Créer un fonds souverain de 100 milliards d’euros pour financer les champions européens de la technologie et mener la course à l’innovation face à la Chine et aux États-Unis : c’est ce que propose un document confidentiel de 173 pages, rédigé par des officiels européens et révélé par le site politico.eu * le 22 août dernier.
Et le calendrier ne doit rien au hasard. Le 1er novembre prochain la nouvelle Commission, présidée par Ursula Von der Leyen, entrera en fonction. La probable sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne (UE) laissera par ailleurs à l’Allemagne et la France le champ libre pour mener des politiques économiques plus interventionnistes au sein du bloc européen.
Cette nouvelle manne financière servirait à concurrencer les géants chinois et américains, notamment sur l’Internet mondial mais pas seulement. Les autres domaines prioritaires identifiés sont le stockage de l’énergie, la cybersécurité, le spatial ou encore l’intelligence artificielle.
Moins vulnérables à des opérations d’acquisition
Le Fonds européen permettrait donc de financer les startup européennes à fort potentiel, destinées à devenir un jour des géantes dans leur domaine. En étant mieux valorisées, elles deviendraient aussi moins vulnérables à des opérations d’acquisition.
Nombre d’entre-elles, en phase de démarrage mais à l’avenir prometteur, ont en effet été rachetées – faute de liquidités – par des géants américains ou des fonds détenus par des investisseurs issus de pays tiers, souligne le document. « L’Europe ne dispose pas de tels groupes. Cela représente un risque pour la croissance, l’emploi et son influence dans des secteurs stratégiques clefs », estiment ses auteurs.
Une concurrence plus agressive de la part des firmes européennes permettrait aussi à l’UE d’imposer ses propres standards technologiques, comme le fit Nokia, à ses débuts, dans le secteur des GSM. Le rapport préconise l’utilisation des fonds du budget de l’UE aujourd’hui destinés au capital-risque, au financement de la recherche et au développement régional.
Une réponse plus offensive face aux grands rivaux
Outre la mise en œuvre de ce « fonds européen pour le futur », le document préconise aussi une réponse plus offensive de l’UE face à ses deux grands rivaux sur la scène internationale. Si Donald Trump poursuit son travail de sape au sein de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), les Européens doivent se doter de nouveaux instruments leur permettant d’imposer, unilatéralement, des taxes sur certains produits américains.
En réponse aux subventions dont bénéficient nombreuses entreprises chinoises, le document préconise également l’adoption de mesures plus strictes, susceptibles d’empêcher leur participation à des appels d’offre au sein de l’UE. « L’émergence et le leadership de concurrents privés, non européens, dotés de moyens financiers sans précédent, risquent d’étouffer la dynamique d’innovation des entreprises européennes », s’alarment les auteurs du texte.
« Le rapport n’a pas été examiné par la Commission », ont fait savoir des porte-paroles de l’institution, coupant court à d’autres questions sur le sujet. Reste à savoir comment il sera accueilli par la nouvelle équipe d’Ursula Von der Leyen, actuellement en formation. « Il risque de se heurter à la réticence des pays les plus libéraux », pronostique un diplomate français, qui rappelle que l’idée d’un Fonds souverain européen est débattue depuis plusieurs années à Bruxelles mais ne s’est, jusqu’ici, jamais concrétisé.
Kattalin Landaburu, à Bruxelles
* https://www.politico.com/story/2019/08/22/europe-plan-trump-tech-companies-1472326