Critère de sélection du prix meilleure approche financement de l’export
PME ou ETI ayant fait du financement un levier de développement à l’international, y compris en utilisant des outils de financement export public dans les 12 derniers mois.
Startup marseillaise fondée en 2015 par deux passionnés d’astronomie, Unistellar a reçu le 6 décembre le prix Meilleure approche financement de l’export dans le cadre du Palmarès 2021 des leaders de l’export. Cette jeune pouce prometteuse a créé une petite révolution en concevant l’eVscope, un télescope numérique grand public mais ultrapuissant. Pour se lancer sur ce marché de niche mondial d’astronomes amateurs passionnés, elle a fait appel à ses futurs clients et misé constamment sur ses fonds propres ainsi que les leviers du financement public*.
Unistellar, c’est d’abord un rêve d’adolescent doué et touche-à-tout qui se réalise à force de détermination, d’imagination et d’audace. « Quand j’étais ado, j’avais un télescope : à l’époque, ça impliquait de maîtriser le ciel et l’objet, c’était compliqué, mais à part la lune et les planètes, on ne voyait pas grand-chose », se souvient Laurent Marfisi, cofondateur et P-dg d’Unistellar, ancien ingénieur du département de la recherche du CEA et passionné d’astronomie.
Comment voir plus de choses dans le ciel sans se ruiner ? La question lui a trotté dans la tête pendant des années. La réponse est la création d’un télescope utilisant les dernières technologies disponibles du numérique et de l’optique – et notamment en matière de capteurs et de traitement de signaux lumineux faibles –, mais simple à utiliser pour la communauté d’astronomes amateurs.
L’idée est mûrie par Laurent Marfisi, et deux autres compères également passionnés, Arnaud Malvache, chercheur en traitement de l’image, et Antonin Borot, chercheur en optique. Ils créent Unistellar en 2015 à Marseille. Ils seront rejoints en 2017 par Franck Marchis, astronome au Seti Institute en Californie, rencontré lors du CES de Las Vegas, où la startup décrochera par la suite plusieurs Innovation Awards.
Les associés, qui n’ont que leurs économies à investir, se mettent en quête de fonds propres pour développer leur projet et réaliser un prototype : ils commencent par remporter un concours de l’innovation doté de 35 000 euros par Bpifrance, puis passent par l’incubateur marseillais Impulse, qui leur accordera un prêt participatif de 35 000 euros, avant d’obtenir un prêt d’honneur de 30 000 euros auprès d’un fonds d’amorçage régional.
Une campagne de précommande à 2,2 millions de dollars
Les plans, caractéristiques techniques, du futur eVscope sont prêts : l’ambition est de proposer un télescope 200 fois plus puissant que les appareils conventionnels. De quoi introduire une rupture sur le marché mondial des télescopes grand public.
Reste à passer à la phase fabrication. C’est alors que vient la première idée de génie : lancer une campagne de précommande du futur engin, sur plans et prototype, comme on achèterait son futur appartement à construire. L’appel de fonds passe par le site américain Kickstarter en novembre 2017. Le succès est fulgurant. Des astronomes amateurs du monde entier se précipitent : 1600 eVscope sont ainsi précommandés au prix « discount » de 1 500 dollars pièce (l’eVscope vaut aujourd’hui plus du double), 2,2 millions de dollars sont ainsi récoltés.
« On leur a vendu le télescope de leur rêve », se souvient Laurent Marfisi. Et par la même occasion, Unistellar a créé les bases de la communauté internationale d’astronomes qui, deuxième idée de génie, fait d’entrée son succès mondial.
Outre l’objet qui leur donne accès à un espace qu’ils n’atteignaient pas jusqu’à présent, les astronomes amateurs ont la possibilité, avec l’eVscope, de participer ensemble à la recherche scientifique collective, via un site communautaire et participatif : ils peuvent échanger sur leurs dernières découvertes, partager leurs données, coopérer.
Des découvertes d’amateurs qui intéressent la Nasa
Cette communauté compte aujourd’hui 30 000 membres et 18 000 utilisateurs, un trésor pour la jeune pousse marseillaise. « On a des gens qui observent des exoplanètes », insiste Laurent Marsini, ces corps célestes situés hors du système solaire.
Et ces données intéressent des organismes comme le Seti Institute, avec lequel Unistellar a noué un partenariat, voire la Nasa. Des utilisateurs de l’eVscope ont ainsi pu observer un astéroïde lointain qui intéressait la Nasa mais que celle-ci n’avait pu observer. Leurs données ont permis à l’agence américaine de préparer le vol d’une sonde vers cet astéroïde et les heureux astronomes ont été invités au tir de la fusée.
Revenons à 2017. Fort des fonds récoltés lors de la précommande, les fondateurs d’Unistellar ont pu lancer l’aventure industrielle. Recrutement, développement du software, lancement d’un appel d’offres pour trouver un industriel. C’est Altyor, un industriel français basé à Orléans, qui a finalement été choisi. L’eVscope est fabriqué dans son usine de Shanghai, pas pour des raisons d’économie de coûts, mais parce que tous les composants et compétences sont disponibles dans cette Silicon Valley chinoise, assure Laurent Marfisi. Car il fallait rapidement servir les 1600 acheteurs de l’eVscope.
Depuis ces premiers pas, Unistellar a fait beaucoup de chemin, de nouveaux investisseurs ont rejoint les 4 premiers associés, la société a même fait entrer la communauté des astronomes amateurs à son capital via une offre publique de vente de parts sur le site Seedrs en juin dernier : elle a été sursouscrite à 166 % ! Comme aime le rappeler son dirigeant, Unistellar, ça reste un « sujet passion ».
Commercialisation via son site et des distributeurs
Unistellar vend en direct ses produits dans le monde entier via son site Internet décliné en quatre langues (français, anglais, allemand, japonais) et six versions (France, Allemagne, Royaume-Uni, Union européenne, États-Unis, Japon). Une garantie de garder le contact avec sa communauté d’utilisateurs et de fans.
Ce qui n’empêche pas d’être présent chez certains distributeurs ciblés. « Nous vendons pas mal en direct mais nous tenons à être présents dans certaines enseignes comme Nature & Découvertes car cela donne de la crédibilité supplémentaire », explique Laurent Marfisi.
De fait, présente sur le pavillon France à l’Exposition universelle de Dubaï, Unistellar ne néglige pas les canaux traditionnels de commercialisation à l’export. L’entreprise a monté une petite délégation pour l’inauguration : elle a passé une semaine sur Expo Dubaï pour rencontrer des revendeurs, faire avancer les projets de contrats, réseauter.
Unistellar a aussi étoffé son organisation : elle emploie aujourd’hui 52 personnes, dispose d’une filiale aux États-Unis, à San Francisco, et a noué un partenariat au Japon avec le géant de l’optique Nikon. « Nous sommes encore très tournés vers la R&D, le département commercial doit se développer », précise le dirigeant.
4 000 télescopes livrés dans le monde
Alors que la startup vient de sortir la deuxième version de l’eVscope, plus de 4 000 engins ont déjà été livrés depuis la première précommande de 2017 et son chiffre d’affaires a progressé de 2 000 % en 2020 par rapport à 2019. « On est passé de 0 à 7 millions d’euros en l’espace de deux ans », constate le dirigeant, qui semble encore étonné de ce fulgurant succès mais reste discret sur les détails financiers.
Les marchés n°1 se répartissent à parts égales entre l’Europe (40 %) et l’Amérique du Nord (40 %), le reste étant capté par le Japon (20 %). Laurent Marfisi et ses associés ne comptent pas en rester là. Dans une deuxième phase, des marchés d’Asie-Océanie à potentiel identifié se profilent, notamment la Corée du Sud et l’Australie. « Nous avons longtemps pensé à la Chine mais nous y avons renoncé car c’est compliqué », explique Laurent Marfisi. Et en troisième priorité, la Russie, l’Amérique du Sud, le Moyen-Orient.
Pour muscler son organisation et sa force de frappe à l’international, et toujours fidèle à son approche financière prudente, Unistellar a récemment sollicité et obtenu un prêt croissance internationale de Bpifrance, un financement sur trois à sept ans à taux fixe qui permet de couvrir des investissements immatériels nécessaires au développement international d’une entreprise. « Il nous permettra de mieux développer nos ventes aux États-Unis, Allemagne et UK en termes de publicité et de développer notre canal de vente directe en ligne », commente Laurent Marfisi.
Seules les perturbations actuelles des supply chains, liés à l’engorgement des ports et pénuries de composants, freinent la poursuite de sa croissance en retardant la mise en œuvre de ses plannings. Mais Unistellar vient à peine de commencer son ascension, elle n’est pas près de s’arrêter.
Christine Gilguy
*Article paru dans le magasine Le Moci N°2089, novembre 2021.
LES CHIFFRES CLÉS
CA 2020 : plus ou moins 7 millions d’euros.
Part de l’international dans le CA : 85 %.
Effectif : 52.