L´Office européen des brevets (OEB) a choisi Google pour traduire en 29 langues les brevets qu´il délivre. Actuellement, la base de données de l´OEB, Espacenet, permet d´accéder à un résumé en anglais des brevets. Or dès que le traducteur de Google sera opérationnel, tous les pays européens pourront lire dans leur propre langue n´importe quel texte. Afin de savoir ce qu´en pensent les professionnels concernés, nous avons interrogé trois praticiens spécialistes des brevets.
Christian Derambure, président de la Compagnie nationale des conseils en propriété industrielle (CNCPI), estime que ce système peut être une bonne mesure pour prendre connaissance d´un document d´usage courant. Mais dans le cas présent, c´est « extrêmement dangereux » car « le juridique est un domaine très pointu ». Le faire traduire par un outil automatique et le mettre à disposition du grand public sur Google, peut « tromper le chaland » en lui fournissant une information erronée. « Des personnes risquent d´être contrefacteurs sans le savoir à cause d´une traduction inexacte ».
Pour Philippe Cadre, chef du service des brevets à l´Institut national de la propriété industrielle (INPI), cet accord est au contraire positif car il permet de « faire le tri entre les brevets qui nous intéressent, en comprendre l´essentiel et ensuite faire appel à un expert qui fera une traduction juridique. (…) Ce n´est pas risqué, on sait bien que les outils de traduction automatique ne sont pas parfaits », même s´ils tendent à le devenir. D´ailleurs, « chaque dictionnaire du traducteur automatique de l´OEB est validé par des experts ».
Pierre Lenoir, avocat de l´Association des praticiens européens des brevets (Apeb), explique, pour sa part, que « c´est une bonne chose car c´est une première source d´information très précieuse pour les PME par exemple, où l´anglais et le japonais (langues les plus utilisées pour les dépôts de brevet) ne sont pas toujours parlées. Mais c´est à prendre avec des pincettes : la traduction automatique est imprécise alors qu´un brevet est un domaine de précision. J´émets donc des réserves quant à la valeur de cette traduction. »
Pour l´OEB, cet accord avec Google « vise à fournir des traductions de brevets plus rapides et abordables pour répondre aux besoins des entreprises, inventeurs et scientifiques », afin de « soutenir la compétitivité en Europe ». Les traductions n´auront pas de valeur juridique mais uniquement informative et les dépositaires de brevets devront continuer à les rédiger dans une des trois langues officielles de l´OEB (anglais, allemand, français), puis à les traduire, à leurs frais, dans la langue des pays où ils souhaitent protéger leur invention. Outre la mise à disposition des brevets en 29 langues, cet accord prévoit également de traduire les langues asiatiques, « l´un des plus grands défis du système mondial des brevets » selon l´OEB, ouvrant l´accès au « volume exponentiel d´informations technologiques japonaises, chinoises et coréennes ». « Les Chinois déposent 100 000 demandes de brevets par an à l´OEB » indique son président Benoit Battistelli, et les Européens 200 000.
Selon Benoît Battistelli, cet accord « facilitera la mise en œuvre du brevet paneuropéen unique » en faisant tomber la barrière de la langue. Pourtant, Philippe Cadre de l´INPI estime que cela « n´a rien à voir car il s´agit d´un blocage politique. Ça aidera en pratique mais ça ne résoudra pas le problème ». Pierre Lenoir souligne pour sa part que ce brevet communautaire bloque sur des questions de langues, mais aussi de souveraineté et de juridiction. Cela crée une Europe à deux vitesses qui exclura des pays tels que l´Italie ou la Pologne, qui refusent encore de ratifier l´accord unique.
Alix Cauchoix