Les exportateurs français affichent, en ce début d’année 2024, un optimisme sans faille sur leurs perspectives, malgré les crises géopolitiques et la montée du protectionnisme qui assombrissent l’horizon du commerce international. Un des points saillants du dernier baromètre international d’Allianz Trade, Global Survey 2024. Revue de détail.
Ano Kuhanathan, responsable de la recherche sectorielle chez Allianz Trade, n’en revient pas : malgré les crises qui se succèdent, malgré le recul du commerce international l’an dernier, les 3000 exportateurs interrogés dans huit grands pays affichent un bel optimisme, en particulier les Français.
« Plus de 80 % s’attendent à des progressions de plus de 2 % à l’export » constate-t-il, lors d’un échange avec quelques journalistes. Et les Français sont, avec 84 %, au-dessus de cette moyenne, au même niveau que les Italiens et au-dessus des Américains (83 %), Allemands (80 %), Chinois (78 %), Polonais (74 %). Seuls les Espagnols et les Britanniques sont au-dessus (87 % à égalité).
L’an dernier, dans la précédente étude, cette proportion n’était « que » de 70 %, déjà haute, et l’année s’était terminée par une récession commerciale, tirée par la chute de la demande, en partie due à la poussée inflationniste. En France, quelques secteurs ont, il est vrai, alimenté un certain dynamisme à l’export comme le luxe ou le transport. Et cette année, au niveau européen comme français, tout se passe comme si les exportateurs s’attendaient à nouveau à un fort rebond du commerce international.
Un « effet JO » sur les exportations de services
La réalité risque de décevoir leurs attentes, un peu comme l’an dernier, si l’on se base sur les prévisions des économistes d’Allianz Trade. « Nous nous attendons à une progression du commerce international entre 1 et 3 % en 2024 » rappelle Ano Kuhanathan. « Eut égard à l’historique du Global Survey et aux perspectives de croissance du commerce international, nous sommes relativement partagés » ajoute l’économiste.
Concernant les prévisions basées sur des données, les dernières d’Allianz Trade sur l’évolution de la demande adressée à la France par le reste du monde cette année tablent sur 15 milliards d’euros (Md EUR) d’exportations supplémentaires aux bénéfices des entreprises françaises (graphique ci-après). Elles seront notamment tirées par la consommation pour un tiers (4,7 Md EUR), suivie de l’agroalimentaire (3,2 Md), les logiciels et technologies IT (2,1 Md), les services de transport (1,6 Md) et les équipements et machines (1,1 Md EUR).
Pour les Français, les Jeux Olympiques Paris 2024 sont une aubaine. « Nous nous attendons à un effet JO sur les services avec tous nos principaux partenaires » souligne Ano Kuhanathan. Avec un trio de tête composé de l’Allemagne, le Royaume-Uni et les Etats-Unis (graphique ci-après), trois gros marchés qui généreront un tiers des exportations supplémentaires attendues cette année.
Le protectionnisme perçu comme le risque n° 1, le risque d’impayé en hausse
Cet optimisme est d’autant plus paradoxal que les crises géopolitiques continuent à apporter leur lot d’incertitudes : poursuite de la Guerre Russie-Ukraine, déclenchement de la guerre d’Israël contre le Hamas dans les territoires palestiniens après les attentats du 7 octobre et ses effets collatéraux, comme l’insécurité en mer Rouge entretenue par les rebelles yéménites houthis, qui bloque le corridor du canal de Suez.
Sans compter les tensions commerciales entre la Chine et les blocs occidentaux, comme l’illustrent les dernières annonces de Washington en matière de hausse des droits de douane sur un certain nombre de produits chinois comme les véhicules électrique. Et enfin, il faut faire avec les nombreux scrutins électoraux dont celui au Parlement européen, pour lequel on craint une percée des partis populistes et d’extrême-droite, et la présidentielle aux Etats-Unis, qui fait craindre le retour de Donald Trump.
« Avec le retour au pouvoir de Trump, selon nos études, nous pourrions assister à une hausse généralisée de 10 % des droits de douane américains » observe Ano Kuhanathan, contre une moyenne d’environ 2-3 % actuellement. Les exportateurs sondés pour le Global Survey 2024 sont, à cet égard, sur la même longueur d’onde.
Le risque protectionniste est numéro 1 cette année avec un score de 73 % et les exportateurs français sont, sur ce point, au même niveau que leurs homologues européens. Les Espagnols sont au-dessus et les Américains sont plus bas (65 %).
En deuxième position, vient le risque de rupture des supply chain, cité par 50 % des répondants. Là encore la France est en ligne avec cette moyenne, la Pologne étant la plus inquiète.
En troisième position avec un score moyen de 48 %, le risque de non-paiement et les difficultés de financement dans les 6-12 mois qui viennent. Les exportateurs français sont la encore dans la moyenne, mais se révèlent plus inquiets sur le risque d’impayé : près de la moitié (47 %), soit une hausse de 7 points sur 2023, s’attendent à une hausse du risque de non-paiement dans les prochains mois, à comparer au score chez les Britanniques et les Américains, qui recule au contraire à 31 %, et chez les Allemands, où il est en baisse de près de 10 points à 37 %. Le score et aussi en hausse en Italie (42 %) et en Pologne (44 %).
Les risques liés aux transports, les coûts de l’énergie élevés, le manque d’information, les réglementations et normes RSE, le risque de réputation et le risque de change recueillent des scores de 30 % et moins.
Reconfiguration des supply chain et « globalisation sélective »
La montée des risques géopolitiques et protectionniste n’est pas sans conséquence sur les stratégies des exportateurs en matière de chaîne de valeur (supply chain) : 53 % envisagent une reconfiguration de leur supply chain, ce qu’Allianz Trade appelle une « globalisation sélective », la tendance étant tirées par la Chine, l’Allemagne et l’Espagne alors que la France est un peu en dessous de 50 %.
« Cette tendance, nous la voyons aussi de plus en plus se matérialiser dans les données du commerce bilatéral : les échanges entre pays proches augmentent » confirme Ano Kuhanathan.
A noter que la propension à relocaliser est encore plus accentuée chez les répondants ayant des supply-chain longues et lointaines que chez les autres : le score grimpe par exemple à 67 % chez cette catégorie d’exportateur en Allemagne (pour une moyenne de 62 %), 61 % pour le Royaume-Uni (moyenne 48 %) et 57 % en Italie (moyenne 46 %).
Le top 3 des secteurs les plus ouverts à ces relocalisations de supply chain, sont l’agroalimentaire, l’énergie, les métaux et le textile. Un des facteurs de risque les plus cités en matière de supply chain est la complexité et la concentration (plus de 50 %) à quasi-égalité avec la géopolitique. En troisième position, mais loin, le risque RSE.
Pour faire face à la montée des risques, les solutions qui arrivent en tête chez tous les exportateurs interrogés sont l’amélioration des capacités en Risk management (47 % en France) est la hausse des due diligence RSE sur leurs fournisseurs.
Dernier constat : alors que les tensions commerciales avec la Chine sont plus que jamais d’actualité, les exportateurs français ne semblent pas près à y réduire la voilure : 22 % seulement indiquent avoir l’intention de quitter la Chine, selon Ano Kuhanathan. « C’est compréhensible : 30 % des importations critiques de la France viennent de Chine. »
Christine Gilguy