L’édition 2023 du rapport CyclOpe, ouvrage de référence sur les marchés mondiaux des matières premières, souligne la relative accalmie que traversent ces marchés depuis quelques mois. Présentée le 23 mai à la presse, il anticipe également le retour de fortes tensions, en particulier dans les métaux.
« Chaque année, notre rapport sonde l’instabilité du monde et force est de constater que l’an dernier, nous avons été servis », a déclaré Philippe Chalmin, professeur d’économie à l’université Paris-Dauphine, lors de la présentation de cette somme annuelle qu’il codirige avec Yves Jégourel, titulaire de la chaire « économie des matières premières et transitions durables » au Conservatoire national des arts et métiers (Cnam). Pour illustrer cette édition 2023, les deux économistes ont choisi Les Quatre Cavaliers de l’Apocalypse, célèbre gravure de Dürer inspirée du Nouveau Testament.
Ces cavaliers représentent les défis majeurs auxquels nous sommes actuellement confrontés : l’invasion de l’Ukraine par la Russie pour le cavalier de la guerre, la pandémie de Covid-19 pour celui de la peste, la sécurité alimentaire pour la famine et l’environnement pour les bêtes sauvages.
« Les grandes vedettes de 2022 ont été le gaz et le blé, a détaillé Philippe Chalmin. Alors que la crise agricole semble s’estomper un peu, celle de l’énergétique est la pire que nous avons traversée depuis les années 1970. Sur le plan macro-économique, cette période de stagflation [combinant croissance faible et forte inflation, ndr] a au moins un avantage : elle ralentit la demande de matières premières. Nous assistons également à la fin de la mondialisation heureuse avec le chacun pour soi de l’Inflation Reduction Act américain et le degré zéro de la gouvernance mondiale comme l’a montré l’échec de la dernière Cop. »
Une conjoncture favorable à court terme
Face à ce tableau apocalyptique de l’année 2022 le début de la suivante se sera finalement révélé plus calme qu’espéré.
Sur le plan énergétique, non seulement, les efforts de l’OPEP pour réduire la production de pétrole devrait porter leurs fruits (une réunion de l’OPEP + est prévue en juin), mais la consommation de gaz a été limitée en Europe en raison d’un hiver clément.
Les récoltes de céréales ont été particulièrement bonnes au cours de la dernière campagne et les taux de fret conteneurisé, qui avaient attend des niveaux stratosphériques, sont redescendus à des niveaux plus raisonnables.
« Il ne s’agit pas non plus d’un retour à la case départ, a prévenu l’économiste. La vingtaine de versions de l’Apocalyspe rédigés par des chrétiens et des juifs ont en commun de donner une vision des menaces auxquelles les Justes doivent se préparer. Aujourd’hui, le mot d’ordre est celui de ce slogan de Mai 68 : » Cours camarade, le vieux monde est derrière toi ! » ».
Les impératifs environnementaux auxquels le monde est aujourd’hui confronté (transition énergétique, décarbonation, avènement des véhicules électriques…) vont en effet profondément bousculer les marchés des matières premières, en particulier ceux des métaux.
« La question c’est de savoir comment concilier le court et le long termes, explique Yves Jégourel. Depuis début 2022, nous avons assisté à une valse à quatre temps. Après un temps d’angoisse est venu le doute avec des sanctions à l’encontre de la Russie moins sévères qu’attendues, une inquiétude sur la Chine et la hausse du dollar. Puis, nous avons un moment d’espoir avec le ralentissement de l’inflation, la baisse du dollar et la réouverture de la Chine. Les cours des métaux sont alors repartis à la hausse jusqu’à fin janvier début février. Nous sommes aujourd’hui dans une phase de déception : la demande chinoise est en deçà des attentes et les prix baissent. »
Des tensions à venir sur le cuivre
Pendant ce temps, les contraintes de la transition énergétique exigent de se projeter dans un temps long, ce que ne semble pas faire l’Union européenne malgré son Critical Material Act, estime l’économiste : « Les marchés des métaux sont très instables et nous nous demandons ce que seront nos politiques publiques en matière d’approvisionnement alors que les Chinois, eux, s’inscrivent déjà dans un temps long ».
Si la question des matériaux critiques et de l’hydrogène n’ont jamais été autant d’actualité en raison du développement des véhicules à batterie électrique, les auteurs du rapport CyclOpe se montrent particulièrement inquiets pour le cuivre. Un moteur thermique en requiert en effet 23 kilos en moyenne, un hybride 60 kilos et un 100 % électrique 80 kilos, a ainsi rappelé Yves Jégourel. Ces bouleversements conduisent les Etats à mettre en place des projets d’investissement sur un temps long et interrogent sur l’approvisionnement en métaux, critiques ou non.
En attendant, une chose est sûre : le temps de la mondialisation heureuse est bel et bien terminé. Pour Philippe Chalmin, « nous assistons à la fin de la croyance selon laquelle nous avions trouvé la martingale idéale ».
Sophie Creusillet