Si l’embargo russe a été un coup dur pour les exportateurs français de produits agroalimentaires, la politique de substitution aux importations a ouvert un boulevard aux entreprises spécialisées dans les biens d’équipement et l’agrofourniture. En témoignent les premières retombées de la mission « Pitch & Partner Agrobusiness Russie » organisée par Bpifrance mi-octobre, en partenariat avec le Crédit Agricole et la CCI franco-russe.
C’était la première mission de prospection de Bpifrance hors UE et hors Afrique depuis le début de la pandémie de Covid-19. Semenciers, bureaux d’études, fabricants de machines et d’équipements… Quatorze PME et ETI tricolores triées sur le volet par la banque publique sont allées prendre le pouls du marché russe du 11 au 14 octobre derniers.
« Il y a des opportunités à saisir dans les équipements agroalimentaires, la production céréalière, les intrants, le machinisme agricole, les équipements frigorifiques ou encore l’agritech, estime Marie-Albane Prieur, directrice adjointe du développement export au sein de Bpifrance. Mais la Russie est un marché méconnu et qui fait peur aux PME ».
Pas à la Cemmi, qui conçoit et fabrique des machines spéciales et des lignes de process sur mesure… et qui a choisi la Russie pour se lancer à l’export. « Nous avions un aperçu du marché via notre directeur technique qui, dans un précédent poste, travaillait beaucoup avec la Russie, explique Sophie Sonnois, responsable export de cette PME bretonne de 15 personnes. Sur place, contrairement à nos a priori nous avons trouvé les Russes agréables et accueillants, d’autant plus que la communication a été facilitée par un interprète mis à disposition par la Chambre de commerce et d’industrie franco-russe ».
Un marché concentré autour d’une dizaine d’agroholdings
C’est cette dernière qui a sélectionné les entreprises russes susceptibles de s’intéresser à l’offre française.
De fait, même si des structures plus petites se développent actuellement, l’agrobusiness russe est concentré autour d’une dizaine d’entreprises, difficiles d’accès même pour un Russe basé à Moscou comme c’est le cas de Maxim Naumenko, qui représente sur place le groupe Synext (Tecnal, Chalon Mégard et Simon Frères) spécialisé dans les installations laitières et fromagères. « La chambre nous a ouvert les portes de ces agroholdings qui concentrent 70 % du marché et nous a permis de rencontrer des décideurs de haut niveau chez Komos et UGMK Agro. »

Dans un pays où il est souvent difficile de savoir qui fait quoi et encore plus d’avoir accès aux sphères dirigeantes, cette facilitation est précieuse. D’autant que même au sein de ces entreprises géantes, les activités sont bien souvent compartimentées et étanches.
« Nous somme présents en Russie via quatre distributeurs, mais cette mission nous a permis de nous rendre compte qu’à Tioumen, les gens du groupe Damaté, qui utilise par ailleurs nos produits dans ses élevages de dinde, ne nous connaissaient pas, confie ainsi Jean-Sébastien Presse du groupe CCPA, spécialiste de la nutrition animale. 17 000 vaches laitières et ils ne nous connaissent pas ! »
Produire sur place pour contourner l’embargo ?
Pour le directeur commercial, qui dirige la zone EMOA depuis la Serbie, cette mission a eu un autre intérêt : tâter le terrain de l’éventuelle interdiction des importations d’additifs français.
« La Russie veut devenir indépendante et limite les importations. Le Danemark a ainsi appris récemment qu’il ne pourrait plus exporter ses additifs en Russie » souligne Jean-Sébastien Presse. La solution serait-elle alors de produire sur place ? « Pour l’instant nous avons plusieurs pistes. Filiale, localisation ou joint-venture, nous en sommes encore au stade de la réflexion. »
De fait, la mise en place par la Russie d’un embargo sur les produits agroalimentaires en provenance de l’Union européenne en 2014, en réponse aux sanctions imposées par l’UE suite à l’annexion de la Crimée, a eu pour effet de conduire la Russie à investir massivement dans l’industrie agroalimentaire pour assurer son autosuffisance.
Ainsi, entre 2014 et 2019, les importations alimentaires russes ont diminué de 25 %. Et les exportations françaises ont reculé de 36 % sur la même période, même si elles sont depuis reparties à la hausse. Reste que cet embargo ne concerne que les produits agroalimentaires et pas les machines, équipements ou semences.
La façon de faire des affaires a changé depuis 15 ans
« La Russie a su tourner l’embargo à son avantage et subventionner son agriculture pour assurer son autosuffisance et se tourner vers l’export », résume Xavier Lavergne, responsable export de Tibot.
Cette jeune pousse bretonne, créée par deux éleveurs, a développé un robot dont le principe est simple : il « marche » dans le poulailler à la place d’un ouvrier agricole pour contraindre les gallinacées à pondre leurs œufs dans le nid central et non au sol, ce qui déclasse les œufs et baisse leur prix de vente.
Quid de la certification du robot ? « Renseignements pris, ce n’est pas l’usine à gaz à laquelle nous nous attendions, se réjouit le responsable export de Tibot. Des distributeurs potentiels nous ont affirmé qu’ils s’occupaient de tout. Pour en avoir le cœur net, j’ai appelé d’autres distributeurs de produits européens en Russie et j’ai eu le même son de cloche. »
La façon de faire des affaires en Russie, qui a la réputation d’être brouillonne et changeante, a pourtant beaucoup évolué. Y compris sur le plan administratif. « Il n’y a plus de soucis avec les douanes comme il y a 10 ou 15 ans, par exemple, relate Maxim Naumenko. Il y a toujours beaucoup de bureaucratie, beaucoup de papiers à fournir. »
S’il est encore trop tôt pour estimer les retombées de cette mission de prospection pour les entreprises, toutes ont noué des contacts et échangent actuellement avec eux pour affiner leur offre. Et elles ont pu constater que rien ne vaut la prospection de terrain. Certains, comme Xavier Lavergne, ont ressorti leurs cours de russe pour mieux échanger avec leurs interlocuteurs.
Sophie Creusillet
Focus
La mission « Pitch & Partner Agrobusiness Russie » :
– Bpifrance à l’organisation, le Crédit Agricole pour l’information économique et la CCI franco-russe pour les rendez-vous BtoB. Sur place, les entreprises ont pu échanger avec Xavier Delahoutre, CCEF et directeur général de Bonduelle Russie.
– Coût : 3224 euros (hors hôtellerie et restauration, à la charge de l’entreprise). 50 % pris en charge par les partenaires (Crédit Agricole et Bpifrance), 50 % pour l’entreprise (la part restante étant éligible au chèque relance export.
– Déroulé : atelier collectif de préparation un mois avant la mission (présentation du marché par le Crédit Agricole en lien avec la CCI et formation au pitch avec un coach), puis sur place rendez-vous BtoB organisés par la CCI et visites de sites industriels.
– Quelques entreprises russes rencontrées par les participants : Miratorg, Sucden, Prodimex, Steppe, Malino, Komos, UGMK Agro.