L’État et les opérateurs économiques veulent faire du Maroc une
plateforme de développement pour les entreprises de haute technologie.
Les Français ont une carte à jouer en rejoignant l’un des clusters créés
récemment.
Et si le royaume chérifien devenait la nouvelle destination incontournable pour le développement de technologies de pointe ? Attablés à une terrasse de café sous le ciel bleu de Casablanca, Yvon-Didier Miehakanda et Nassima Samir y croient dur comme fer. Ces deux jeunes associés, après un parcours dans des multinationales européennes, ont créé en janvier 2011 au Maroc leur propre société, Sabbar Expertise. Ce cabinet de conseil en
management des systèmes d’information est spécialisé dans la mise en œuvre de solutions informatiques
éco-responsables, destinées à atténuer l’impact des activités humaines sur l’environnement.
« Nous sommes le premier cabinet « green IT » du pays », s’enthousiasme Yvon-Didier Miehakanda. Mais parce que cette spécialité est encore très récente et que le Maroc constitue un nouveau marché, les associés de Sabbar Expertise ont rapidement fait le choix de rejoindre Maroc Numeric Cluster (MNC). Il s’agit de l’un des 4 pôles de compétitivité soutenus par le ministère de l’Industrie, du Commerce et des Nouvelles technologies.
Ce pôle à gouvernance mixte publique-privée regroupe déjà plusieurs acteurs du secteur des TIC : l’État, bien sûr, mais aussi les grandes entreprises du secteur (Bull, Logica, Meditel et Inwi, deux opérateurs de téléphonie mobile
marocains, etc.), des PME, des acteurs du secteur de l’enseignement et de la recherche ainsi que des organismes de financement.
Son objectif ? Faire émerger des projets innovants et à forte valeur ajoutée dans quatre domaines : les services mobiles, la sécurité (monétique, droits numériques), le multimédia et les progiciels. Moyennant une cotisation calculée en fonction de son chiffre d’affaires, Sabbar Expertise peut désormais compter sur le soutien des membres du cluster, qu’il s’agisse de logistique, de mise en relation, d’expertise ou de financement. « Ce n’est pas rien, quand on démarre une activité, de pouvoir accéder facilement aux principaux acteurs du marché. Mais c’est bien là le but d’un cluster que de faciliter l’émergence de projets innovants en fluidifiant les contacts », explique Patrick Berthié, trésorier de MNC et directeur de la stratégie d’Inwi.
« Le cluster est ouvert au plus grand nombre, à condition toutefois que chaque candidat soit en mesure d’expliquer clairement ce qu’il peut apporter », insiste Mehdi Kettani, président de MNC et P-dg de Bull Maroc. Le fait que certains membres, comme Bull et Logica, soient en concurrence directe ne semble pas poser de problème. « Au contraire, les synergies qui en résultent doivent à terme permettre au Maroc de se doter d’un éco-système NTIC et créer de la valeur », poursuit Mehdi Kettani.
À l’image de MNC, l’État a, dans le cadre d’un appel à projets lancé le 18 février 2011, sélectionné trois autres clusters : Morocco Microelectronics Cluster, qui œuvre dans la microélectronique, Electronique, mécatronique Devenir membre ou profiter des partenariats inter-clusters et mécanique du Maroc (CE3M) et Océanpôle de Tan Tan (sud), dédié à la valorisation des ressources marines. D’ici à 2013, conformément à la stratégie Maroc Innovation (voir ci-dessous), l’objectif est d’accompagner 15 clusters industriels et technologiques et de favoriser l’émergence de 100 projets collaboratifs innovants. Un Fonds d’appui aux clusters a été mis en place à cet effet, doté d’une enveloppe de 62 millions de dirhams (5 515 000 euros) pour la période 2011-2013.
La subvention de l’État pour la mise en place et le fonctionnement des structures d’animation des clusters
sélectionnés est accordée dans le cadre de contrats-programmes conclus entre l’État et ces clusters.
Ces contrats-programmes, signés le 6 septembre 2011, définissent les plans d’action annuels, les objectifs et les indicateurs sur la base desquels l’État apportera sa contribution. Les clusters sont engagés sur des indicateurs précis tels que le nombre de projets de R&D collaboratifs, de brevets, de start-up créées, d’emplois en R&D créés
et de formations montées.
Les entreprises françaises peuvent-elles s’inscrire dans cette dynamique ? Oui, à condition de créer une filiale au Maroc. « Créer une SARL peut prendre moins d’un mois, grâce à l’existence d’un guichet unique, le Centre régional d’investissement, qui centralise toutes les démarches à accomplir », détaille Hassan Attou, directeur de
l’appui commercial à la chambre française de commerce et d’industrie (CFCIM). À charge pour l’entreprise nouvellement créée de trouver ses locaux. Le cluster, contrairement aux pépinières d’entreprises, n’a en effet pas vocation à héberger ses membres. Il existe de nombreux parcs d’activité dans lesquels des bureaux équipés se
louent en moyenne 6 euros par mois et par mètre carré.
Autre possibilité pour les entreprises françaises qui ont un projet de R&D : les partenariats inter-cluster. Le premier a été signé le 12 juillet dernier à Rabat entre Maroc Numeric Cluster et Systematic Paris-région en présence du ministre français de l’Industrie, de l’Énergie et de l’Économie numérique, Eric Besson, et du ministre marocain de l’Industrie, du Commerce et des Nouvelles technologies, Ahmed Réda Chami. Une signature en grande pompe à la mesure de l’enjeu : « Il s’agit du cluster le plus important d’Europe. Systematic va nous aider à exister. Un programme de travail a déjà été arrêté, dont un volet porte sur l’organisation d’un événement euro-méditerranéen sur l’innovation dans les technologies de l’information », s’enthousiasme Mehdi Kettani.
Ce partenariat pourra également se traduire par des échanges d’étudiants et de chercheurs entre les universités et écoles, et les entreprises membres des deux clusters. « Cela peut aboutir à la réalisationd’opérations de partenariat entre les entreprises implantées sur les sites respectifs et prêtes à acquérir une visibilité en France et au Maroc », explique un porte-parole de Systematic. Un autre accord de coopération a également été établi entre le cluster Océanopôle de Tan Tan et les pôles Mer France. Ces clusters dédiés à la valorisation des ressources marines vont travailler main dans la main au développement de projets innovants. Au menu de cette coopération figure notamment l’exploitation d’énergies marines dans le domaine des éoliennes offshore, des hydroliennes, des alguo-carburants.
Autant de projets qui, loin des tumultes du printemps arabe, devraient renforcer l’attractivité du Maroc pour les investisseurs. C’est en tout cas la conviction d’Ahmed Réda Chami : « Vous savez, les investisseurs français connaissent bien le Maroc et sont au courant de l’évolution de la situation dans notre pays. Nous n’avons pas à ce jour remarqué de changement significatif dans la stratégie d’investissement des PME françaises qui soit lié au printemps arabe. Bien au contraire, plusieurs PME, qui étaient présentes en Tunisie ou en Égypte, ont fait le choix de venir s’installer au Maroc où elles bénéficient d’une plus grande stabilité et d’une meilleure visibilité quant aux évolutions futures », insiste le ministre.
Isabelle Arbona, à Casablanca
Une stratégie au service de l’innovation
Lancée officiellement en juin 2009 par le ministère de l’Industrie, du Commerce et des Nouvelles technologies, la stratégie Maroc Innovation doit faire entrer le royaume dans le club des pays producteurs de technologies. Dotée d’une enveloppe de 500 millions de dirhams (45,4 millions d’euros), cette stratégie fait de la promotion des clusters un levier important pour produire de la propriété intellectuelle et favoriser l’émergence de start-up. D’ici à 2004, 1 000 brevets marocains devront être déposés et 200 start-up créées.
I. A.