C’est une première : un séminaire sur les opportunités et le mode d’emploi du programme européen Global Gateway dédié aux infrastructures durables des pays émergents, qui constitue la réponse à 300 milliards d’euros de l’Union européenne (UE) à la « route de la soie » chinoise, a été organisé le 23 mars à Paris pour les entreprises françaises. Malgré les grèves, il a rassemblé plus de 300 participants, ministres, fonctionnaires de la Commission européenne et des administrations françaises, banquiers, fonds d’investissement et entreprises, avec pour objectif de les mobiliser sur les 80 premiers projets concrets.
Cela fait près d’un an et demi que la stratégie Global Gateway et son objectif de mobiliser, sur la période 2021 – 2027, 300 milliards d’euros d’investissements publics et privés dans des infrastructures durables et de qualité situées dans les pays émergents et en développement -dont 50 % en Afrique- a été présentée par la Commission européenne, en décembre 2021.
Mais les gouvernements des pays ciblés s’impatientent de voir les premiers euros arriver tandis que les entreprises, françaises et européennes, se sont installées, pour reprendre une expression du président du Medef Geoffroy Roux de Bézieux, « dans une posture d’attente teintée de scepticisme depuis ces annonces ».
Il fallait donc donner un coup d’accélérateur pour que ce plan ambitieux se concrétise, « passer des annonces aux actes » pour reprendre les mots du président Macron dans une vidéo diffusée en ouverture. Autrement dit, commencer à lancer les projets d’infrastructures clairement identifiés « Global Gateway », avec un mode d’emploi et des contacts opérationnels pour permettre tout autant aux bailleurs de fonds publics et privés qu’aux entreprises de se positionner sur les appels à projets et autres appels d’offres.
C’était l’objectif de ce séminaire inédit dans l’histoire des programmes de l’UE, organisé le 23 mars à l’initiative du ministère de l’Europe et des affaires étrangères, et plus particulièrement d’Olivier Becht, ministre délégué en charge du Commerce extérieur, de l’attractivité et des Français de l’étranger et de sa collègue Chrysoula Zacharopoulos, secrétaire d’Etat en charge du Développement, de la francophonie et des partenariats internationaux, et avec la participation, entre autres, de Koen Doens, le directeur général des Partenariats internationaux (INTPA) au sein de la Commission européenne, en charge de déployer ce programme, et de ses équipes venues spécialement de Bruxelles.
Signe que cette opération était bienvenue : le centre de conférence du Quai d’Orsay était plein, malgré les perturbations dans les transports dues aux grèves contre la réforme des retraites. Et cette première initiative va servir de modèle pour d’autres séminaires dans d’autres pays membres de l’UE destinés à mobiliser le secteur privé sur Global Gateway.
Un nouveau modèle d’engagement
Concernant la stratégie elle-même et ses objectifs, elle rompe clairement avec les modèles passés des engagements de l’UE en matière d’aide au développement, en recherchant plus nettement un équilibre entre prise en compte des intérêts des pays récipiendaires et des intérêts européens. C’est un aspect qui mérite d’être souligné car il n’est pas sans impact sur les investisseurs et entreprises européennes, dont les solutions seront privilégiées dans les appels d’offres.
Koen Doens (ci-contre, au centre) a dit un mot de ce cadre stratégique très nouveau : « ce n’est plus une relation donateur-récipiendaire mais des alliances d’intérêts croisés ». « Nos partenaires se voient proposer d’autres offres mais ils voient aussi leur fragilité » depuis la pandémie et la guerre en Ukraine, a expliqué le haut fonctionnaire européen. « C’est là où nous avons une fenêtre d’opportunité » pour « une offre de co-investissement » de qualité « qui à la fois sert nos intérêts et ceux de nos partenaires ».
Ce qui passe par des projets qui appliquent les meilleurs standards européens, créent de l’emploi mais aussi des compétences et des expertises locales, et enfin sécurisent certaines sources d’approvisionnement de l’UE comme pour les matières premières critiques de la transition énergétique et numérique.
Et dans ce cadre, « le secteur privé est la clé », a insisté le haut fonctionnaire européen, « on ne pourra pas le faire sans lui »
Exemples de projets cochant les cases de Global Gateway
Des projets lancés avant le Global Gateway mais qui seront soutenus par le programme ont été cités en exemple comme cochant toutes les cases pour être éligibles : Swakopmund, un projet de centrale à hydrogène vert en Namibie mené par Hydrogène de France (HDF) et financé par l’UE (180 millions d’euros, entrée en service en 2024) ; ou encore la création d’un pôle régional de production de vaccins de l’Institut Pasteur à Dakar, co-financé par le Sénégal, la France et l’UE ; et enfin le projet d’autoroute à péage Nairobi-Nakuru-Mau, reliant le Kenya à l’Ouganda, mené par le consortium Vinci/Meridiam dans le cadre d’un PPP (partenariat public privé).
D’après Koen Doens, depuis le lancement du programme, partout dans les pays cibles, les représentants de « l’Equipe Europe », soit les délégations de l’UE, des institutions financières, des ambassades des pays membres et de leurs banques de développement, ont fait un travail collectif pour identifier les projets et les faire remonter à Bruxelles.
« On veut que vous soyez présents sur les appels d’offres »
2023 marque la volonté d’entrer dans une phase opérationnelle avec une première liste de 80 projets ciblés en Afrique, Asie-Pacifique et Amérique latine. Ils sont à lancer via la conclusion de MoU (Memorandum of understanding) ou des appels d’offres. « C’est sur ces projets là que l’on veut se concentrer avant tout » a insisté Koen Doens. Et « on a de quoi faire ensemble » a-t-il ajouté. « On entame aujourd’hui un dialogue qui doit produire des résultats ».
La liste des projets ainsi que les contacts clés à la Commission européenne sont dans une brochure qui a été distribuée aux participants. Elle est téléchargeable à la fin de cet article.
Ce « dialogue » avec les entreprises et intervenants financiers a, en l’occurrence, un objectif très concret, et le haut fonctionnaire européen a été explicite sur ce point : il s’agit de faire en sorte que les projets soient cohérents avec les expertises et les savoir-faire des entreprises européennes, autrement dit « faire en sorte que les choix que nous faisons puissent être portés par des entreprises européennes ». « On veut que vous soyez présents sur les appels d’offres », a martelé Koen Doens.
A cet égard, dans cette phase de lancement opérationnel, la Commission a décidé de créer un groupe consultatif d’experts associant les représentants des entreprises et d’organisations professionnelles à l’échelle européenne afin de peaufiner l’approche des projets : entreprises et fédérations sont invitées à candidater, ce que n’a pas manqué de faire le patron du Medef à la tribune.
Concernant les projets sur lesquels les entreprises tricolores peuvent se positionner, les autorités françaises ont d’ores et déjà ciblé cinq secteurs qui ont fait, chacun, l’objet d’un atelier lors du séminaire : infrastructures numériques, métaux critiques, transports et aménagement du territoire, vaccins et industries de santé, chaînes de valeur agricoles, infrastructures énergétiques.
A suivre…
Christine Gilguy
Le modèle Global Gateway mode d’emploi
Global Gateway prévoit d’investir 300 milliards d’euros d’ici 2027, dont 150 milliards en Afrique, dans le financement d’infrastructures soutenables et de qualité, en respectant les normes sociales, environnementales et de bonne gouvernance de l’Union européenne (UE). La stratégie porte également un intérêt particulier aux Balkans occidentaux et à l’Ukraine ainsi qu’à l’Asie, à l’Amérique latine et aux Caraïbes.
Elle se concentre sur 5 grands secteurs prioritaires : le numérique, le climat et l’énergie, les transports, la santé, l’éducation et la recherche.Cette stratégie s’appuie sur une grande variété d’outils financiers de l’UE, notamment le Neighbourhood, Development and International Cooperation Instrument (NDICI), avec des leviers importants sur le secteur privé. Côté public, la BEI, la BERD, mais aussi les banques de développement bilatérales type AFD sont appelées à y participer. Quant au secteur privé, banques commerciales et fonds d’investissements sont invités à s’engager sur des projets via des cofinancement ou des financement garantis par les institutions financières publiques.
Un soutien technique pour la bonne préparation des projets est proposé via deux outils multilatéraux (FMI et banques multilatérales) :
– la plateforme multilatérale SOURCE de préparation des projets d’infrastructures durables, qui permet de filtrer les projets qui ne seraient pas alignés sur les critères de durabilité ou de bonne gouvernance ;
– l’outil FMI‑Banque mondial PFRAM (PPP Fiscal Risk Assessment Model) qui fournit un modèle pour éviter que les projets ne se traduisent par un endettement souverain qui ne serait pas transparent ou soutenable pour les pays bénéficiaires.