Le suivi de la mobilité des étudiants français poursuivant leurs études dans un pays à l’étranger souffre de nombreuses lacunes voire d’incohérences. C’est le constat dressé par la Cour des comptes dans son rapport de 247 pages sur la mobilité internationale des étudiants, français et étrangers accueillis en France, publié mi-septembre. Elle pointe « un système de gouvernance insatisfaisant » tant au niveau des établissements d’enseignement supérieur qu’au niveau de l’État.
L’enquête fait la lumière sur une série de carences aussi bien dans le système de la mobilité dite « sortante », qui bénéficie aux étudiants français passant une période d’études à l’étranger, que de la mobilité « entrante », relative aux étudiants internationaux qui viennent étudier en France. Dans son rapport, l’institution présidée par Didier Migaud formule ainsi des recommandations pour améliorer le pilotage de ces mobilités.
Voici les principales tendances dégagées par ce rapport.
1./ Un pilotage de la mobilité internationale trop dispersé
Sur le plan national, les méthodes de gouvernance des politiques de mobilité étudiante sortante comme entrante souffrent d’une « grande dispersion » selon la Cour des comptes.
Au niveau ministériel, quatre ministères sont ainsi impliqués dans la gestion : le ministère de l’Enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation ; de l’Éducation nationale et de la jeunesse ; de l’Europe et des affaires étrangères ; de l’Intérieur.
À leurs côtés, deux opérateurs – l’organisme public Campus France et l’agence Erasmus+ France – se partagent la responsabilité de piloter et d’administrer la mobilité internationale. Le premier est chargé de la promotion de l’enseignement supérieur, l’accueil et la mobilité internationale, le second assure pour la France la promotion et la gestion du programme européen Erasmus. Leur action est relayée par les établissements d’enseignement supérieur.
En somme, pléthore d’acteurs sont impliqués dans la politique de mobilité internationale. Celle-ci, relève la Cour, ne fait l’objet d’aucune définition ni d’aucun pilotage d’ensemble.
De plus, le rapport constate « une gouvernance des mobilités étudiantes très insuffisante ». Il en résulte une insuffisante coordination des budgets. L’État consacre à la mobilité entrante 59,8 millions d’euros (M EUR), environ le double des dépenses affectées à la mobilité sortante (29,2 M EUR). Les Régions privilégient en revanche la mobilité sortante (55,7 M EUR) par rapport à la mobilité entrante (2,2 M EUR).
La Cour préconise donc « un pilotage plus cohérent et efficace ». À ce titre, elle invite les pouvoirs publics à « confier à un seul opérateur le pilotage opérationnel de la mobilité internationale étudiante » (recommandation n° 9 du rapport).
2./ Un suivi lacunaire de la mobilité sortante
Le rapport de la Cour des comptes dénonce aussi une absence de suivi statistique de la mobilité sortante.
Pratiquement aucune université ne dispose ainsi de statistiques sur la mobilité individuelle hors échanges et hors Erasmus+, qu’elle s’effectue dans le cadre d’études ou de stages, note la juridiction financière. Ainsi, 23 % des universités interrogées dans le cadre de l’enquête indiquent la suivre, mais seulement la moitié d’entre elles précisent le nombre d’étudiants partis à l’étranger dans ce cadre.
« Cette carence est regrettable », déplore la Cour. Il serait en effet, d’après cette dernière, très utile « qu’un véritable suivi se mette en place, point de départ nécessaire pour mener une politique visant à développer la mobilité sortante ».
A contrario, le suivi de la mobilité sortante dans le cadre d’un échange apparaît plus systématique mais plusieurs établissements interrogés n’ont pas été en mesure de transmettre des chiffres fiables précise le rapport.
Pour mesurer la mobilité sortante, la seule statistique directe est celle de l’agence Erasmus+ qui possède la base de données complète des étudiants bénéficiant du programme, précise la juridiction financière. En 2016, dernière année pour laquelle les statistiques sont disponibles, 43 796 étudiants français ont reçu une bourse du programme européen Erasmus+ (mobilité non diplômante, d’une durée inférieure à un an). La France se situait ainsi au premier rang de cette procédure en Europe.
La mesure de la mobilité sortante française est « imprécise et lacunaire » estime la Cour. De plus, « au plan national, aucun organisme n’est chargé ni ne rend compte de la mise en œuvre d’une politique de mobilité sortante diplômante », c’est-à-dire un séjour d’études à l’étranger aboutissant à la délivrance d’un diplôme. Cette incapacité « est une faiblesse majeure du dispositif français », souligne la juridiction administrative.
De leur côté, les établissements ont un rôle majeur dans le développement de la mobilité sortante, primordiale pour la réussite des étudiants et leur capacité d’insertion professionnelle. Or, la Cour des comptes rappelle qu’ils n’ont pas d’objectifs définis dans ce domaine. Son rapport recommande d’intégrer dans le dialogue de gestion avec les établissements d’enseignement supérieur un volet portant sur la politique de mobilité entrante comme sortante « avec des objectifs précis, des indicateurs de résultats et un suivi systématique » (recommandation n° 11).
Pis, les établissements « utilisent peu et mal les outils à leur disposition » déplore la Cour, qui pointe « la faible utilisation » des accords bilatéraux d’échanges entre établissements français et étrangers qui permettent de partir hors de la zone concernée par Erasmus+.
Le rapport relève également « le rôle incertain » des implantations de campus et des formations délocalisées à l’étranger. En effet, de nombreux établissements d’enseignement supérieur français, pour favoriser la mobilité internationale de leurs étudiants, ont ouvert des campus à l’étranger ou y proposent des formations. Selon le rapport, ces différentes initiatives ont un impact limité sur la mobilité sortante des étudiants français. Les formations à l’étranger « n’accueillent quasiment pas d’étudiants français, hormis pour les écoles de commerce », déplore encore la Cour.
3./ Une mobilité sortante « encore insuffisante »
Le rapport de la Cour des comptes dénonce une mobilité sortante « encore insuffisante».
En 2016, dernière année pour laquelle les statistiques sont disponibles, 90 543 étudiants français ont suivi des études à l’étranger durant un séjour d’un an ou plus, débouchant sur un diplôme.
On est loin de l’objectif fixé par le président Emmanuel Macron à savoir qu’en 2024, la moitié d’une classe d’âge, d’étudiants ou apprentis, ait passé « avant ses 25 ans, au moins six mois dans un autre pays européen ». Soit pour la France environ 400 000 étudiants en mobilité en Europe par an. Pour relever pareil défi dans des conditions financières et qualitatives acceptables, plusieurs réformes importantes méritent d’être menées estime l’administration du Palais Cambon.
4./ Un système de bourses « dispersé »
Les étudiants français désirant partir à l’étranger dans le cadre de leurs études peuvent recourir à plusieurs dispositifs d’aide pour financer leur séjour : les bourses Erasmus+ ; l’aide à la mobilité internationale (AMI) ; les bourses régionales, d’une entreprise, d’un État étranger ou du Fonds de solidarité et de développement des initiatives étudiantes.
Pour la Cour, ce système de bourses est trop dispersé. En effet, les bourses sont accordées pour près de la moitié par l’UE via le dispositif Erasmus +, pour un quart par l’État français et un quart par les Régions. Les aides directes des établissements sont pour le moment « très faibles » constate la Cour.
Celle-ci rappelle que la dépense publique totale pour la mobilité sortante s’élève à 151 M EUR répartis de la manière suivante : 66 M EUR de crédits européens Erasmus+, 29,4 M EUR sur le budget de l’État (dont 28,5 M EUR pour le ministère de l’Enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation et 0,8 M EUR pour le ministère de l’Agriculture et de l’alimentation) et 55,7 M EUR en provenance des collectivités territoriales.
La Cour invite l’ensemble des acteurs de la mobilité sortante à « informer les étudiants par les vecteurs appropriés et de manière complète, claire et coordonnée de l’ensemble des aides à leur disposition pour la mobilité sortante » (recommandation n° 8).
5./ Une mobilité entrante attractive
In fine, s’agissant de la mobilité entrante, la France reste particulièrement attractive.
En 2017 et 2018, l’Hexagone a ainsi accueilli 343 400 étudiants étrangers. Parmi eux, 240 000 étaient inscrits à l’université. Les taux de réussite des étudiants internationaux accueillis en France restent inférieurs à ceux des étudiants français note le rapport.
Ce dernier préconise, « dans le cadre d’une stratégie nationale cohérente de mobilité entrante », de développer les programmes d’échange ou de partenariat (recommandation n° 4). Le ministère de l’Enseignement supérieur, précise le rapport, souscrit à cette recommandation qu’il porte lors des négociations sur les accords bilatéraux ou déclarations d’intentions avec des partenaires étrangers et par l’appui apporté aux établissements dans leurs initiatives.
Au total, la Cour des comptes alerte sur la nécessité urgente de mieux gérer, mieux piloter, mieux suivre et mieux promouvoir la mobilité internationale des étudiants aussi bien sortante qu’entrante. Afin que la performance soit au rendez-vous des enjeux posés au plus haut niveau de l’État, et que l’utilisation des dépenses publiques soit conforme aux objectifs, « le système de la mobilité internationale, aujourd’hui subi et dispersé, doit reposer sur une stratégie partagée entre l’État et les opérateurs concernés » conclut-elle.
Venice Affre
Pour en savoir plus :
Consulter le rapport de la Cour des comptes sur la mobilité internationale des étudiants en suivant ce lien : https://www.ccomptes.fr/fr/publications/la-mobilite-internationale-des-etudiants