Pôle d’excellence, l’ingénierie française portée par des grands noms tels Artelia, Egis, Engie, Suez, Systra ou encore Veolia est mondialement reconnue pour son expertise. Les 73 000 entreprises d’ingénierie en France réalisent 31 % de leur chiffre d’affaires (55 milliards d’euros) à l’export. Mais « nous pouvons faire mieux », estime Pierre Verzat, président de Syntec-Ingénierie.
Pierre Verzat a ainsi fixé pour objectif que les entreprises françaises du secteur réalisent 40 % de leur chiffre d’affaires en 2020 à l’international.
Un message passé alors qu’il introduisait la 2ème édition des Rencontres internationales de l’ingénierie organisée le 3 décembre à Paris par la fédération professionnelle des entreprises d’ingénierie. Avec pour thème : « Quel avenir pour l’ingénierie française à l’international ? Les clés de la réussite d’aujourd’hui et de demain ». Des dirigeants de groupes d’ingénierie français ont échangé en plénière en présence de Marie Lebec, députée des Yvelines (LREM), présidente du groupe d’études Attractivité de la France – export – investissement – compétitivité à l’Assemblée nationale.
Avec une présence mondiale, l’ingénierie tricolore intervient sur des réalisations de grande envergure telles que le métro de Riyad en Arabie saoudite ou le pont le plus long du monde au Koweït. « Cette excellence française, elle est reconnue, nous pouvons la vendre plus », a assuré le président de l’organisation professionnelle, qui fédère 400 membres.
Comment ? Face aux facteurs de risques, nombreux à l’international, quelques pistes ont été dégagées et des initiatives ont été mises sur la table.
Les clés de la réussite
1./ S’associer à un partenaire local
« On n’est jamais parti seul sans partenaires locaux », a ainsi confié Pierre-Yves Pouliquen, directeur général Afrique, Moyen-Orient, Inde de Suez. « Il faut avoir des hommes localement, des relais politiques et des relais commerciaux sur place », a-t-il conseillé.
Un avis partagé par Diego Diaz, président de SNCF International, filiale de la SNCF en charge des activités du groupe à l’international. « Il ne faut pas partir seul lorsqu’on est une petite PME dans des négociations contractuelles », a-t-il prévenu.
« On travaille quasi systématiquement avec un partenaire local », a affirmé pour sa part Benoît Clocheret, CEO d’Artelia. « On ne part pas à l’international tout seul, on est obligé de prendre le risque du partenariat », a-t-il insisté. Car, a rappelé le dirigeant, « les risques contractuels, c’est une réalité ». Pour se faire payer, une entreprise doit, selon lui, « gérer son contrat avec fermeté et le travailler sérieusement ».
2./ « Savoir dire non » et refuser des projets
Parfois même, il est préférable de renoncer à un marché lorsque le risque est trop élevé. « L’international, c’est savoir dire non », a ainsi livré Pierre-Yves Pouliquen. « Il y a des pays où l’on sait que, du fait de la réglementation contractuelle, si l’on a un mois de retard, ce n’est pas la peine d’y aller », a-t-il exposé.
Pour le directeur général Afrique, Moyen-Orient, Inde de Suez, les entreprises françaises doivent également savoir refuser un projet de la Banque mondiale parce que l’appel d’offres de cette dernière a été mal construit. La structuration de l’appel d’offres et le respect des règles sont primordiaux, selon lui.
Pour réussir à se positionner sur un projet d’ingénierie à l’international, les sociétés d’ingénierie tricolores doivent également s’armer en utilisant les dispositifs de financement pour sécuriser leurs contrats et paiements.
3./ Utiliser les outils de financement dédiés aux prestations de services
Pour aller à l’export, comme l’a rappelé Marie Lebec lors de la plénière, les PME et TPE du secteur ne doivent pas hésiter à utiliser les outils d’accompagnement à l’export du dispositif français à l’instar du V.I.E à temps partagé. Elles doivent également « se saisir des opportunités offertes par des accords de libre-échange et le CETA », a-t-elle estimé. En effet, l’ouverture des marchés peut leur apporter des courants d’affaires.
Enfin, les petites entreprises du secteur doivent, selon la députée, « bien utiliser » le Fasep, fonds de la DG Trésor destiné à financer des études de faisabilité ou des démonstrateurs au bénéfice d’autorités publiques étrangères dans les pays en développement tout comme les gammes de produits de financement proposées par Bpifrance.
Lorsqu’elles pilotent un projet dans le bâtiment, le ferroviaire, l’eau ou encore l’énergie, les entreprises d’ingénierie sont présentes tout au long du cycle de vie de l’ouvrage. De la conception à la réalisation, les entreprises d’ingénierie exercent des activités de conception et d’assistance amont, d’étude techniques, de contrôle ou encore d’inspection.
Des produits de financement sont ainsi adaptés à la spécificité des contrats commerciaux d’ingénierie. Il est essentiel pour une entreprise française signataire d’un contrat de prestations de service à l’export de sécuriser le paiement au fur et à mesure de la facturation des prestations exécutées ou des redevances payables au comptant.
« L’ingénierie ne suffit plus si vous n’avez pas le meilleur financement », a déclaré Pedro Novo, directeur exécutif en charge de l’export de Bpifrance lors d’un atelier sur le financement de projets internationaux. La garantie des prestations de services et des biens immatériels proposée par Bpifrance Assurance Export, filiale de la banque publique d’investissement qui assure pour le compte de l’État l’activité export de Bpifrance, sécurise les contrats de prestations de service payables au comptant sur situations (ingénierie, étude, conseil assistance technique, supervision de travaux, formation du personnel, etc.).
L’entreprise choisit les faits générateurs de sinistre contre lesquels elles souhaitent s’assurer à hauteur de 95 %. Cette couverture revolving protège les entreprises dès lors que les impayés sont progressivement ou totalement résorbés et les récupérations effectuées, s’il y a eu indemnisation.
4./ Se protéger contre les risques de corruption
Les entreprises d’ingénierie françaises peuvent être confrontées à l’étranger à de la corruption active et passive. C’est « le premier risque », a prévenu Cori Cabistany, directrice juridique & compliance du groupe d’ingénierie indépendant Assystem, lors de l’atelier « Éthique et compliance au cœur de la performance ».
Pierre Laporte, fondateur de l’Agence française anticorruption et du cabinet Governances, a ainsi mis en garde contre « le racket fiscal ou douanier pratiqué par des fonctionnaires qui se désolidarisent de leur administration ».
La sous-traitance est également concernée. « Plus la supply chain du sous-traitant est longue, moins vous avez la main [sur le contrat] », a ainsi souligné Pierre Laporte.
En outre, à l’étranger, comme l’a souligné l’ancien directeur juridique d’Alstom Grid, les entreprises françaises d’ingénierie s’exposent aux lois des pays où s’appliquent des règles extraterritoriales, notamment américaines ou européennes. Il peut s’agir de lois de sanction économique dans les pays soumis à embargo.
Les entreprises françaises devront également être vigilantes sur la façon dont elles répondent à un appel d’offres en tenant compte du droit à la concurrence appliqué dans le pays.
Pour se prémunir contre les risques de corruption, Cori Cabistany recommande aux entreprises du secteur de mettre en place un programme de conformité. Les salariés et dirigeants doivent également adopter un code de conduite anticorruption. Ce code de conduite est intégré au règlement intérieur de l’entreprise. Celui-ci est devenu obligatoire pour les entreprises de plus de 500 salariés, dont le chiffre d’affaires dépasse 100 millions d’euros avec l’entrée en vigueur de la loi Sapin II.
La filière s’est dotée d’un accélérateur sectoriel
Pour accompagner le développement de ses membres à l’international, Syntec-Ingénierie a lancé le 17 juin dernier l’Accélérateur Ingénierie avec Bpifrance destiné en priorité aux PME.
Opéré par Bpifrance en partenariat avec Syntec-Ingénierie et le Fonds d’assurance formation ingénierie et conseil (Fafiec), cet accélérateur cible les bureaux d’études et les entreprises d’ingénierie industrielle, du conseil en technologies, de la construction, de l’environnement et de la géotechnique (diagnostics et études des sols, avant le lancement de tout projet immobilier ou d’infrastructure).
Conçu pour répondre aux enjeux de la filière, ce programme de formation, de conseil et de mise en relation permet aux dirigeants des 21 entreprises ayant intégré la première promotion de l’accélérateur de suivre pendant 24 mois un programme d’accompagnement individuel et collectif. Il devrait permettre de renforcer les entreprises participantes, surtout des PME.
L’ingénierie est une filière essentielle pour la compétitivité de l’économie française. Syntec-Ingénierie ambitionne à travers ses rencontres internationales d’accélérer son développement à l’export. Ses fleurons ont montré la voie. Reste que les défis pour les PME du secteur sont de taille.
Venice Affre