L’industrie spatiale figure en tête de liste des priorités sur l’agenda de la Commission européenne. Après avoir raté le train de la révolution numérique, Bruxelles compte bien rester aux avant-postes dans ce domaine, « dont dépendent la prospérité de nos économies et de nos entreprises », avaient insisté Ursula Von Der Leyen, la Présidente de la Commission, lors de la présentation de son programme au Parlement européen l’été passé.
Un engagement à nouveau affiché lors de la 12e conférence spatiale européenne organisée dans la capitale de l’Union européenne (UE) les 21 et 22 janvier derniers. Pour démontrer l’importance accordée au secteur, neuf commissaires étaient présents lors de cette grande messe qui réunit chaque année les acteurs majeurs du secteur, industriels et hauts responsables politiques. « Je serai impitoyable lors des négociations budgétaires », avait insisté Thierry Breton, en charge du super-portefeuille marché intérieur, industrie, espace et défense.
Compenser la fin de la contribution britannique
Dans le collimateur de l’ex ministre français : la proposition mise sur la table par la présidence finlandaise de l’UE fin 2019.
Pour compenser l’arrêt de la contribution britannique (1,6 milliards), à la suite du Brexit, le pays a suggéré de raboter de 10 % le montant de l’enveloppe de 16 milliards d’euros réclamée par la Commission, avec des coupes de 20 % pour les programmes phares Galileo et Copernicus.
Le futur Fonds européen de la défense, chargé notamment de développer un volet spatial militaire, est lui aussi menacé. La dotation de 13 milliards d’euros pourrait être réduite de 50 % pour passer à 6 ou 7 milliards.
De quoi provoquer l’ire du nouvel exécutif à Bruxelles. « 16 milliards c’est le minimum pour assurer la continuité de ces services spatiaux et leur évolution technologique », explique-t-on au sein de l’équipe de Thierry Breton.
Car pour rester dans la course face à ses principaux concurrents l’UE doit se montrer à la hauteur de ses ambitions. « Nous devons préparer la nouvelle génération de Galileo, développer de nouveaux services de Copernicus pour la surveillance du climat, lancer le programme GovSatCom de satellites de télécommunications pour offrir aux États membres des communications sécurisées et un programme de surveillance de l’espace », a énuméré le Commissaire français.
Les industriels inquiets
Même constat dans le rang des industriels. « Ce n’est pas le moment de baisser la garde, sinon l’Europe ratera cette révolution spatiale », s’est inquiété André-Hubert Roussel, président exécutif d’Ariane Group. « Tout va se jouer dans les trois années à venir », précise-t-il.
Face à la Chine, devenue l’an passé n°1 mondial des lancements, ou les États-Unis, qui investissent sept fois plus que l’Europe dans le spatial, l’UE va devoir batailler ferme pour maintenir sa position.
En 2019, l’Europe a réalisé 9 lancements de satellites via Arianespace, contre 34 pour la Chine, 27 pour les États-Unis et 22 pour la Russie. « Les discussions de marchands de tapis autour du futur budget spatial sont ridicules. Si les Européens veulent continuer à jouer dans la cour des grands ils vont devoir mettre la main au portefeuille », confiait au Moci un proche collaborateur de Thierry Breton.
Car la maîtrise des technologies spatiales conditionnera aussi la mise en œuvre des autres objectifs prioritaires de la Commission Von Der Leyen. « Transition verte et transition digitale doivent s’articuler, notamment via les infrastructures spatiales », a indiqué Margrethe Vestager, la vice-Présidente de l’exécutif en charge de la concurrence et du numérique.
Rappelant que l’économie dépend aujourd’hui pour 60 % directement ou indirectement d’outils spatiaux, le chef de la diplomatie européenne a également insisté sur le rôle de l’espace comme élément clé de la sécurité internationale. Il est devenu « la nouvelle frontière des politiques globales », a martelé Josep Borrell.
Jamais l’industrie spatiale n’avait été aussi bien défendue à Bruxelles
Jamais l’industrie spatiale n’avait été aussi bien défendue à Bruxelles. Priorité stratégique pour la nouvelle commission, le secteur continue de bénéficier d’importantes sources de financement, prélevées sur l’actuel budget européen.
En novembre dernier, l’Agence spatiale européenne a ainsi obtenu un budget inégalé de 14,5 milliards d’euros « pour l’exploration, la recherche scientifique, les lanceurs, les services », détaillait un communiqué. Lors de la conférence spatiale européenne, en janvier, la Commission et la Banque européenne d’investissement (BEI) ont également annoncé la mise à disposition d’une enveloppe de 200 millions de prêts « afin de soutenir des innovations radicales dans ce secteur », a expliqué Ambroise Fayolle, le vice-Président français de la BEI.
Un premier prêt de 100 millions servira en partie à financer les investissements d’Ariane Group dans le développement d’Ariane 6, « c’est-à-dire des installations industrielles plus compétitives et respectueuses de l’environnement en Allemagne et en France, notamment en Guyane », indique André-Hubert Roussel, cité dans un communiqué de la Commission européenne. Objectif ? Garantir un accès autonome européen à l’espace, en restant dans la course des lanceurs lourds, « capable de viser vers toutes les orbites, qu’il s’agisse de satellites géostationnaires ou de missions en orbite terrestre basse ou moyenne ».
Dans le détail, cette première enveloppe de 100 millions proviendra du Fonds européen pour les investissements stratégiques – le pilier financier du plan d’investissement pour l’Europe – et du dispositif InnovFin de partage des risques pour la recherche d’entreprise financé par «Horizon 2020» – le programme-cadre de l’UE pour la recherche et l’innovation.
Le second prêt de 100 millions sera quant à lui destiné au programme InnovFin Space Equity, qui vise en particulier à soutenir l’innovation et la croissance des PME européennes du secteur des technologies spatiales. Un signal positif pour les entrepreneurs européens en quête de financement, surtout dans la phase de démarrage, et qui avaient tendance à se tourner vers des capitaux privés hors UE, en particulier aux États-Unis.
Un véritable tournant
« Les deux annonces intervenues aujourd’hui marquent un véritable tournant pour l’Europe dans le soutien de l’industrie spatiale européenne », s’est félicité Thierry Breton. Et les grandes entreprises ne seront pas les seules à en bénéficier.
Grâce au dispositif InnovFin Space « nous faisons clairement savoir que l’activité spatiale en Europe est une véritable aubaine. Il s’agit d’une initiative essentielle pour soutenir le développement de jeunes entreprises européennes dans le domaine spatial, en vue de leur expansion », a-t-il conclu.
Une façon de rassurer le millier d’acteurs européens de l’industrie spatiale réunis à Bruxelles. Mais qui ne lève pas complètement les craintes pour la période post-Brexit. En pointe en matière de technologie spatiale, les Britanniques ont en effet grandement contribué au développement de Galileo, notamment sur son pilier sécurité. Le Brexit pourrait désormais impliquer de se passer de leurs compétences, mais aussi de leur contribution significative au budget spatial européen.
Kattalin Landaburu, à Bruxelles