % en 2019, l’économie croîtrait de 4 %.
« Dans les maquilas, il n’y a plus d’impôt sur les sociétés, seulement une taxe de 1 % sur les facturations, et pas de droit de douane », a précisé Didier Olmedo. Coface estime ainsi que « le dynamisme de l’assemblage des pièces automobiles (47 % des réexportations) et textiles (33 %) au sein des maquilas » soutiendra « les créations d’emplois et in fine le pouvoir d’achat des ménages ».
Par ailleurs, le secteur de la construction serait boosté par la mise en œuvre du projet Rutas 2 (Asunción-Coronel Oviedo) et 7 (Coronel Oviedo-Caaguazú) au travers d’un partenariat public-privé (PPP), d’un montant de 520 millions de dollars, conclu entre le consortium Rutas del Este entre l’espagnol Sacyr (60 %) et le paraguayen Ocho A (40 %) et le le ministère des Travaux publics et des communications (MOPC). Il s’agit du premier couloir routier du pays, puisqu’y sont liés 70 % de l’activité économique.
Pas de diversification économique sans IDE
La porte ouverte aux IDE est indispensable à la diversification économique indispensable au petit pays d’Amérique latine.
D’après Medef International, qui appuie l’Union industrielle paraguayenne dans le cadre du projet d’appui à la diversification économique (Pade), outre la construction, les énergies et les transports, des opportunités existent dans la transformation des produits agricoles.
« Nous sommes de grands producteurs de matières premières et nous voulons créer de la valeur ajoutée », a confirmé Didier Olmedo. « Les échanges sont faibles avec la France, il y a chez nous une méconnaissance de ce marché où des sociétés aguerries à l’export ont pourtant leur place », a jugé Stéphane Witkowski. L’Hexagone a ainsi exporté au Paraguay pour un plus de 59 millions d’euros de marchandises en 2019 (parfums, produits chimiques, médicaments…).
L’accord commercial conclu entre le Mercosur et l’UE peut, s’il est ratifié et mis en vigueur (ce qui n’est pas encore le cas), ouvrir de nouveaux horizons au Paraguay. Aujourd’hui, l’IDE au Paraguay demeure faible. Le stock global y a ainsi été évalué à 6,4 milliards de dollars par la Conférence des Nations Unies pour le commerce et le développement (Cnuced) dans son Rapport sur les investissements dans le monde en 2019. Ces capitaux viennent principalement des États-Unis, du Brésil et d’Espagne.
Un des enjeux du Paraguay est aussi de diminuer sa dépendance de ses grands voisins, comme le Brésil et l’Argentine, et de la Chine. Dans les IDE, Stéphane Witkowski note déjà une petite diversification économique. « Les capitaux argentins sont arrivés, alors que l’on disait, il y a encore peu, que le Paraguay était une terre d’investissement du Brésil », a-t-il souligné.
De grands défis : la pauvreté, les inégalités, la corruption, l’informel
La Chine est de loin le premier fournisseur de biens du Paraguay, avec plus de 10,5 milliards d’euros d’importations, devant le Brésil, avec 3,58 milliards, et l’Argentine, avec 951 millions, d’après la base de données GTA (groupe IHS Markit), spécialisée dans le commerce international.
« En revanche, Pékin n’investit pas. Nous n’avons pas de relations diplomatiques, car nous reconnaissons Taïwan. Et si la Chine peut être destinataire de notre soja, c’est uniquement parce que les gros traders internationaux, comme Cargill et Louis Dreyfus, qui sont implantés chez nous, y ont intérêt », exposait Didier Olmedo. L’industrie agroalimentaire attire ainsi l’essentiel des IDE.
L’intégration dans le commerce mondial fait partie des priorités du président Mario Abdo Benitez. Élu en 2018, le successeur d’Horacio Cartes poursuit ainsi le Plan de développement national 2014-2030, dont deux autres objectifs essentiels sont, d’une part, la réduction de la pauvreté et le développement social et, d’autre part, la croissance économique partagée.
D’après la Banque mondiale le taux de pauvreté (moins de 3,10 dollars par jour) est passé de 26,6 % en 2016 à 28,8 % en 2017. Et l’économie informelle et la corruption demeurent importantes. Dans un pays où 70 % de la population sont âgés de moins de 30 ans, l’État se doit d’être attentif aux inégalités.
D’après la Société Générale, « la concentration des terres dans les campagnes paraguayennes est l’une des plus élevées au monde : 10 % de la population contrôle 66 % des terres, tandis que 30 % des ruraux sont sans terre ». La banque française note que cette situation est source de « tension permanente entre les sans-terres et les élites ». Un risque majeur.
François Pargny