L’approvisionnement en métaux et minéraux dits « critiques », c’est-à-dire dont des pénuries sont à craindre, est crucial pour la transition énergétique et la croissance de nombreuses industries. Il est au cœur d’une législation européenne qui doit encore être approuvée par le Parlement. Ses objectifs semblent pourtant difficiles à atteindre selon une étude d’Allianz Trade.
Eoliennes, batteries, téléphones portables, réfrigérateurs, pots catalytiques … La demande européenne en matériaux critiques a explosé ces dernières années à la faveur de la digitalisation et du développement des industries vertes. Selon l’Agence internationale de l’énergie, ce marché a doublé au cours des cinq dernières années, pour atteindre 320 milliards de dollars en 2022. Sa taille pourrait encore doubler d’ici 2040.
Problème : la plupart de ces métaux et minéraux sont extraits loin du Vieux Continent. La République démocratique du Congo contrôle ainsi environ 60 % du marché mondial du cobalt, l’Afrique du Sud détient 71 % du platine et la Russie garde la main sur 40 % du palladium. Surtout, et en particulier dans les terres rares (un groupe d’une quinzaine de métaux), la domination chinoise est écrasante. En 2022, l’ex-Empire du Milieu a ainsi assuré l’extraction de 58 % des terres rares, raffiné 89 % d’entre elles et manufacturé 92 % des composants à base de terres rares produits dans le monde.
Les objectifs ambitieux de la Commission européenne
Pour assurer l’approvisionnement de l’industrie européenne, Bruxelles a listé en mars 2023 34 matériaux considérés comme critiques dans le cadre de sa nouvelle législation, le Critical Raw Materials Act (CRMA). Ce dernier a pour ambition de réduire la dépendance de l’Union européenne en accroissant l’extraction et le raffinage de ces matières premières critiques directement sur le Vieux Continent. Si le projet est louable, son objectif semble cependant particulièrement ambitieux.
« Le premier objectif du CRM Act, c’est que 10 % de la consommation annuelle européenne de matières premières critiques provienne d’une extraction européenne, explique Ana Boata, directrice de la recherche économique d’Allianz Trade. A l’heure actuelle, sur les 18 matériaux listés par l’UE, 7 ne respectent pas ce critère. Pour ces 7 matériaux, l’UE dépend au moins à 94 % d’importations depuis un pays tiers. Autre objectif posé par le CRM Act : au moins 40 % des matières premières critiques consommées annuellement par l’UE doivent passer par un process de raffinage européen. A l’heure actuelle, sur les 24 matériaux listés par l’UE, 21 ne respectent pas ce critère. Enfin, selon le CRM Act, à terme, 15 % de la consommation annuelle européenne de matériaux critiques doit provenir du recyclage. En l’état, sur les 16 matériaux listés par l’UE, 12 ne respectent pas ce critère. Il faudra encore déployer de nombreux efforts pour les objectifs du CRM Act soient atteints et ainsi accroître l’indépendance européenne aux métaux et minéraux critiques. »
Une cartellisation des acteurs pourrait faire monter les prix
Bref, l’indépendance de l’Europe en matière de matériaux critiques n’est pas exactement pour demain. De plus, un risque de cartellisation des acteurs pèse sur ce marché. L’étude d’Allianz Trade souligne en effet le risque de voir les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) créer une organisation semblable à l’OPEP et d’autres pays les rejoindre.
« Cela aurait forcément un impact sur les prix de ces matières premières, mais pourrait également perturber les approvisionnements et ajouter une contrainte forte aux échanges internationaux, estime Ana Boata. Les pays et régions qui n’ont d’autres choix que d’importer ces matières, comme le Japon, la Corée du Sud et l’UE, pourrait alors en pâtir. L’UE est d’autant plus exposée à ce risque qu’elle est en retard, notamment par rapport à la Chine et aux USA, en matière de chaînes de production utilisant ces matières premières. »
Autre risque de ce marché très sensible à la géopolitique : voir se multiplier les restrictions à l’exportations de ces matières premières critiques. Pour protéger leurs industries nationales, promouvoir des pratiques durables ou corriger des déséquilibres commerciaux, les gouvernements ont déjà accéléré la mise en place de telles mesures. Les trois principaux pays ayant imposé de telles mesures l’an passé sont le Pakistan, les Etats-Unis et l’Indonésie. En 2022, les trois matières les plus concernées par ces restrictions étaient l’aluminium, le cobalt et l’hélium, suivis du nickel, des métaux de titane et des métaux du groupe du platine, selon la base de données Global Trade Alerts.
Dernier pays en date, et non des moindres, à avoir joué la carte des restrictions, la Chine exige depuis le 1er août des licences d’exportation pour le gallium et le germanium, deux métaux rares indispensables à l’industrie mondiale des semi-conducteurs.
Sophie Creusillet
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