Nouvelle étape franchie dans la mise en place d’un marché unique numérique dans l’Union européenne (UE). A l’issue d’un vote au sein de la commission Marché intérieur au Parlement européen, le 25 avril, les eurodéputés ont adopté la directive qui entend lutter contre le blocage géographique des acheteurs sur Internet. Le texte met fin à une discrimination en interdisant notamment aux e-commerçants de traiter différemment les internautes selon leur pays de résidence, leur nationalité ou leur localisation temporaire.
Les détaillants en ligne ne pourront plus non plus rediriger automatiquement les clients vers leur site web domestique, sans consentement de l’internaute. « Notre travail vise à ouvrir progressivement le marché européen aux consommateurs et aux vendeurs en leur fournissant des règles claires. Les consommateurs auront un meilleur accès aux biens et services en ligne, et pour les vendeurs, il sera moins complexe de vendre à des consommateurs provenant de différents États membres », a déclaré Roza Thun, rapporteur au sein de la commission Marché intérieur.
L’interdiction du géo-blocage (geoblocking) permettra aussi de mettre fin à certaines incohérences au sein de l’UE, comme par exemple l’impossibilité de regarder un match de football ou un film en streaming lorsque l’on se trouve à l’étranger alors que l’on a pourtant souscrit un abonnement chez un fournisseur.
35 % des Européens seraient concernés
D’après la Commission européenne, ce déblocage géographique concernera au moins 35 % des Européens : ceux qui voyagent au moins une semaine par an dans un autre pays de l’UE. Mais « ce n’est qu’une première étape », affirme-t-on au sein de l’exécutif européen. « A terme, l’idée est de s’attaquer à tous les aspects du geoblocking ». Un objectif irréalisable à ce stade, car il impliquerait une réforme en profondeur des droits d’auteur, qui se négocient encore sur une base territoriale. Pour un film, par exemple, les producteurs doivent fixer le montant de ces droits auprès des distributeurs de chaque pays où le film est diffusé. Même chose pour les catalogues de musique et de productions audiovisuelles comme Spotify, i-tunes, ou Netflix, également contraints de se conformer aux accords nationaux encadrant les œuvres.
« C’est une très bonne nouvelle pour les consommateurs européens. Ces barrières artificielles (…) contredisent le principe même de marché unique », a réagi Monique Goyens, directrice du Bureau européen des consommateurs (BEUC). Mais cette nouvelle règle s’inscrit dans une réforme plus globale, comptant au total 16 initiatives, un des chantiers prioritaires de la Commission Juncker : promouvoir l’Europe numérique en créant un marché unique dans le secteur. Objectifs ? Rassembler 28 marchés nationaux fragmentés et faire face à la domination américaine sur le web.
Deux types de règles au lieu de 56…
« Aujourd’hui, on peut avoir potentiellement 56 types différents de règles en matière de ventes en ligne et de contrats afférents. A la place, on propose d’avoir deux types de règles », a indiqué Andrus Ansip, vice-président de la Commission européenne en charge du Marché unique numérique. L’environnement juridique complexe qui existe actuellement freine le développement des entreprises, notamment les plus petites, dans ce secteur en évolution constante.
« Cela pose énormément de problèmes parce qu’au niveau national, on a des réformes à peu près tous les six mois et des nouveaux sujets sur le commerce, le numérique, le droit du travail auxquels il va falloir nécessairement s’intéresser et c’est la même chose pour chaque pays », explique Jean-Daniel Guyot, P-dg et cofondateur de Captain Train, une start-up française spécialisée dans les ventes en ligne transfrontalières. La Commission européenne estime en effet à 9 000 euros le coût induit par cet imbroglio pour une PME.
Face aux GAFA, les Européens à la traîne
Et si les législations peuvent être complexes pour les professionnels, elles le sont aussi pour les consommateurs. « La confiance, c’est vraiment le premier point auquel doivent s’attacher les professionnels », estime Nicolas Godfroy, responsable du service juridique à UFC Que choisir. Le premier pilier de cette réforme globale vise donc à développer le commerce sur Internet en améliorant l’accès aux biens et services tant pour les individus que pour les entreprises. Selon des chiffres publiés par la Commission européenne, 15 % seulement des consommateurs effectuent des achats en ligne dans un autre pays de l’UE et 44 % dans leur propre pays. Les PME européennes restent aussi à l’écart de ce vaste marché : seulement 7 % d’entre elles vendent actuellement leurs produits via le web. Autre donnée qui démontre le retard pris par les acteurs européens du secteur : seules 9 des 100 premières entreprises du domaine numérique ont leur siège basé dans un des pays de l’UE…
Car face aux géants américains tels que Google, Amazon, Facebook ou Apple (GAFA), les Européens sont à la traîne. « Nos ambitions sont réalistes », se défend un proche collaborateur d’Andrus Ansip. L’idée n’est donc pas de concurrencer les fameux GAFA, dont il n’existe aucun équivalent en Europe, mais plutôt « de créer un environnement juridique et technologique propice à l’innovation européenne », deuxième pilier de la réforme.
Le dernier volet, enfin, vise à maximiser le potentiel de croissance de l’économie numérique en favorisant la libre circulation des données au sein de l’UE. Face à ce chantier titanesque, les responsables européens des trois institutions – Commission, Parlement et Conseil – ont récemment réclamé une accélération des procédures législatives. Et le jeu en vaut la chandelle, rappellent-ils de concert : l’achèvement du marché unique numérique pourrait représenter une contribution de 415 milliards par an pour l’économie européenne et la création de centaines de milliers d’emplois.
Kattalin Landaburu, à Bruxelles