Depuis son arrivée en mars 2023, le nouveau directeur exécutif export de Bpifrance, Olivier Vincent, n’a pas ménagé ses efforts pour prendre la mesure de ses nouvelles fonctions, aller à la rencontre des équipes du réseau de la banque publique en France et à l’étranger et se positionner sur le nouveau plan Osez l’export. Dans cette interview exclusive, il déroule ses priorités d’action pour les prochains mois. Ce banquier de terrain, qui était précédemment directeur du risque de crédit, met en tête de ses priorités la relance de l’assurance-crédit export grâce à une orientation davantage PME et ETI.
(Mis à jour le 01/12/23, tendances de l’activité export)
Le Moci. Au premier semestre, les tendances des activités export de Bpifrance étaient plutôt positives, à l’exception peut-être de l’assurance prospection (AP). On touche à la fin de l’année, où en êtes-vous ?
Olivier Vincent. Sur les produits de financements, les tendances sont bonnes, incluant les prêts sans garantie, le crédit export, la garantie de projet international, ainsi que l’AP. On devrait être au même niveau de ce qu’on a réalisé en 2022. L’enveloppe de l’AP a été revue dans le cadre d’une stratégie plus générale mais le produit vit sa vie. C’est un dispositif ancien, la moyenne des dossiers est de 200 000 euros.
Mais nous allons faire une très belle année en crédit export, avec un nouveau record de montants engagés. On a pris un gros marché qui contribue à ce résultat, mais ce qui est plus intéressant, c’est que nous sommes allés sur de nouvelles géographies de destination (Ouzbékistan, Mongolie, Inde, Guinée). L’année n’est pas finie. Le crédit export est un domaine où les dossiers mettent du temps à se boucler.
Concernant l’assurance-crédit, c’est notre sujet stratégique car, d’une façon générale, on observe une tendance baissière depuis plusieurs années, même si on observe aussi que certains produits se maintiennent, voire progressent légèrement. En montant, on réalise à peu près la même chose que Coface au début des années 2010, c’est un sujet important pour la direction de Bpifrance est la direction générale du Trésor (DG Trésor). En plus, nous sommes sur la loi des petits nombres : cela touche peu d’entreprises, mais sur de gros montants car il s’agit de grands groupes. Toute la stratégie que je mets en œuvre avec l’ensemble de mon équipe depuis ma nomination en mars 2023 est de remettre au centre l’assurance-crédit. Car c’est de l’assurance-crédit que le crédit export et d’autres de nos produits repartiront. Nous voulons rehausser l’activité d’assurance-crédit et nous allons tout mettre en œuvre pour y parvenir, y compris faire en sorte que notre réseau se réapproprie ce produit.
Les tendances 2023 de l’activité export de Bpifrance
(En millions d’euros, 10 mois, janvier- octobre 2023, évolution sur même période 2022)
–Assurance-crédit moyen terme : 13 220 (-55,6 %)
Nombre d’entreprises : 83 (2022 : 75)–Assurance prospection (yc APA) : 173 (-30,5 %)
Nombre d’entreprises : 1 147 (2022 : 1 249)–Garanties de caution et préfinancement : 847 (+17,9 %)
Nombre d’entreprises : 331 (2022 : 310)–Assurance change : 617 (+ 60,2 %)
Nombre d’entreprises : 63 (2022 : 55)–Crédit export : 305 (+296,1 %)
Nombre d’entreprises : 13 (2022 : 10)Source : Bpifrance
« Sur l’assurance-crédit, nous sommes résolument business oriented »
Le Moci. La réforme annoncée des règles de part française, qui doit donner lieu prochainement à une mise à jour du guide en ligne du Trésor, entre-t-elle dans cette stratégie ?
Olivier Vincent. La réponse est oui, j’en remercie la DG Trésor. Nous avons commencé un gros travail de mise à plat de tous les points que nous pourrions améliorer, y compris en interne au sein de Bpifrance. Il faut reconnaître que l’accès au produit, le parcours client, sont parmi les points à améliorer. Nous y avons travaillé avec la DG Trésor et nous continuons à y travailler. Les règles de part française en font partie.
Je saisis cette occasion pour rappeler qu’en tant qu’ECA (Export Credit Agency), et en fonction des moyens qui nous sont confiés par l’Etat, nous sommes capables de suivre les exportateurs dans des pays à hauts risques. Nous savons couvrir des opérations export dans des pays risqués. Nous faisons face, dans ce domaine, à une concurrence mondiale de la part des autres ECA et nous essayons de faire en sorte de nous aligner afin que nos entreprises exportatrices soient compétitives et n’aillent pas chercher des couvertures auprès d’autres ECA qui attireraient ainsi des capacités industrielles de nos entreprises.
Donc clairement, sur l’assurance-crédit, nous sommes résolument business oriented !
Le Moci. Le fait que l’assurance-crédit ait stagné ces 15 dernières années n’est-il pas aussi lié au fait que la France s’est désindustrialisée avant d’essayer de stopper ce mouvement ?
Olivier Vincent. En fait, il faut que l’assurance-crédit devienne un produit davantage orienté PME et ETI. C’est tout le sens et la logique du plan Osez l’export lorsqu’il parle de faire comprendre aux entreprises l’intérêt et l’enjeux de l’internationalisation comme relais de croissance. Tout est lié. Avant que l’export ne devienne un relais de croissance, les entreprises doivent investir dans le sujet. Bpifrance doit aussi leur faire savoir que son catalogue de produits d’assurance et de financement est complet et attractif. On peut financer leurs besoins pour leurs projets de développement avec des prêts sans garantie ou l’AP, on peut couvrir leurs risques lorsqu’ils créent une filiale avec la GPI, on peut aussi financer leurs clients étrangers avec le crédit export, on peut couvrir les risques d’impayés avec l’assurance-crédit.
Je mentionnais tout à l’heure le niveau record du crédit export cette année. Mais les records ne m’intéressent pas. Ce qui m’intéresse, c’est de positionner la direction export de Bpifrance dans une optique de performance durable, de concert avec celui des PME et ETI françaises.
« En 2024, il devrait y avoir plus d’AP distribuée aux entreprises qu’en 2023 »
Le Moci. Et en nombre d’entreprises accompagnées, la tendance est-elle également positive ?
Olivier Vincent. Pour le crédit export, c’est en légère hausse. Pour l’AP, c’est du même niveau que l’an dernier, de l’ordre de 1200 entreprises. C’est également le cas pour la GPI.
Le Moci. Vous avez mentionné tout à l’heure le recul de l’enveloppe budgétaire consacrée à l’AP : 323,9 millions d’euros pour la période 2023-2028 dans le Projet de Loi de finance pour 2024, un peu moins de 54 millions par an en moyenne. Pourquoi cette baisse pas toujours bien comprise par les entreprises ?
Olivier Vincent. Les ressources de l’assurance prospection (AP) dans le budget de l’Etat ne représentent qu’une partie des ressources qui seront mises à disposition des entreprises en 2024. Le remboursement des AP des années précédentes représente deux tiers des ressources mises à disposition des entreprises pour les futures AP. Ces remboursements ont beaucoup progressé. De ce fait, en 2024, il devrait y avoir plus d’AP distribuée aux entreprises qu’en 2023, de l’ordre de 240 millions d’euros, contre 200 millions d’euros en 2023.
« Le triptyque d’action de la direction export c’est faciliter, connecter et financer »
Le Moci. Comment Bpifrance se met en ordre de marche pour l’exécution du plan « Osez l’export » d’Olivier Becht ?
Olivier Vincent. J’ai participé à quelques séquences organisées par Monsieur le ministre Olivier Becht autour du lancement de ce plan export, avec Laurent Saint-Martin, directeur général de Business France et Alain Di Crescenzo, président de CCI France. Le premier point que je tiens à souligner est que c’est une initiative très positive car elle donne un éclairage supplémentaire au monde de l’export.
Deuxième point, sur les treize mesures de ce plan, beaucoup relèvent de Business France pour la mise en œuvre. Bpifrance a pris le sujet de la création de l’académie de l’export. Ce que je peux dire, c’est que nous avançons très vite et très bien : ce sera une académie digitale, avec un spectre très large de formations proposé à la fois par les organismes publics et privés, où même les TPE pourront trouver des solutions à leurs besoins. Nous avons prévu de lancer la plateforme d’ici à la fin de l’année.
Troisième point sur lequel nous travaillons aussi : le « porte à porte de masse ». Dans nos 50 directions régionales, les équipes dédiées à l’export, y compris les conseillers de Business France que nous accueillons dans nos bureaux, vont participer à la campagne de prospection, avec les conseillers des CCI. Et je n’ai aucun doute sur le fait que ces efforts amèneront davantage de contacts. L’important pour moi sera que nous ayons la capacité de qualifier et suivre ces contacts dans le temps.
Concernant Bpifrance, nous mettrons l’accent sur les PME d’une certaine taille qui pourront profiter de notre catalogue de produits de financement et d’assurance. Il y aura donc une certaine répartition des tâches au sein de la Team France Export (TFE), en fonction de la taille et des besoins des nouvelles entreprises identifiées grâce à ces efforts de « porte à porte » : les primo-exportateurs seront plutôt portés par les CCI, ceux qui veulent participer à des missions internationales seront plutôt accompagnées par Business France, et Bpifrance continuera à opérer ses propres missions avec 25 missions prévues en 2024 (26 millions en 2023). J’ajoute que nous allons aussi faire en sorte que l’international ne reste pas, au sein du groupe Bpifrance, le seul sujet de nos conseillers export : nous travaillons en interne pour que le réflexe de « penser export » soit partagé dans les autres services.
Le Moci. Les entreprises qui opèrent dans des secteurs de la transition énergétique et climatiques ont-elles la priorité chez Bpifrance ?
Olivier Vincent. La réponse est oui. Elles bénéficient d’un certain nombre de facilités diverses et variées. Je rappelle que nous avons arrêté de financer le secteur oil & gaz et un certain nombre de mesures ont été mises en place pour valoriser les entreprises qui opèrent dans les secteurs de la transition sous la forme de facilités ou de bonus.
Le Moci. Vos priorités dans les prochains mois ?
Olivier Vincent. Remettre au centre du village l’assurance-crédit, faire de Bpifrance l’assureur-crédit de place de la France est la première priorité. La deuxième priorité, c’est d’augmenter la volumétrie sur le crédit export en tenant notre position d’acteur de place, opérant avec nos partenaires banquiers. Et enfin la troisième grande priorité, c’est d’améliorer encore la qualité de nos prestations. Nous neuf implantations dans le monde qui animent nos écosystèmes et constituent de précieux relais. Nous allons travailler à consolider cela, par exemple en faisant, en lien avec Business France, de la préqualification d’acheteurs sur place, dans les pays étrangers, afin, ensuite, de les connecter à des exportateurs français. En fait, le triptyque d’action de la direction export c’est faciliter, connecter et financer les courants d’affaires à l’international.
Propos recueillis
par Christine Gilguy