En 1976, Michel Lescanne présente son mémoire de fin d’études d’ingénieur agricole. « Irréaliste ! », tranchent les professeurs. Son sujet ? La faisabilité d’un biscuit nutritif pour les populations des pays en développement. Diplôme en poche, direction la Normandie et le département recherches de l’usine laitière de Maromme que dirige son père depuis 1952 et qui prospère dans les années 1970 autour de la marque Mamie Nova.
« Mon père est parti à la retraite et la nouvelle direction ne souhaitait pas continuer les recherches que nous menions sur des tablettes nutritives. En 1986, j’ai quitté Nova et créé Nutriset avec 360 000 francs, se souvient Michel Lescanne. Dans les années 1980, nous étions encore dans l’idée de gaver de protéines les enfants dénutris. On ne connaissait pas bien le rôle des micronutriments. »
Les premières années de Nutriset sont consacrées à la recherche. Au début des années 1990, il met au point des laits en poudre nutritifs qui entrent dans les protocoles de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). « L’intendance liée à ces produits était trop lourde pour les ONG. Nous avons tout mis dans le même sachet et ajouté des nutriments. » Avec André Briend, chercheur à l’Institut de recherche pour le développement (IRD), il met au point le Plumpy’nut, breveté conjointement par Nutriset et l’IRD en 1997.
Tests sur le terrain, articles dans des revues médicales, développement des RUTF (Ready-to-Use Therapeutic Food, aliments thérapeutiques prêts à l’emploi… Le Plumpy’nut se fait connaître. 2005 : première utilisation à grande échelle par Médecins sans Frontières au Niger. Adeline, la fille de Michel, entre en scène. « L’idée de produire sur place était présente depuis longtemps. En 2005, avec l’explosion de la demande des ONG, nous avons mis en place PlumpyField, un réseau de producteurs locaux », explique la jeune femme. Le principe de ce réseau s’apparente à celui de la franchise. Ce n’est pas une licence, mais un accord d’usage qui lie les sociétés locales à Nutriset. Concrètement, la PME a ouvert les droits de son brevet. Les membres du réseau ne versent pas de royalties, mais s’engagent à verser 1 % de leur chiffre d’affaires à l’IRD et à acheter à Nutriset les minéraux, vitamines et stabilisateurs du Plumpy’nut. Des achats représentant entre 4 et 5 % de leur
chiffre d’affaires. Ce revenu couvre les frais de fonctionnement du réseau. La production est ensuite revendue aux ONG. Audits, formation, validation du processus industriel : Nutriset suit de très près la naissance d’un site de production. « Nous voulions démontrer qu’on peut fabriquer en Afrique des produits de qualité, ce qui ne coulait pas de source pour tout le monde », précise Adeline Lescanne.
Après de « grosses discussions éthiques », Nutriset a créé en 2009, aux États-Unis, Edesia, une fondation de droit américain qui possède depuis 2010 un site de production dans l’État de Rhode Island. « Pour participer aux appels d’offres des programmes d’aide alimentaire américains, nous avions obligation de produire sur place », justifie Adeline Lescanne. Une présence aux États-Unis permet également de faire du lobbying auprès des dirigeants américains, d’apporter un support à la production locale en Haïti et de développer de nouveaux projets en Amérique latine. Edesia travaille actuellement sur un projet au Guatemala en partenariat avec une université américaine.
Sophie Creusillet