Si l’Indice de perception de la corruption (IPC) de l’ONG Transparency International, dont la dernière livraison vient de paraître, mesure l’ampleur du phénomène dans le secteur public dans un pays donné, il ne dit rien de sa propension à la faciliter (ou non) dans les activités transfrontalières des entreprises. Pourtant certains champions de l’IPC pêchent sur ce plan, regrette Transparency.
L’invasion de l’Ukraine par la Russie l’a rappelé cruellement : baisser la garde face à la corruption transnationale pour satisfaire des intérêts économiques peut avoir des conséquences terribles. « Non seulement les économies avancées ont contribué à perpétuer la corruption ailleurs, pointe l’édition 2023 de l’IPC, mais elles ont également permis aux kleptocraties de se consolider, menaçant ainsi la paix et la sécurité mondiales. »
Pour preuve : l’opacité à laquelle se sont vite heurtées les sanctions occidentales contre la Russie. Saisir des biens, mais à qui ? Selon le recensement des avoirs à l’étranger des oligarques sous sanctions effectué par l’OCCRP (l’Organized Crime and Corruption Reporting Project), un consortium d’investigation de 24 médias dont Le Monde et The Guardian, une part infime des biens répertoriés (yachts, villas, jets privés…) était bien enregistrée au nom de leur véritables propriétaires : deux sur 149 après trois semaines d’enquête.
L’opacité des trusts pointée du doigt
Du côté des entreprises et ailleurs dans le monde, cette opacité se traduit par un manque de registres publics de propriété effective que Transparency International estime être « comme un outil essentiel pour dissuader la corruption transfrontalière ». Là encore, des pays bien placés dans l’IPC montrent des lacunes. Ainsi de l’Irlande (score de 77*) et de l’opacité totale régnant sur les sociétés en commandite.
Même la Norvège (84) est concernée. Il reste en effet difficile de déterminer la propriété d’un bien immobilier quand ils sont détenus par des trusts, le montage financier privilégié des criminels car il permet de brouiller les pistes. « Fait troublant, ils sont encore plus secrets que les sociétés, s’inquiète l’ONG. Les trusts sont créés entre particuliers et, si un pays n’exige pas leur enregistrement, les autorités peuvent même ne même pas savoir qu’ils existent ».
La Nouvelle-Zélande, qui affiche pourtant un score de 87 à l’IPC, a récemment hésité à couvrir les trusts lorsqu’elle a annoncé en mars 2022 son intention d’introduire un registre des propriétaires réels des entreprises.
L’Europe va se doter d’une autorité de lutte contre le blanchiment
Pourtant mieux réglementées, les banques ont également leur part. En atteste les révélations des « Suisse Secrets » sur les comptes du Crédit Suisse accueillant l’argent sale de personnes accusées de détournement de fonds publics au Venezuela ou de soutenir des groupes armés en Libye.
Ces scandales et d’autres ailleurs dans le monde ont par ailleurs sérieusement ébranlé la confiance de l’opinion publique dans le secteur. Le dernier baromètre mondial de la corruption de Transparency International montre qu’en 2021, les banques arrivaient en troisième position au classement des institutions perçues comme les plus corrompues.
L’ONG salue néanmoins les travaux en cours dans l’UE pour mettre en place une autorité européenne de lutte contre le blanchiment de capitaux. Le Conseil a d’ailleurs arrêté sa position fin 2022 : cette nouvelle autorité pourrait surveiller directement certains types d’établissements financiers et de crédit, y compris les fournisseurs de services de cryptoactifs, s’ils sont considérés comme risqués.
Les gouvernements appelés à dédier plus de moyens
Enfin, la corruption transfrontalière continue à se développer du fait de l’impunité dont jouissent les auteurs et leurs complices. Avec la guerre en Ukraine, certains pays se sont interrogés sur l’argent sale abrité dans leurs économies. Plusieurs gouvernements, dont ceux du G7, ont créé la task force REPO (élites, mandataires et oligarques russes). « Pourtant, les autorités chargées d’identifier et de sanctionner les richesses illicites ne disposent souvent pas des ressources suffisantes pour le faire », regrette Transaprency. Ainsi du Financial Crimes Enforcement Network (FinCEN) des Etats-Unis, particulièrement sous-financé.
De même, l’ONG s’inquiète du personnel et des moyens alloués à la nouvelle autorité fédérale allemande. Mais cela ne suffira pas à résoudre le problème : la nouvelle agence devra disposer d’un personnel et de moyens suffisants.
D’une manière générale, les pays du Vieux continent, jugés bons élèves dans la lutte contre la corruption selon les critères de l’IPC, semblent avoir baissé la garde en ce qui concerne la corruption transnationale. C’est particulièrement vrai pour le Royaume-Uni, la Suède et les Pays-Bas.
Dans ce dernier pays, dont l’IPC atteint 80/100, « les entreprises ou les particuliers ne sont encore presque jamais traduits en justice pour corruption à l’étranger ».
Sophie Creusillet
* 0 représente une forte corruption et 100 aucune.
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